Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 11 tome 1, Chapitre 11

Le jeu se poursuivait, intense, brûlant ; seule, toute seule au milieu du chaos organique.

Bonbon rouge, bonbon bleu, ils s’entrechoquaient autour de son cou.

L’homme l’avait arrêté d’un geste, lorsqu’elle avait étendu la main en direction des deux minuscules boîtes posées sur le comptoir, et il avait secoué la tête. Son sourire dévoilait des dents, blanches et délicates, mal ordonnées et déchiquetées, sales et trouées, car elles étaient tout cela à la fois ; des visions superposées. Puis il avait posé un doigt sur ses lèvres.

— Plus tard, avait-il semblé lui murmurer de ce regard si fascinant, si hypnotisant, allumant un incendie né au creux de ses reins et puis, il y avait son rire, incoercible, irrépressible, irréfrénable, ses lèvres qui s’étiraient à l’infini.

Soudain, il avait ôté ses lorgnons et avait révélé des yeux fous ; au fond, se reflétaient les flammes bleues d’un cocktail servi dans une chope en étain. D’une main souple, il s’en était emparé, alors qu’une seconde apparaissait sur le comptoir, déposée par un noir au regard fatal ; un os lui transperçait la cloison nasale. Vêtu d’une veste de velours pourpre, une lourde chaîne était passée autour de son cou, au bout de laquelle étaient suspendus des ossements d’animaux, une corne et un crâne d’oiseau, dont les orbites vides lui renvoyaient la folie de son maître.

— I put a spell on you, s’était-il soudain écrié, comme une flamme s’échappait d’entre ses mains.

— He puts a spell on you, avait ronronné en écho son compagnon.

— Because, you’re mine.

— Stop the thing you do !

Des lueurs mordorées jaillissaient à présent de leur verre au rythme de la chanson, que les deux hommes chantaient en canon.

— Watch out !

— Watch out !

— I ain't lyin' !

— He love you !

— I love you !

— He love you, yeah !

Un sort noir l’avait entouré et la musique s’était déchaînée, dominée par les chants graves de ses deux compagnons, dont les bras agitaient, au-dessus de leurs têtes, des sceptres sculptés dans l’ébène, coiffés de crâne. Tour à tour, ils s’étaient approchés, tour à tour ils l’avaient frôlée, tour à tour ils avaient murmuré, des paroles tendres et amères, des paroles faites de promesses et de caresses.

Au loin, résonnaient d’autres voix, oubliées ou passées, proches ou à venir, des voix familières et d’autres tout à fait étrangères, des voix aux accents amers où perçait la colère, alors que ses amants éphémères l’esquivaient et s’éloignaient. Aux prises avec le maelström, elle en émergea pareille à une déesse, ses bras nus étendus dans les airs, caressant du bout des doigts l’atmosphère chaude et moite de la pièce.

— Because you’re yours, susurrait un homme aux yeux de loup.

Une chope enflammée entre les mains, une autre posée sur le comptoir, il souriait ; il souriait et l’invitait à partager son secret. Des flammèches rouges s’élevaient et étouffaient les premières ; au fond des paysages se fondaient, des images ondoyaient.

— Si tu veux savoir, il te faut la boire, semblait lui murmurer le lycan.

Ses yeux de velours luisaient et la rendait toute chose. Poupée de chiffon, ses membres ne lui obéissaient plus, sa main se tendait, ses doigts se refermaient, tandis qu’elle se saisissait de son verre dans lequel le feu dansait.

— Bois, si tu veux savoir, lui chuchotait l’homme au comptoir ; dans son nez, l’os s’agitait ; dans leurs orbites, ses yeux roulaient ; son nom était folie.

Alors elle sourit, elle sourit et leurs verres s’entrechoquèrent. Des étincelles crépitèrent, des larmes enflammées s’envolèrent. Ensemble, ils burent le breuvage amer et se regardèrent. L’homme toujours souriait, malgré l’inquiétude qui envahissait les globes sous ses paupières.

Riant aux éclats, elle devinait la vague qui déferlerait et l’emporterait. Nue sur la plage, elle en apercevait la silhouette, cependant que derrière elle, le sorcier la couvait du regard ; la figure du lycan en trophée sur son sceptre en ivoire, dont la gueule noire s’ouvrait sur un cri muet. Elle l’entendait qui grondait, qui s’enflait à l’approche du rivage, comme un mélange de rumeurs et d’odeurs. Les bras écartés, allongée sur le sable, elle contemplait le ciel lunaire, parée d’étoiles sans lumière. De l’index, elle traçait des constellations imaginaires, au sein desquelles se déployaient des images nouvelles qui l’emplissaient.

— N’oublie pas, petite fille, murmurait la voix de l’homme assis au comptoir.

Ses bras retombèrent mollement sur le sable ; le rugissement de la vague résonnait jusque dans ses entrailles, mais aucun hurlement n’en jaillirait, pas même un cri d’épouvante ; elle était sereine.

— He puts a spell on you !

Noyée dans l’élément liquide, elle était tout sourire, happant à grandes goulées la substance même du maelström ; un alcool brûlant qui lui échauffait les sens. Les yeux grands ouverts, elle apercevait la silhouette noire de cet étrange noir assis sur un tabouret. Il poussait devant lui deux boîtes façonnées de métal et faisait chanter la surface lisse du comptoir, qu’un orchestre accompagnait de ses notes chaudes et obscures.

— Pour moi ? s’entendait-elle répondre, alors que la vague la tirait toujours plus loin vers le fond.

— Pour toi !

Les yeux de l’homme pétillaient et lançaient des étincelles. Il paraissait porter un masque, à moins que ce fût le manque d’oxygène. Elle but encore une gorgée de marguerita. Les images se superposaient : il y avait l’homme, mais aussi le lycan, le lycan avec sa gueule béante, un haut-de-forme posé entre ses oreilles, des lorgnons à cheval sur son museau. Elle était saoule et elle avait éclaté de rire, quand l’autre lui avait rendu son sourire.

— L’un pour te rendormir, l’autre pour te souvenir, avait-il murmuré, tandis qu’il effleurait les couvercles qui s’ouvrirent sans un bruit.

— Le rouge pour devenir, le bleu pour enfouir.

De la taille d’une pièce de quelques centimes, percés en leur milieu, épais d’un demi-pouce, il ressemblait aux perles de sucre de ces colliers qu’elle achetait étant petite.


Texte publié par Diogene, 26 janvier 2021 à 14h04
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 11 tome 1, Chapitre 11
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1173 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Pélagie
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés