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tome 1, Chapitre 22 tome 1, Chapitre 22

Sous ses pieds, le bois âgé grinçait, tandis que le navire de pierre donnait à l’écho une tonalité tout à fait étrange, semblable au pépiement d’un oiseau au printemps. Les mains resserrées sur le col de son chaperon, elle retenait les frissons que le procurait le vent glacial qui sinuait dans les hauteurs. Troublée, elle n’osait s’avancer plus avant sur la tribune. Au fond, au-dessus du narthex, elle apercevait la silhouette massive et ombrageuse de l’orgue. Ses formidables tuyaux avaient vieilli et certains d’entre eux s’étaient effondrés, les autres étaient demeurés ; leurs gueules noires laissant s’échapper, de temps à autre, des sons mystérieux. Nombre de légendes courraient sur son compte et, tout aussi nombreux, étaient ceux qui le disaient habité par des démons. Cependant, elle n’avait que faire de ces superstitions alors, passant outre les avertissements et les objurgations, elle avait quitté la communauté et avait pris le chemin qui l’aura conduite ici.

Arrivée devant le portail, elle s’était souvenue des portes arrachées et depuis longtemps transformées en bois de chauffage. La main dans sa poche, elle en avait sorti une pièce d’ouvrage de la taille de sa paume, figurait encore dessus le mot lux. Elle avait demandé la signification de ce mot, mais personne n’avait su lui répondre, jusqu’au jour où un vieil homme s’en vint demander l’hospitalité. Vêtu de ce qui ressemblait à des peaux de bêtes, il s’appuyait sur un large bâton de chêne et il était suivi par un animal aux allures de chien, bien que sa taille fut sans commune mesure. On l’avait alors servi et offert en guise de couche, un tas de foin dans une bergerie, car tous les autres gîtes étaient pris. Mais il ne s’en était nullement offusqué et les avait remerciés. Cependant que le repas avançait, elle n’avait eu d’yeux que pour son compagnon, dont les prunelles magnifiques luisaient d’éclats mordorés. Elle avait voulu s’en approcher, mais l’étranger s’était interposé. Il ne lui aurait fait aucun mal, l’avait-il assuré, mais il ne la connaissait. Attristée, elle avait acquiescé, puis demandé s’il avait un nom.

— Lux, avait répondu le vieillard.

Surprise, elle s’était alors empressée de lui tendre la pièce de bois qu’elle avait sauvé des flammes et un sourire étrange avait illuminé son visage.

— C’est du latin, une très vieille langue, morte depuis des siècles, lui avait-il expliqué. Cela signifie lumière.

Sur ces mots, il était parti et ne l’avait, ensuite, plus jamais revue.

Face au mystère, elle se tenait roide au milieu des ténèbres, l’instrument muet la surplombant de toute splendeur déchue. Soudain, un bruit la fit sursauter.

Depuis le centre du labyrinthe, il suivait sa progression le long de la tribune. Les oreilles dressées, il écoutait les claquements secs de ses semelles sur les boiseries fatiguées, les frôlements de ses habits sur les pierres lisses, le souffle blanchi qui s’échappait de sa poitrine. Rassuré, il avait refermé ses yeux, forclos au sein de ses ténèbres la lumière qu’il protégeait. Guidé par son seul flair, il s’était enfoncé dans les ombres, il s’était glissé dans l’entrebâillement de la porte. Étouffant les bruits que pouvaient faire ses griffes lorsqu’elles heurtaient la pierre ou raclaient le bois vermoulu, il sentait grandir en son poitrail un obscur désir, né du conflit entre sa nature et son devoir. Tache numineuse au bout de la travée, elle lui tournait le dos. Ses bras resserrés autour de son corps, son chaperon rabattu sur sa tête, il devinait les ombres immenses, qui se détachait de sa personne, cependant que dans ses entrailles se réveillait une faim qui jamais ne serait assouvie. La gueule entrouverte, des filets de salive glissaient tandis que la folie s’emparait de son esprit. Vif, il se jeta sur le pieu de métal dont l’extrémité dépassait d’un pan de mur écroulé et hurla tandis que la pointe s’enfonçait dans son flanc. Qu’il se blessa ne lui importait pas, car il ne mourait pas. Mais il ne se damnerait non plus en faillant à son serment.

Elle avait sursauté et s’était retournée. Haletant, la gueule entrouverte, les mâchoires serrées, un loup au regard de feu la fixait. De son flanc déchiqueté, s’échappaient des flots poisseux, pourtant il ne paraissait pas embarrassé, alors que sa surprise allait croissant, lorsqu’elle aperçut les touffes de poils mêlées de sang accrochés à un piton de métal rouillé. Pantelant, il s’avançait, traînant sa patte postérieure dextre comme s’il eut s’agit d’un fardeau. Pourtant, elle ne ressentait à son égard aucune peur, aucune terreur, au contraire il lui inspirait comme une quiétude qu’elle aurait toujours connue, tandis que dans ses prunelles s’affrontaient ténèbres et lumière.

Il avait fait une promesse, il était de son devoir de la tenir, quand bien même il devrait dédire sa nature première. La douleur étendait ses raies, remontait le long de nerfs, cependant qu’il demeurait aux prises entre sa faim primitive et ce serment qu’il avait, un jour, prêté. Ses muscles raidis, il s’avançait, non pour la déchiqueter, la dévorer et assouvir ce désir qu’il savait sans fin, mais pour la protéger, la protéger de l’ombre qui hantait ce lieu.

Soudain, la créature avait poussé un long soupir et avait chu. A hauteur de son flanc, le flot s’était tari et sa poitrine ne se soulevait plus qu’à grand-peine. Au fond de ses yeux, l’obscurité grandissait, à mesure que sa flamme de vie s’éteignait.

Il voulait pleurer, mais il en était incapable. Il pensait survivre et accomplir la mission qu’elle lui avait confiée, jadis. Mais il avait failli et il allait mourir. Il le savait, car il sentait sa vie le fuir, cependant qu’il voyait l’ombre grandir. Noire, immense, elle élevait ses ailes et bientôt elle les envelopperait et les plongerait dans ses ténèbres ; il ferma les yeux.

Pourquoi l’avait-elle sorti de sa poche ?

Elle l’ignorait, mais elle devinait qu’il devait en être ainsi. La pièce de bois, au creux de sa paume, elle en surligna les reliefs qui aussitôt s’illuminèrent. De l’autre, elle caressa la tête du fauve agonisant tandis qu’elle l’enfonçait dans la plaie béante.


Texte publié par Diogene, 21 mars 2021 à 09h55
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