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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Les mains placées à hauteur du front, en vis-à-vis de ses yeux, il contemplait le ciel et l’astre jaune, voilé par une brume épaisse et brune. Harassé par la chaleur accablante, il s’était assis sur une pierre ombragée, adossé contre le tronc noueux d’un protea, dont les fleurs aux pétales rosés penchaient dangereusement, répandant sur ses cheveux ras des volutes d’un pollen orangé et collant. Las, il se passa une main sur le crâne et épousseta sa tignasse rase, faisant s’envoler une poussière jaunâtre. Négligent, il l’essuya à plusieurs reprises sur sa cuisse, étalant de larges traînées couleur ocre sur son pantalon de jean.

Perché sur la branche d’un acacia, un corbeau, à l’œil noir, picorait le cadavre décharné de ce qui ressemblait à un lézard. A demi éventré, il fouraillait dans son abdomen avant de se relever ; un cordon de chair rougeâtre dépassait de son bec. Nerveux, il secouait la tête, en même qu’il happait les débris de sa proie.

Silencieux, il l’observa encore un moment, puis se détourna. À ses pieds, un peu de cette poussière rouge que le vent charriait recouvrait son sac ; il l’épousseta. Mêlés à l’ocre du pollen, ses doigts s’étaient teintés d’une étrange couleur orangée qui lui rappelait le ciel voilé. Amusé, il lécha l’extrémité de son index ; le mélange était doux-amer et s’achevait sur une note légèrement sucrée.

Toujours perché sur sa branche, l’oiseau avait achevé son repas et s’ébrouait, indifférent à l’homme qui le fixait. Du duvet voletait autour de lui, tandis qu’il s’épouillait, s’arrachant au passage de vieilles plumes qui tombaient sans mouvement sur le sol brûlant. Semblablement satisfait, il releva la tête et la secoua plusieurs fois, le bec entrouvert comme pour capter l’impossible fraîcheur sur lieu. Assis sur son rocher, l’humain le regardait. Sa main à revers posé sur le front, il scrutait l’horizon poussiéreux.

Qu’attendait-il ?

Soudain, un long jet d’une matière brunâtre et visqueuse s’échappa de sa bouche, puis s’écrasa sur une pierre de sel. Le corbeau poussa un cri et battit un instant des ailes, soulevant les nuées. L’homme plongeait une main dans la masse sombre et en retira un objet oblong qu’il porta à ses lèvres, avant de le reposer dans un profond soupir.

Un peu de liquide avait débordé et il passa son poignet sur son menton. Raide, il contempla un long moment l’orifice de la gourde, puis la referma d’un geste sec. Les mains refermées dessus, il tentait de profiter de la tiédeur du récipient. Dans ses poumons, l’air alourdi des fumées âcres, qui s’en venaient de l’ouest, encombré de miasmes s’agglomérait au contact de ses sécrétions bronchiques. De nouveau, il se racla la gorge et un lourd glaviot brun et collant jaillit hors de son organisme. Silencieux, il le regarda s’envoler, décrire cette trop fameuse parabole si chère au grand Newton, avant de s’écraser sur le sol dans un bruit mou.

Paresseux, le vent poussait un buisson desséché qui roulait sans heurt sur le sol accidenté. Derrière lui, s’échappaient de minuscules bris de paille qui dessinait une piste emplie de mystères. Dans le ciel, le soleil s’élevait toujours plus haut et les ombres raccourcissaient ; bientôt, il n’y en aurait plus et même le protea ne serait plus qu’un piètre refuge.

Dans l’arbre, le corbeau s’envola, ne laissant, comme ultime trace de son passage, que le cadavre desséché d’un lézard couvert de duvet.

Était-ce le signe qu’il attendait ? Ou simplement était-ce un prétexte ?

Dans le firmament, l’oiseau n’était plus qu’une tache indistincte. L’homme s’était redressé et avait ramassé son sac, avant de le balancer sur son épaule, avant de le reposer sur le sol caillouteux. Sa chemise entrouverte, il en referma les boutons, soustrayant à l’astre son médaillon. Personne ne saurait le voir, pas même celui qui habitait le Très-Haut ; il poussa un long soupir. Ses jambes étaient douloureuses et ses pieds, toujours emprisonnés dans ses vieilles santiags, dont les bords élimés avaient perdu de leur couleur et de leur superbe, lui faisaient souffrir le martyre. Cependant, il lui fallait poursuivre, reprendre cette marche sans but ni fin qui l’avait conduit jusqu’ici. La main en casquette sur le front, il ombrageait ses yeux blessés par une luminosité devenue soudain trop crue ; il apercevait toujours la colline au loin. Soulagé, il savait qu’il ne lui restait plus que quelques heures de marché. Sans doute n’avait-il déjà que trop tardé ; il haussa les épaules.

La main plongée dans sa besace, il en sortit un vieux poncho troué qu’il enfila aussitôt, ainsi qu’un sombrero qu’il posa sur son crâne. Penché en avant, les mains sur les rotules, il étira ses membres douloureux, puis se redressa, jetant son sac sur son dos. Sur le sol, son ombre projetée ne mesurait plus que la moitié de sa taille ; un sourire las étira ses joues mal rasées. Il pencha par deux fois sa tête sur le côté, faisant craquer autant de terribles fois ses vertèbres cervicales. Le soleil, malgré le voile de poussière qui l’obombrait, dardait des rayons de plus en plus forts, de plus en plus chauds. Pourtant, il semblait ne ressentir aucune gêne maintenant qu’il marchait. Son pas était sûr et alerte.

Chaque fois qu’il posait le pied à terre, il esquivait la pierre pointue ou la racine traîtresse qui aurait pu précipiter sa chute. Très vite, il dépassa l’acacia, sans même un regard pour le cadavre qui se balançait, et s’enfonça dans la plaine désertée, jaune et ocre. À l’horizon, de lourdes fumées noires et épaisses s’élevaient. Par moment, il semblait ralentir le pas et tournait sa figure masquée par un morceau d’étoffe. Il demeurait ainsi plusieurs minutes, puis s’en désintéressait ; la cité l’attendait.


Texte publié par Diogene, 20 décembre 2020 à 19h21
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