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tome 1, Chapitre 31 tome 1, Chapitre 31

Au seuil d’une porte, un noir compagnon se traînait, efflanqué et couvert de boue. Il avait cheminé depuis trop de temps et ne fut pas fâché quand il aperçut les fumées grises qui s’échappaient du dessus des cimes. Tout sourire, il était désormais assis sur le rebord d’une pierre. Face à lui, une femme au regard lunaire, elle fumait une longue et fine pipe en terre. Elle sait que les hommes de fer s’en viendront, ils escorteront un homme de loi, dont la foi lui sert de table. A son arrivée, leurs regards se croiseront et elle sourira tandis qu’il la condamnera ; elle voit tout cela et sûrement au-delà.

Lascive, extatique, la musique s’enroulait autour de son corps devenu diaphane, tandis que dans sa bouche une chose douce et chaude fondait et inondait ses veines. De sa main entrouverte, elle avait laissé s’échapper une perle couleur carmin. Ralentie, suspendue, sa chute n’en finissait pas. Dans les hauteurs, la DJ, le bras en l’air, demeurait stupéfaite, autour d’elle, les danseurs se figeaient, même la mélodie s’étirait, s’achevant sur une note sombre et lugubre.

— Te voici arrivée à la croisée des chemins, ronronnait la voix du loa. Une pour oublier, une pour se rappeler. Laquelle vas-tu choisir ?

Au fond de ses yeux, des flammes hautes s’élevaient, pareil à celle du bûcher sur lequel elle sera hissée. L’index posé sur ses lèvres sa figure s’effaçait, cependant qu’elle s’enfonçait dans les ténèbres.

Dehors, la lune était claire et la clairière pénétrée de cette lumière. Baignée de ces rayons, elle contemplait le corps de chair qu’elle façonnait de glaise. Couché à côté d’un panier, son noiraud compagnon l’observait, jetant de temps à autre une œillade furtive à la chose rose et joufflue, qui dormait à l’intérieur.

— Tu es Akonandi, la Sorcière, soufflait une voix étrangère.

Suspendue, la perle achevait sa chute. Soudain, elle heurta le sol éclatant, rebondit, s’envola, retomba, se brisa en un millier d’éclats. Lentement, le lycan s’approcha, puis s’agenouilla. Entre ciel et terre, les fragments demeuraient. La main largement ouverte, il referma pouce et index et s’empara de l’un d’entre eux. De la taille d’un pépin de grenade, il l’écrasa entre ses doigts et aussitôt s’échappa une fine poussière qui se répandit sur la piste de danse.

Inquiet, il fixait sa compagne humaine. Étendue sur le lit de braises, la silhouette rougissait peu à peu, se teignant petit à petit de teintes crépusculaires. Les yeux tournés vers le ciel clair et sa lune pleine, elle brandissait un poignard dont la lame lui renvoyait son reflet. Le poignet au levant, elle l’ouvrit du tranchant et répandit le sang, sur les lèvres entrouvertes du golem. Endormi, le poupon tétait un pouce grassouillet sous le regard attendri de ce fauve à la robe couleur nuit. Pourtant, en son cœur son âme hurlait de douleur, car il n’ignorait rien du destin qui serait le sien.

— Ainsi tu as choisi ta voie, soupira l’homme-animal, cependant qu’il brisait les derniers éclats.

Silencieux, il se releva, scruta l’assemblée de ses yeux de vif-argent, dissimulé derrière ses verres fumés. Il arpenta ainsi quelques instants la salle plongée dans l’abîme immobile, puis s’éloigna, son haut-de-forme posé sur le crâne, cependant qu’il se fondait dans l’obscur ; des larmes roulaient sur ses joues noires. Les histoires étaient ainsi faites, que derrière de simples mots pouvaient se dissimuler de bien terribles secrets.

Accroupie auprès du foyer, elle avait mêlé l’eau de lune à la cendre charbonneuse. Face à elle, le loup demeurait immobile. Il ne protesta pas quand elle commença à enduire son pelage et à le vieillir. Endormi dans son couffin, son enfant babillait dans son sommeil sans fin. Ses mains allaient, venaient. Quand cela fut fait, elle fit de même avec sa chevelure, son visage, ses membres son corps jusqu’à ce qu’elle eût l’allure d’une noiraude voûtée et malingre qui porterait sa bosse sur son dos ; en fait son enfant dissimulé. Dans la maison, son double patientait et s’occupait, comme elle l’eut été en d’autres circonstances. Bientôt les hommes de fer, accompagnant l’homme de foi, s’en viendraient et, dans le village, les visages taiseux et envieux dessilleraient, une joie féroce dessinée sur les lèvres de certains.

Et lui ?

Dans le baquet, son reflet se troubla et le profil d’un oiseau de proie apparut. Dans ses yeux scintillaient les lueurs de l’au-delà. Amère, elle retint les larmes qui montaient, avant de s’en détourner.

— Akonandi.

La voix s’élevait dans les ténèbres, résonnait dans les enceintes, se réverbérait dans la salle, fissionnant à chaque collision avec un obstacle, tournoyait autour des danseurs immobiles tandis qu’elle, les bras élevés vers les ténèbres, recueillait ce fruit issu d’un passé douloureux, dont les entrailles avaient enfanté ce futur ténébreux et vénéneux dont les échos lui parvenaient désormais. Au fond de ses yeux grands ouverts, s’élevaient désormais les flammes d’une colère sourde et indomptable qui, lentement, s’éveillait. Calme, elle balaya la piste de danse, les corps agglutinés, la DJ suspendue dans le temps, avant de les abandonner à leur sort. Accoudés au comptoir, les hommes en noir la suivaient du regard, leurs yeux noirs, dissimulés derrière leurs lunettes noires, un sourire dévoilant leurs dents ivoire.

— You put a spell on you, chantonnaient-ils à l’unisson.

— I put a spell on me ?

— You put a spell on you, ronronnait l’écho

— Because you’re mine ?

— He love you ! He love you ! He love you ! répétaient-ils les yeux fous, fondus dans le noir, cependant qu’elle s’enfonçait dans le noir horizon.


Texte publié par Diogene, 8 avril 2021 à 09h42
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