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tome 1, Chapitre 58 « Ndjamulji » tome 1, Chapitre 58

Les enceintes, les portes monumentales, la cité, la fumée qui se répandait dans les rues, tout cela avait disparu, si ce n’était le vent tiède qui lui caressait le visage. L’étranger était toujours là, droit, le regard empreint de cette mystérieuse sérénité qui semblait l’habiter.

— Tu es Ndjamulji, l’avait-il appelé ?

Le poing blotti contre son cœur, elle sentait le vertige s’emparer de son esprit. Depuis quand ne l’avait-on point nommé ainsi ? Ndjamulji.

Dans sa tête résonnaient les roulements de milliers tambours frappés par autant de mains à l’unisson, tandis que dans le ciel s’élevaient des flammes, qui auraient pu lécher les étoiles. Assise au milieu, elle contemplait les innombrables paires d’yeux qui la fixaient, cependant qu’autant de lèvres psalmodiaient son nom. Puis s’en était venu le temps du silence, les anangus s’étaient tus et d’autres avaient parlé à leur place ; d’autres qui avaient voulu exterminer le temps du Rêve. Ombre elle avait été, ombre elle n’était plus. Alors, pour préserver son secret, elle l’avait dissimulé dans une enveloppe de chair et s’était mélangée aux tribus, sur lesquelles elle avait autrefois veillé.

Mais se souvenait-elle seulement de celle qu’elle avait été jadis ?

— Je suis Ndjamulji, se répétait-elle la tête penchée en avant, les yeux fixés sur le sable luminescent, son regard égaré sur son ombre grandissante.

Lorsqu’elle la releva, une jeune fille se tenait face à elle. Vêtu d’un chaperon rouge rabattu sur s, son visage demeurait obscur. Assis à côté d’elle, un loup ouvrait ses paupières, le ciel comme prisonnier des reflets de ses prunelles.

— Je suis Gamayun, celle qui portera son âme, avait-elle soupiré. Et toi, tu es Ndjamulji, l’antienne, celle qui protégera son pouvoir.

Surprise, elle avait voulu rétorquer, mais l’ombre lui avait tourné le dos et s’en était allée. Dans le lointain se dressait la silhouette obscure d’une cathédrale délabrée. Troublée, elle n’avait pas remarqué l’apparition ; une femme, vêtue d’un pagne. La poitrine nue, elle marchait sur une plage de sable fin. Étincelante sous la lune, sa peau couleur cuivre paraissait parée des étoiles.

Subjuguée par sa beauté, elle n’osa s’avancer.

Un vent frais agitait son ample chevelure ébène. Du plat de la main, elle l’avait repoussée. Les yeux secs, le regard dur, elle avait balayé l’horizon ; à l’intérieur se reflétaient les flammes du brasier qu’elle avait dressé. Amère, elle tenait entre ses doigts une lame dont le fil dégouttait de sang.

— Ma fille, je te sacrifie, afin que dans l’avenir nous nous réunissions et exaucions, le temps venu, le souhait d’une humanité libérée et apaisée, avait-elle murmuré, comme elle plantait dans le sable, son poignard.

Un cri avait jailli d’une poitrine, non de la sienne, mais de celle d’une autre jeune femme. Son visage était presque semblable au sien et, alors que sa silhouette s’éclipsait, fondue dans les ténèbres épaisses, des larmes s’étaient échappées de ses yeux desséchés. À présent disparue, il en était une troisième qui s’avançait, ni homme ni femme, entourée de sombres et de mystères. Immenses, ses membres obscures obombraient le ciel. Dans ses prunelles, la peine, la tristesse, la colère, mais aussi le soulagement, se disputaient. Quelque temps, elle demeura ainsi, les bras ballants, la tête penchée en arrière, écoutant le ressac des vagues sur le rivage, avant de s’agenouiller auprès du foyer refroidi. De sa main senestre, elle ramassa le sable, de sa dextre, elle façonna un corps, puis un autre.

Fascinée, elle observait l’ombre couvrir de ses propres plumes les formes nues. Puis de ses doigts, elle creusait des orbites, qu’elle remplissait pour l’une de poussière de ciel, la seconde de poussière de terre. Ensuite, elle soufflait sur les braises, avant de placer ses créations au cœur du foyer, afin de leur insuffler la vie. Soudain, des flammes, s’échappèrent deux oiseaux au noir ramage qui se posèrent sur ses poignets. Les yeux de l’un reflétaient le Rêve, l’autre les Réels. À chacun, il leur confia quelques mots et le premier s’envola alors vers de la mer, le second en direction du désert. À présent seule, recroquevillée sur elle-même, la silhouette poussa un long cri rauque et se changea à son tour en corbeau, puis monta dans le ciel, engloutissant par là même la scène.

De l’autre côté du rideau se tenait l’étranger, son compagnon, un corvidé, à la pupille aussi sombre que son ombre, l’observait depuis son épaule. Nullement départi de son sourire, dans ses verres mercuriels se reflétaient les flammes d’un bûcher qu’il avait dressé. Derrière lui, à quelques pas, sétait réunie une assemblée, vagues silhouettes dont l’artiste, qui les aura esquissées, aura oublié de dessiner les traits de leurs visages.

Pourquoi ne pouvait-elle les voir ?

— Parce que tu es à leur image, lui glissa une voix venue de nulle part.

Silencieux, l’étranger la fixait, les bras croisés sur la poitrine.

Dans sa tête, les paroles tournoyaient. Du sol suintait une huile noire et des flammes s’élevait les linéaments d’un être aux ailes immenses. De nouveau, elle entendait son appel, ce murmure apaisant et fascinant, le gémissement du bois qui s’effritait, les susurrations de la cendre pulvérulente qui se collait à sa chair. Ses habits en tas, son corps nu revêtu de langues de feu, elle s’agenouilla auprès de la fissure. Penchée, elle contempla un long moment son reflet, une femme à la peau ébène. De sa chevelure s’échappaient de minuscules flammèches, tandis que ses prunelles étaient habitées par cet incendie qu’elle avait tant appelé de ses vœux.

Était-ce là sa nature première ?

Le souvenir d’un poignard planté dans le sable, une lame enfoncée dans son âme, lui revenait.

Ointe, elle se releva. Les bras tendus, le visage tourné vers le ciel, les paupières closes, elle s’imprégna du chant du Rêve, puis plongea dans le brasier de Ténèbres, offrant en holocauste cette enveloppe de chair qui, si longtemps, avait dissimulé son secret. Au travers des flammes, elle les apercevrait tous les sept : trois hommes et quatre femmes. L’un était son père, l’une sa mère ; de l’autre côté, sa sœur l’attendait. Soulagée, elle affrontait désormais sans peur cet incendie qui brûlait dans son cœur, l’âme d’un être dont elle était l’ombre et le réceptacle de son pouvoir ; ombre elle était, ombre elle redevenait, ombre elle serait.


Texte publié par Diogene, 4 juin 2021 à 08h05
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