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tome 1, Chapitre 60 « Gamayun » tome 1, Chapitre 60

Comme elle avait pris peur lorsque, le soir venu, le soleil descendu sur l’horizon, le firmament s’était teinté d’ocre et de sang, éveillant en elle les souvenirs de ces fleurs du mal qui avait défiguré le ciel ; de simples traits d’argent qui avaient vomi la mort et la souffrance.

Le jour incandescent, la nuit était devenue leur refuge ; une nuit noire, sans lune ni étoile.

À présent, elle contemplait la voûte, sereine.

— Est-ce ainsi qu’est le soleil ? s’était-elle enquise. Une grande étoile dans le ciel qui nous éclabousse de sa lumière ?

Paré des couleurs du crépuscule, l’homme lui avait souri.

— En effet, avait-il murmuré.

Les bras repliés sur sa poitrine, elle s’était agenouillée auprès de son compagnon meurtri. Une main posée sur son museau, elle le caressa longuement. De sa blessure mal refermée suintait un liquide jaune et malodorant. Soudain, comme le soleil dardait ses derniers rayons;’un éclair vert avait jailli de l’horizon, s’amenèrent trois silhouettes, noyés dans un nuage de poussière.

La première était une femme à peine plus grande qu’elle, aux cheveux jais, le corps moulé dans une combinaison écarlate, une fleur du désert entre les lèvres : Fukasan, la femme qui ne devait pas exister. La seconde était une jeune fille à la peau noire. D’entre ses doigts, s’échappaient des flammes ; des flammes qui lui rappelaient un certain soir : Ndjamulji, l’antienne, celle qui devint gardienne.

D’où lui venait cette connaissance, cette certitude, de même que cette mystérieuse fascination qu’elle éprouvait à l’égard son compagnon ? Les réponses se dissimulaient en ce lieu, où le jour était jour et la nuit était nuit, avec tous ces songes suspendus dans le ciel, ainsi que le lui avait expliqué l’homme aux yeux mercuriels.

Enfin, il y eut cet homme, dont la vision lui avait fait manquer un battement. Géant, des ailes immenses déployées dans son dos, son visage ne lui était que par trop familier. Un soir, il s’en était venu, accompagné de sa meute et lui avait parlé ; il était Ninaiyume, le premier des Rêveurs.

Silencieuse, la femme qui ne devait pas exister était demeurée en retrait, assise près du feu qu’avait dressé l’Arpenteur. Pendant ce temps, sa jumelle – son âme le savait – s’était approchée pour la réconforter, Penché sur son compagnon, Ninaiyume le caressa longuement. Sa main descendait depuis son museau à cette sa plaie toujours ouverte, avant de remonter jusqu’à hauteur de son cœur. Soudain, une lueur bleutée l’illumina et il la plongea dans le poitrail de l’animal. Le corps raidi, il lâcha un glapissement lugubre, pendant qu’indifférent, il lui entourait la tête de son bras senestre. Folle, Gamayun voulut s’arracher à l’étreinte de cette sœur d’ombre, mais son emprise l’en empêchait et, épuisée, à bout de forces, elle retomba mollement sur ses cuisses.

La douleur, le mot même n’épousait qu’à peine la souffrance qui l’irradiait, puis tout reflua. Face à face, l’homme, la main sur son flanc, le fixait d’un regard empli de chagrin.

— Oh, mon ami ! murmurait l’ange, sa flamme achevait de refermer cette blessure qui ne guérissait pas.

— C’est votre sentiment de culpabilité qui vous ronge de l’intérieur. Permettez-moi de vous absoudre.

— Pourquoi ? avait-il glapi. J’avais prêté serment de protéger Gamayun et j’ai failli.

Un voile sombre était passé sur les yeux orage du Rêveur, puis il s’était détourné. La tête posée sur les cuisses de sa sœur, la jeune femme s’était assoupie.

Penché sur lui, il lui murmura quelques mots à l’oreille puis se redressa d’un coup, soustrayant sa main à la chair palpitante. Un vif élancement lui arracha un gémissement, tandis qu’il se sentait glisser dans un sommeil réparateur, soutenu par les dernières paroles de cet ami si cher. Hélas s’il l’avait guéri et soulagé de sa peine, il ne pourrait jamais se séparer de ce costume qu’il avait trop longtemps porté.

Lorsqu’elle s’éveilla, quelqu’un l’avait étendu le long d’un tronc et avait déposé une large couverture sur ses épaules. Assis à côté d’elle, Ninaiyume lui avait tendu un bol empli d’un bouillon brûlant et leurs yeux s’étaient rencontrés. Gauche, elle le remercia, son regard toujours planté dans le sien. Ses lèvres s’étirèrent et des sons s’en échappèrent. Chacun de ses mots, chacune de ses paroles lui rappelait l’un de ces vitraux qu’elle avait aperçus dans cette cathédrale ; refuge dans lequel son chemin avait croisé celui d’un homme, enfermé dans une peau de loup. Ils étaient des fragments de lumière, qui embrasait la vérité nichée dans son cœur. Sous ses pieds s’ouvrait le gouffre sans fond de l’inconnaissance. En effet, réceptacle de l’âme de sa fille, son corps, elle comprenait, n’était rien de plus qu’une poupée de son et de sang, à qui une sorcière avait insufflé, une nuit, la vie.

— Détrompe-toi petite fille, lui avait soudainement susurré la femme qui ne devait pas exister. Tu as vécu sans le savoir. Pour autant, n’as-tu point ressenti de chagrin, d’émerveillement, de joie, de tristesse. Qu’as-tu éprouvé lorsque tu l’as vu souffrir ? Quand tu nous narres ta rencontre avec lui dans la cathédrale, ne sont-ce point tes sentiments qui parlent. Es-tu autant aussi dépourvue d’âme que tu sembles le croire ?

Les yeux baissés, son chaperon rabattu dans son dos, elle fixa le tourbillon imprimé dans sa soupe par le mouvement de rotation, n’osant formuler la moindre réponse.

— Regarde-moi, avait-elle poursuivi.

Lorsqu’elle avait relevé la tête, le désert avait disparu ; quelqu’un avait passé un bras autour de ses épaules. Allongé à quelques mètres d’elle, une ombre armait d’un large fusil à lunette, dont elle n’entrevoyait que la silhouette.

— Voilà ce que j’étais autrefois : une machine humaine fabriquée par des sachants, le Graal prométhéen de la condition humaine. Puis, il s’en est venu et m’a fait une promesse, qu’il a tenue. Maintenant, il n’appartient qu’à moi d’écrire la fin de mon histoire…

— … tout comme il te revient d’écrire la tienne, avait achevé sa jumelle.

La cité avait cédé la place à la cathédrale dévastée. Au milieu du chaos pierreux brillaient deux prunelles à l’éclat mordoré ; au fond de son cœur, une flamme brûlait, une flamme qu’elle chérissait, une flamme qui l’avait attiré jusque de l’autre côté des ténèbres. Toutefois, ce n’était point le loup qu’elle voyait, mais un homme en costume de lycan.

L’histoire s’achevait, une autre s’éveillait, elle en écrirait le premier ver.


Texte publié par Diogene, 7 juin 2021 à 21h37
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