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tome 1, Chapitre 32 tome 1, Chapitre 32

Que s’était-il passé et que se produirait-il quand, la balle glissée dans la chambre, explosion dans la culasse, celle-ci serait éjectée ?

Le vent soufflait fort ce soir-là et elle ignorait si elle devait frissonner et s’approcher du feu mourant, ou bien s’emmitoufler dans l’épaisse couverture qu’il lui tendait. Le visage buriné par le soleil, il paraissait bien plus âgé que le laissait entrevoir la finesse de sa main ; elle referma ses doigts sur l’étoffe et s’en habilla.

Songeuse, elle contemplait sa dextre dont la chair n’avait rien d’artificielle. En cet instant ne ressentait-elle pas cette morsure que l’on nommait froid, tandis qu’une sensation tendre et douce la pénétrait peu à peu. Les yeux relevés, elle croisa soudain le regard de l’étranger. Un large sombrero posé sur ses genoux, ses cheveux ébouriffés retombaient en larges mèches aile de corbeau dans son dos et sur ses épaules. Maigre, le cou presque grêle, des poches noires sous les orbites, il semblait n’avoir rien mangé depuis des jours, alors même qu’il ne paraissait nullement en souffrir.

D’une main assurée, il s’était emparé de sa gourde en métal et l’avait porté à ses lèvres, avant de la lui tendre ; l’eau avait un goût saumâtre. Passée au-dessus des flammes, il l’avait écartée, un sourire aux lèvres, comme pour s’excuser de sa brusquerie. Puis, il l’avait retournée et elle avait découvert la tache rougeâtre sur sa peau. Du bout de l’index, elle en avait exploré la surface, effleuré les zones irradiées, grimaçant sous l’effet de la douleur, cependant que les frissons intenses de ses caresses lui revenaient. En face d’elle, l’homme n’avait pas dit un mot. Perché sur son épaule, un oiseau au ramage encore plus obscur que la nuit la fixait de son œil noir.

Que voulait-il ?

Comme s’il avait lu dans son esprit, il avait pointé une phalange osseuse en direction de sa poitrine.

La balle brillait au creux de sa paume. Elle en devinait la masse, pourtant, ainsi posée dans sa main, elle la trouvait aussi légère que la plume d’un oiseau de mer. Reposant dans son écrin de velours, son instrument de mort scintillait dans le jour artificiel.

D’une main habile, elle en effleura la surface et, bientôt, il n’y eut plus qu’une tache noire. Elle aussi s’était métamorphosée en l’une de ces ombres qui peuplaient les bas-fonds.

Les mains placées autour de son cou, elle avait ôté sa chaîne au bout de laquelle elle était suspendue, puis le lui avait tendu. D’un hochement de tête, il l’avait remercié, avant de tourner son regard vers la voûte céleste. D’un geste, il l’avait invité et elle avait regardé. Dans le ciel, des milliers, des millions, une infinité de taches luminescentes et colorées, traversées par un étrange voile lacté, scintillaient comme autant de fragments de luminosité.

— Pourquoi les hommes ont-ils éteint les rêves ?

Mais ces mots n’étaient pas les siens, quelqu’un d’autre les avait formulés.

D’un geste sec, elle avait tiré sur la culasse et la balle était montée du magasin dans la chambre. Ainsi armée, elle s’était assise contre le muret, le fusil posé contre son épaule, le regard dans le vague.

Était-ce de la peur, de l’appréhension qui, ainsi, insinuait le doute en elle ?

L’homme souriait toujours ; elle avait aperçu à côté de lui, dressées, deux ombres dont l’une tendait le bras vers le ciel. Tout là-haut, des dizaines, des centaines de traînées incandescentes défiguraient le firmament.

— La peur, la terreur avaient achevé de consumer leurs âmes desséchées, murmurait la seconde.

Certains projectiles avaient achevé leur course meurtrière et retombaient, embrasant la terre, soulevant des nuées de poussières qui, ensuite, s’élevaient et point ne redescendaient.

Étreignant son arme, elle se sentait comme en état d’apesanteur. Haut, bas ; gauche, droite ; plus rien n’existait. Elle fixa un instant sa main, marquant une longue hésitation, puis se leva. Derrière elle, la porte était fermée, la serrure scellée. Personne ne viendrait, personne ne l’entraverait. Elle leva les yeux vers le ciel : point de missiles, point de féeries, seulement une toile bleue par trop lumineuse. Le fusil sur son épaule, elle s’avança jusqu’au parapet et s’allongea, la gueule noire enfoncée dans la meurtrière qu’elle avait creusée à cet effet.

L’homme lui avait rendu la balle ; il n’émanait plus de son corps de métal cette impression de puissance qu’elle avait ressentie auparavant. Les ombres avaient disparu et, à leur place, se tenait une femme, immense, à la peau ébène . Blanches, ses prunelles s’appesantissaient sur elle, dardant sur sa personne un regard plein de gravité. Une étrange odeur émanait de son corps. Des mots surgirent dans son esprit : calcination, fumée, bûcher, hérésie, sorcellerie. Elle lui adressa soudain un sourire complice, puis s’empara à son tour de la munition.

Il était là, assis dans son fauteuil, comme il le lui avait promis. Il avait écarté ses cheveux et elle voyait avec netteté la marque au travers de la lunette là où elle devrait frapper. Il paraissait calme, serein, en aucune façon résigné ou las. Dans le miroir, elle entraperçut son visage, le même qu’elle avait découvert cette nuit-là, la figure d’un ange que la tristesse aurait marqué.

— Que se produira-t-il ?

— Un changement, avait-il professé.

Dans la bouche d’un autre, le mot serait passé pour un doux euphémisme ; entre ses lèvres, il avait des allures de cataclysme. En cet instant, elle n’éprouvait plus cette… magie – elle avait hésité sur l’usage de ce terme – cette fascination, seulement la dureté et l’âpreté de son ton.

— Que deviendrais-je ?

Soudain, son visage s’était illuminé et ses yeux s’étaient mis à pétiller d’un sentiment qu’elle se sentait incapable d’appréhender ; de nouveau ses lèvres s’étiraient en ce sourire, qu’il qualifiait d’ironique.

Sa figure dans sa ligne de mire, elle demeura de longues secondes ainsi.

— N’ayez aucune crainte, murmura soudain une voix à son oreille.

Tentée, elle faillit se retourner. Elle ne reconnaissait que trop cette voix apaisée, presque mystique, qui la nuit l’avait emportée, presque chavirée. Elle faillit, mais resta concentrée sur sa cible dont, désormais, elle visait la nuque, son index sur la gâchette ; de son œil senestre, une larme s’échappa et roula sur sa joue glacée.


Texte publié par Diogene, 10 avril 2021 à 12h03
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