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tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12

Haletant, le souffle court, chaque bouffée d’air inspiré le soulageait, apaisait les remugles de son estomac récalcitrant. Hélas, chaque expiration était aussitôt l’expression d’une nouvelle souffrance, d’une nouvelle agitation, vertigineuse et migraineuse.

Collé à son épiderme, le tissu mité de son pyjama avait pris la texture d’une vieille serpillière rêche qui lui râpait la peau. Les mains accrochées au rebord du lavabo, il goûtait la délicieuse froideur de l’émail qu’il sentait fondre entre ses doigts. Ses forces l’abandonnaient ; de justesse, il se rattrapa au radiateur encastré qui gémit sous la contrainte, avant de s’allonger sur le carrelage glacial. Hasardeux, il déboutonnait à tâtons les pans de sa veste. chaque point arraché sonnait comme une victoire, tandis qu’un courant d’air frais enveloppait, soulageait sa poitrine.

Mais la migraine était toujours là, tapie quelque part, sournoise, attendant qu’il se relâchât pour mieux fondre et planter ses serres dans ses tempes et se délecter de ses méninges. De minuscules taches colorées illuminaient son champ de vision et dans un sursaut, il balança ce qu’il restait de son haut en direction du trône. Le contact du sol faïencé contre son dos l’électrifia, lui offrant l’un de ses instants de répit qu’il redoutait tant, car alors l’ombre noire fondrait sur lui.

Sa poitrine se soulevait, se creusait à vive allure et les papillons dansaient devant ses yeux ; il éclata de rire. Inextinguible, irrépressible, c’était pour lui la seule issue cependant que, fébrile, il déchirait son pantalon qui demeurait accroché à ses chevilles.

Nu, il se roula sur le sol froid pour éteindre un brasier que rien ne semblait pouvoir arrêter. Des flammes le dévoraient, le consumaient. Les bras tendus, les jambes raides, le dos arqué, il hurlait, mais aucun son ne sortait de sa gorge sèche. Étendu sur le sol, à la recherche du moindre point de fraîcheur, il était arrivé contre la paroi de sa baignoire. Les yeux grands ouverts, c’était à peine s’il en envisageait le sommet, tant elle lui paraissait lointaine, alors même que la douleur lui enserrait la tête, de la même manière que si quelqu’un, diable ou démon, la lui avait placé dans un étau et aurait serré à petit feu, afin de prolonger au mieux le supplice.

Comment était-il arrivé là ; petit baigneur dans son eau tiède et saumâtre ?

Les douleurs dans le crâne étaient toujours présentes, mais elles semblaient à présent refluer. Mou, il se sentait de la consistance d’un tofu mal pris. Les paupières entrouvertes, il devinait les contours sales de sa salle de bain, les joints moisis et émiettés, les carreaux tachés de calcaire et de terre, les serviettes humides qui pendaient çà et là. Il étira une jambe et son pied heurta le pommeau de sa douche qui tomba dans l’eau avec un bruit flasque. En d’autres instants, il aurait poussé un juron, traité de tous les noms d’oiseaux sa maladresse ; là, il se sentait seulement trop las. Une main émergea de la surface liquide, blanche zébrée de rouge ; des veines saillaient. L’index posé dessus, il battait la mesure de son palpitant, un sourire dessiné sur les lèvres, comme la grimace d’un mauvais clown à qui des enfants auraient joué un vilain tour. Dans sa boîte crânienne, les lames de rasoir dansaient toujours au son de l’orchestre du Diable, pendant qu’une pluie fine et doucereuse lui baignait le visage. Arachnéennes, ses phalanges tentaient de se saisir des perles de lumières qui scintillaient au-dessus de sa tête, surtout la plus grosse d’entre elles avec ses reliefs et ses cratères.

Dans son bain, nu comme le serait un ver, il riait de ses bêtises et retombait dans une enfance qui lui paraissait soudain plus aussi lointaine qu’auparavant. Il avait rampé depuis sa chambre à la recherche d’un cachet pour le soulager et la douleur l’avait terrassée. À présent qu’elle passait, il s’éveillait semblable au nouveau-né qui flotterait dans l’océan amniotique, avec la voûte céleste pour compagnie. Soulagé, à défaut de félicité, il savourait la pluie qui tombait sur son visage et la brise qui le rafraîchissait, malgré les doutes qui l’assaillaient de part en part et l’incongruité, pour ne pas dire l’absurdité de sa situation. Les mains sur les rebords en émail, il grattait de l’extrémité de l’index le joint moisi qui, par endroit, se décollait et s’arrachait. Les pieds collés aux carreaux de faïence, il battait une mesure lente et lancinante.

Dans le ciel, d’épais nuages, oiseaux de mauvais augure, s’amoncelaient et dissimulaient les uns après les autres, les astres nocturnes. Mais il n’en avait cure et, oublieux de l’ouverture béante dans le plafond de sa salle de bain, il continuait de se bercer d’illusions, malgré les appels incessants de sa raison. La douleur était sa seule compagne et la migraine une maîtresse traîtresse ; son pied heurta le porte-savon et un objet obèse de la taille de son poing tomba dans l’eau avec un gros plouf. Qu’il y eût ou non un trou dans le plafond, qu’il fût ou non dans une baignoire emplie d’une eau infâme et saumâtre ne l’importait pas et il sentait le sommeil, enfin, qui le gagnait.

— J’arrive Lemmy ! songeait-il.

Au même instant, la voix éraillée d’Ozzy Osbourne s’éleva, accompagnée des rifs ravageurs Tony Iommi, qui s’élevaient depuis les ténèbres, et une cohorte de spectres pénétra dans la pièce. Pink était le premier, grand, maigre, sec, le regard perçant. Jimmy était le second, une statocaster montée à l’envers entre les mains, accompagné de Janis, cependant que des sons chauds et rauques s’échappaient de sa bouche entrouverte. Derrière, obèse, et malgré sa superbe oubliée, Elvis les accompagnait. Mick fermait la marche, du moins le croyait-il, car déjà Buck Dhama s’approchait, suivi de Bernie. Combien d’autres encore ?

— Je délire, murmurait-il pour lui-même, cependant qu’une ombre planait, une ombre au visage clair, un masque de pierre et de poussière qui souffla sur lui un peu de ce sable qu’un marchand, un jour, lui avait confié.

Tombés dans ses yeux, ils lui avaient déchiré les paupières, arraché les chairs, crevé ses prunelles, offert sa vision aux ténèbres. Enfin, il aspirait au sommeil.


Texte publié par Diogene, 4 février 2021 à 21h30
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