Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20

Happée par son regard de braise et de velours, elle n’avait pu s’échapper, se dérober ; le lycan l’avait crucifiée de ses yeux incandescents. Une patte, à moins que ce ne fût une main, posée sur le comptoir, il avait esquissé un semblant de sourire qui lui avait retroussé les babines, dévoilant ses dents prédatrices et ivoirines.

— Trois choix te sont possibles, murmurait l’homme au comptoir. Comme tout homme, ou toute femme, à la croisée des chemins.

Il avait posé à côté de lui un sac tressé en feuille de latanier, sur lequel reposait un large chapeau de paille, et en avait tiré une longue pipe en terre cuite. Tout occupé à en bourrer le fourreau d’herbes sèches, il la fixait sans mot dire.

— Tu peux t’enfuir, poursuivait-il, le visage soudain éclairé d’une lueur blafarde. Mais tu peux aussi tout enfouir, ou alors te souvenir.

De sa bouffarde s’élevaient désormais de larges nuages, qui s’étiraient puis se figeaient. Ainsi pétrifiés, de son index, il en saisissait les pointes et les tordait pour dessiner une singulière arabesque, une croix, un cercle, des étoiles, des déliés. Ronronnant, le lycan avait levé son verre et avait avalé une lampée de son cocktail. Les yeux posés sur les deux minuscules boîtes à ouvrage, elle n’osait en détacher son regard. Avide, elle tendait la main vers elles, puis renonçait.

Pourquoi fuir ? Pourquoi enfouir ? Pourquoi se souvenir ?

Galant, le lycan s’était soudain fendu d’une profonde révérence et l’avait invitée sur la piste de danse.

— Tu as encore le temps, petite fille, susurrait-il tandis qu’ils glissaient tous deux au rythme d’une musique hypnotique.

Une main autour de sa taille, une autre glissée dans la sienne, il lui semblait qu’elle lui appartenait, à moins que ce fût l’inverse et qu’elle ne fut le maître. Ivre, elle n’obéissait plus qu’à ses désirs, à ses envies. La musique l’enlaçait, l’enivrait, l’infusait, pareil à un sortilège qui la posséderait. Chaude, douce, elle sentait l’haleine de son partenaire sur son épaule, cependant qu’elle plantait ses crocs nouveaux dans sa chair, lui arrachant un frisson.

— I love you ! s’écriait-elle.

— I love you ! lui rétorquait-il en écho, au son chaloupé de la chanson.

Saoule, les yeux clos, elle avait mordu de plus belle dans la flamme, dans la bête, déchaînant en elle un feu brûlant de passion.

— I put a spell on you, lui glissait-elle.

— Because, I’m yours, ronronnait-il.

Folle, elle s’était laissée porter par le flot, le goût du rêve dans la bouche. Les bras passés autour du cou d’une créature du songe, elle avait senti monter en elle d’étranges sensations. Penchée en arrière, elle avait passé une main sur son visage d’homme loup, dont les yeux de braise la possédaient.

— I dont’care if you don’t want me, fredonnait-elle

— I’m yours right now, la rassurait-il ; ses lèvres effleurant les siennes.

Hallucinée, elle s’était vue transportée, emportée entre les membres puissants d’un homme à l’apparence de loup. Le pelage noir, ses yeux brillaient dans la pénombre et ses babines retroussées révélaient sa puissante dentition. Sur son dos, il l’avait emporté et le vent avait sifflé à ses oreilles. Quand elle avait rouvert les yeux, elle était couchée dans une tanière au bord d’une rivière et, au loin, elle avait entendu le ressac de la mer. Attirée par le son, elle avait marché en sa direction et l’avait retrouvé. Assis sur un rocher, sa fourrure brillait dans l’obscurité et renvoyait les reflets argentés de l’orbe lunaire qui paressait dans le ciel ; il portait, suspendu à son cou, un médaillon. Mais, à peine l’avait-elle approché, qu’il s’était éloigné, avant de se retourner et de la contempler. Vexée, elle avait tenté de l’ignorer et la curiosité l’avait emporté. Alors le loup s’en était revenu. Agenouillée, il avait alors glissé son museau au creux de son épaule et il avait soupiré, avant de se retirer.

— He put a spell on you, résonnait les échos d’une voix lointaine.

— Because you’re yours, poursuivait-elle, tandis que la musique revenait, entêtante, envoûtante, enivrante.

Un voile noir l’avait enveloppé, à la manière d’un sorcier qui lancerait son sortilège et, lorsqu’il s’était dissipé, elle était de nouveau assise sur son tabouret. Derrière son comptoir, le barman la fixait de son regard de velours. Il avait poussé devant lui les deux boîtes à ouvrage, mais le lycan n’était plus là et seuls les souvenirs de ses effluves, fauves et obsédants, demeuraient accrochés à son esprit. Frissonnante, elle avait fixé un long moment l’homme, debout derrière son comptoir.

Le regard halluciné, ses yeux roulant dans leurs orbites, tandis qu’il époussetait avec négligence sa chemise de flanelle, un sourire accroché à ses lèvres.

— Il est temps, petite fille, avait-il susurré, cependant qu’il tirait sur sa pipe de larges bouffées qui, peu à peu, l’enveloppaient, le confondant avec les ténèbres épaisses.

— Temps, pour quoi ? avait-elle alors rétorqué, le corps encore gourd et l’esprit dans du coton.

Depuis les profondeurs nocturnes, seuls ses yeux, immenses pièces d’argent, demeuraient toujours visibles, tandis que flottaient devant deux boîtes du même métal.

— L’une pour te souvenir, l’une pour enfouir. Tu n’as pas fui. À présent il te faut choisir.

Sa voix, vibrante, pareille à un bourdonnement, lui procurait d’étranges étourdissements, de singuliers engourdissements, semblables aux tendres caresses d’un amant. Détachée, elle voyait son bras se détendre, ses doigts se déployer puis refermer ; au creux de sa paume, une sensation glacée la saisissait et les billes argentées disparaissaient. Enfermées dans sa senestre, elle n’osait en découvrir le secret tandis qu’elle se glissait au bas du tabouret.

Derrière le comptoir, il n’y avait plus personne ; le bar lui-même semblait perdre de sa substance. Du bout de l’index, elle effleura la surface miroitante qui se dérobait sous sa phalange ; une vague odeur de musc flottait encore. Les paupières closes, elle se retourna. Sur la piste de danse, tout le monde était là, mouvant, coulant, se déhanchant au rythme d’une musique hypnotique. Au-dessus de la fosse, la DJ levait ses bras, ses écouteurs posés sur les oreilles, les yeux fermés, sa tête se balançait de tout côté.

Le sourire aux lèvres, elle s’avança au milieu des danseurs. D’une boîte à ouvrage, un minuscule bonbon aux reflets bleutés s’était échappé, sous sa langue, un autre fondait et il avait le goût du sang.


Texte publié par Diogene, 17 mars 2021 à 11h11
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1173 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Pélagie
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés