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tome 1, Chapitre 45 tome 1, Chapitre 45

Le vent s’était levé ; une brise légère soulevant par moment des nuées de poussière qui retombait ensuite.

Le temps du rêve… Ainsi était-ce le nom de ce lieu que, désormais, il arpenterait.

Dans le firmament, la lune l’observait, silencieuse, la face couverte de mers et de cratères, entourée de visions. Perché sur la branche squelettique d’un arbre qu’il aurait été bien en peine de nommer, le corbeau le fixait de ce regard si familier. Dans sa pupille, se reflétait le ciel ; le ciel et ses secrets : des hommes, des femmes, de tous âges, de toutes conditions, de tout temps, de toutes couleurs ; des personnes laides ou belles, malades ou bien convalescentes, perdues ou lucides, tristes ou apeurées, résignées ou révoltées, mais qui toutes avaient, chevillée au fond de leur âme, cette certitude, cette conviction qu’ils vivaient dans un mensonge et que leur liberté n’était qu’un mirage. Toutes étaient là, images éphémères et rémanentes, voguant dans les cieux. Leurs vies, infime étincelle perdue dans la toile immense du multivers, étaient projetées depuis le commencement jusqu’à la fin. Qu’ils fussent soldat ou bien artisan, artiste ou bien ouvrier, monarque ou bien encore esclave, leurs visons se succédaient comme autant de portraits, dessinant les voiles blanchies d’une aurore évanescente. Cependant, parmi eux, il en était, de plus extraordinaires, des êtres qui n’étaient ni, tout à fait, des songes ni, tout à fait, des ombres, peut-être des inventions.

Dans le ciel, les nuées colorées tourbillonnaient de plus belle, donnant à voir des naissances et des délivrances, des moments et des temps, des visages et des corps, des vivants et des morts, des échos des instants présents. Le monde reflété dans ses verres de vif-argent, le sourire aux lèvres, il donnait l’impression de chevaucher le temps, d’habiter le rêve de toutes créatures humaines ou inhumaines. Son grand chapeau entre les doigts, il se fendit alors d’une profonde révérence, s’inclinant devant ses créateurs. Hélas, il ne pouvait s’attarder, ses compagnons l’attendaient.

La main tendue devant lui, il fixait sa paume. Au-dessus d’elle flottait cette boussole façonnée de rêves et d’imaginaire, dont le cœur pulsait d’une couleur singulière, que son ombre lui avait offerte.

Soudain, une silhouette en avait jailli. C’était une jeune fille vêtue d’une capeline de laine rouge, accompagnée d’un loup au pelage nuit. Le regard fixe, elle avait tourné sa tête en direction de l’orient, puis avait invité son singulier compagnon à la suivre ; une ombre les attendait. Dans le silence du temps, il lui avait semblé percevoir les bruits de l’eau qui suinterait de la pierre avant de tomber sur la terre, le bruissement des feuilles mortes dans la forêt, le chant d’un instrument dans une grotte. Lorsqu’il avait relevé les yeux, elle avait disparu et à sa place un homme, aussi semblable que le serait son jumeau, l’avait dévisagé. Un doigt posé sur les lèvres, il avait esquissé un sourire, puis était parti sur les traces de la jeune femme ; perché sur son épaule, un corbeau lui avait adressé une œillade complice.

De nouveau seul, il avait repris sa marche ne s’arrêtant que lorsque son compas le lui ordonnait. Aussitôt, il s’arrêtait et s’échappait, de la boussole, une silhouette, féminine ou masculine. Souvent, elle regardait le ciel et murmurait quelques paroles inaudibles, comme si les regrets ou l’amertume hantaient son cœur, puis s’en allait. En écho, résonnait le bruit de leurs pas, qui dans une ruelle humide et sale, qui dans une salle emplie d’harmoniques, ou bien encore la foulée d’un pied nu sur le sable brûlant, le silence d’un appartement entrecoupé des gémissements de deux amants, le mutisme d’une chambre abandonnée, la solennité d’un lieu inhabité.

Imprégné des sons, les paupières closes, il prenait alors une longue inspiration, puis son corps se tendait telle la corde de l’instrumentiste qui accorderait sa lyre, avant de se déchirer lentement, à la manière d’une feuille de papier entre les doigts maladroits d’un enfant, cependant qu’un double le saluait et disparaissait. Aucune douleur, aucune souffrance n’accompagnait l’instant ; cela était et il en était satisfait.

Et cependant qu’il marchait ainsi dans les cieux, il observait ce jumeau obscur qui se déplaçait en pleine lumière. Que ce fût de jour ou de nuit, il ne s’arrêtait pas, même pas pour se reposer, boire ou manger. Sur lui, le soleil n’avait aucune prise et, l’obscurité venue, il devenait maître et filait, telle la nuée, au travers des ténèbres. Inlassable, il poursuivait sa route en direction de ce lieu, pour rejoindre l’instant où les hommes libérerait l’Ombre de sa prison.

Point perdu dans le désert brûlant, il l’apercevait. C’était une tour de fer, érigée vers le ciel, supportant crânement un petit baraquement. Autour, éparpillées, des silhouettes, à la manière des danseurs d’un ballet, s’affairaient, rassemblaient des instruments, branchaient des câbles, hissaient des toiles, observant avec déférence ce qu’ils prenaient comme l’instrument de leur délivrance. Bientôt, la chose serait préparée, hissée.

Trônant alors sur son siège de mort, elle contemplerait le monde et les hommes se prosterneraient devant elle.

Au loin, il apercevait les dernières ombres. La grue avait hissé avec précaution la sphère, hérissée de câbles entrelacés, sur son siège. Un homme s’était alors agenouillé dessus et avait plongé dans le ventre de la bête, avant de se retirer, le pouce en l’air. À terre, d’autres avaient acquiescé, puis s’étaient éloignés, s’en allant rejoindre ceux qui, déjà, s’étaient terrés.

Dans le bunker, les hommes fixaient avec angoisse les aiguilles des secondes qui défilaient au rythme des battements des électrons. Chacun avait ses propres raisons, certains souhaitaient que leur appel restât vain, quand d’autres espéraient une réponse, même obscure. Toutefois, tous demeuraient silencieux, n’échangeant que les mots nécessaires. Parfois, certains s’emparaient d’une paire de jumelles et scrutaient l’horizon en direction de cette chose qu’ils avaient nommée ironiquement « Gadget », tandis que des voix désincarnées dispensaient les informations. En leurs poitrines, leurs cœurs se serraient, ralentissaient, accéléraient, à mesure que s’égrainerait le compte-à-rebours. De dos pour la plupart, quelques-uns de face, ils portaient tous des lunettes noires et épaisses devant les yeux.

Une poignée d’hommes allaient une boîte et jamais plus l’humanité ne la refermerait.

Admiratifs, fiers, ils contemplaient désormais la naissance d’un second soleil qui écrasait le paysage. En leur âme grandissait un sentiment de joie et de puissance.

Mais qui étaient-ils ? Des apprentis sorciers ? Des hommes ? Des divinités ? Ou bien des hommes qui se prenaient pour des divinités ?

En fait, tous avaient été transformés, marqués. Beaucoup s’étaient réjouis, mais d’autres étaient demeurés silencieux, le regard perdu vers le gouffre des cieux à jamais souillés.

— Nous sommes tous des fils de pute, glisserait l’un d’entre eux.


Texte publié par Diogene, 6 mai 2021 à 12h06
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