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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Assis devant le feu, une large couverture jetée sur les épaules, il soufflait sur le liquide brûlant qui finissait d’infuser dans sa tasse. En face de lui, l’oiseau au noir ramage, perché sur un rocher, s’ébrouait, faisant voleter çà et là quelques plumes duveteuses. Les paupières closes, sa tête s’agitait en tout sens puis s’arrêtait et il clignait des yeux, le regard tendu vers le foyer généreux. Par moment, il poussait un cri, rauque et lugubre, puis se taisait ; fixant d’un œil torve l’homme assis en tailleur sur le sol caillouteux. Silencieux, il portait sa tasse de métal brillant à ses lèvres, en aspirait le contenu et la reposait sur le sol. Parfois, il tendait le bras et se saisissait d’une longue tige de bois, plongée dans une marmite aux flancs noirs et cabossés. Sa main effectuait alors de lentes rotations et, quand il avait fini, il la sortait, humant les fumets qui s’en échappaient.

Chacun de ses gestes était empreint de gravité, de solennité, un remerciement adressé à une invisible entité. Posé sur sa tête, son chapeau à large bord masquait presque tout des traits de son visage et seule sa bouche demeurait encore de ce monde illuminé et habillé d’obscurité. Soudain, il décroisa les jambes et posa un genou sur la terre, soulevant un peu de cette étrange poussière qui scintillait sous les lueurs du ciel. Penché en avant, le visage au-dessus de la marmite bouillonnante, il en fixa un long moment le fond noir crevé par les remontées gazeuses et brûlantes, comme dans l’attente d’une chose qui n’arrivait pas, avant de se retirer ; dessous, les flammes agonisaient et les braises rougeoyaient. Se saisissant d’un chiffon, il souleva le lourd chaudron et le teint à hauteur de sa figure.

À sa surface, d’étranges ombres dansaient et se métamorphosaient, de créatures en lémures, d’animaux en bestiaux, d’humains en démons. Du plat de la main, il en effleura le flanc étamé. Doux, tiède, par endroit, brûlant, rugueux, comme si une armée de minuscules insectes y avait enfoncé leur dard, en d’autres, le temps, les coups, le froid, les éléments, tous l’avaient usée et le métal avait maintenant l’épaisseur d’une feuille de papier. Reflété dedans, son visage était comme nimbé d’une gloire façonnée de flammes et ses yeux étincelaient, baignés des couleurs du couchant. Soudain la marmite s’échappa d’entre ses doigts, sa paume le brûlait. Projetée dans le vide, l’anse heurta le corps ventru avec un bruit sec et métallique, tandis que les reliefs de son repas se déversaient par terre. Poisseuse, visqueuse, une eau noire aux reflets argentés se répandait sur le sol, étouffant les échos luminescents.

Toujours perché sur son rocher, le corvidé avait tout vu, son œil noir rivé sur lui ; dans son bec, il tenait une fine brindille. Il se secoua un instant, ébouriffant son plumage, puis s’envola pour se percher sur une branche d’acacia.

Encore agenouillé, l’homme contemplait son membre devenu tout à coup mou. Ses doigts tremblaient et se refusaient à se plier à ses injonctions. Au creux de sa paume, la tache noire se mouvait, achevant sa métamorphose. Sa senestre entourant son poignet dextre, il posa sa main à plat sur le sol gelé. Brillant de mille feux bleutés, les grains de sable paraissaient refléter le ciel. Ses phalanges étaient agitées de spasmes et ses chairs étaient agitées d’autant de tressautements que de tressaillements, tandis que les aspérités minérales s’incrustaient dans sa peau. Il demeura ainsi de longues minutes. Dans le firmament, des nuages voilaient les étoiles et lorsqu’il la retira, elle était devenue semblable à l’un de ces astres qui peuplaient la voûte céleste, une chose numineuse. Stupéfait, il la contempla un instant, puis souffla dessus et une nuée argentée s’envola dans les cieux ; au creux de sa main, la tache ombre était toujours là. À présent, elle dessinait la figure d’un chaperon.

Perché sur sa branche, l’oiseau s’était endormi, la tête enfouie dans son ramage. Seuls l’éclat des flammes sur son plumage trahissaient sa présence. L’homme le fixa un long moment puis se releva. Sur le sol, la marmite gisait couchée sur le flanc, à côté d’un feu agonisant, dont les pâles flammèches ne dispensaient plus qu’une lumière falote. Penché dessus, il se saisit de la braisière et l’épousseta, avant de la reposer sur son fondement. Du brasier, s’échappait encore un peu de fumée.

Accroupi, il ramassa alors une large poignée de sable et la répandit sur le foyer. Furieux, le feu é quelques larges flammes avant de s’éteindre. Ne demeurait plus que l’œil rouge et sombre d’une braise encore chaude qui le fixait encore, à demi enfouie dans un lit de cendres et de poussières. Ainsi composé, il lui semblait contempler l’esquisse d’un animal : son oreille dressée à l’aide de brindilles, son crâne allongé, achevé par un museau long et pointu, découvrirait des dents de carnassiers, découpées dans les débris de pierres qui jonchaient le sol. Quant à son pelage, il serait dessiné dans la poussière. Mais le vent, mauvais, se leva soudain et balaya la nature morte, dispersant à jamais son image rémanente. Couvert des scories de son brasier, la braise fumante s’éteignit ; elle n’était plus qu’un morceau de charbon encore chaud qui se refroidissait lentement.

Encore une fois, il s’interrogea. Le zéphyr s’était assoupi, aussi vite qu’il s’en était venu. À présent, plongé dans une obscurité, seulement troublée par la présence de la lune et de son cortège étoilé qui perçaient derrière le voile nuageux, il se releva et épousseta ses habits. Il attrapa ensuite son sac, dont il tira un mince matelas roulé sur lui-même, retenu par de vieux morceaux de ficelle usée et déchirée. L’ayant étalé, sa besace tassée contre un rocher, il s’allongea, jetant sur lui la lourde couverture qu’il avait balancée sur ses épaules.

Troublé, il fixait encore la marque noire dessinée au creux de sa paume encore endolorie, cependant que Morphée l’entourait de ses bras.


Texte publié par Diogene, 9 mars 2021 à 12h49
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