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Il existait autrefois un village niché entre les collines verdoyantes et la mer. Ses habitants, de fiers petits paysans débrouillards, travaillaient la terre et bravaient sans relâche la cruelle et juste Nature qui leur apportait et la vie et la mort. Leurs petites masures aux toits de chaume se blottissaient entre elles pour résister aux intempéries incessantes. Le vent d’ouest s’engouffrait dans la Grand’ Rue, charriant avec lui les nouvelles du lointain. Le printemps amenait la douce pluie, l’été l’orage et l’automne l’hiver. Le temps restait figé dans les landes brunes et le gris ciel. Le paysan restait figé dans la tradition et l’habitude.

Or, il y avait parmi eux celui que l’on appelait Bartholomew. Sa curiosité et sa soif de connaissances dépassaient alors tout ce qui ne fut jamais observé au village. Il employait tout son temps à satisfaire cette soif, des prémices de l’aube à la nuit sombre porteuse de doutes et de conseils. Le paysan Tom lui montrait les choses de l’agriculture, Alfred le maçon les fondements de l’architecture et Amicia la tisserande les arcanes de la fabrication d’étoffes. Son compagnon préféré demeurait celui qu’on appelait « le Vieux », et on l’appelait ainsi car il portait naguère de multiples noms aux consonnances étrangères et irritantes. Sa connaissance des choses du monde dépassait celle de tous les villageois réunis. La vieillesse ne lui avait néanmoins apporté que craintes et superstitions en dépit de la sagesse attendue. Parfois, le Vieux pensait tout haut et Bartholomew l’écoutait. Cela pouvait durer des heures avant que l’ancêtre ne s’écroule de fatigue, la gorge sèche et la respiration courte. Au travers des paroles inintelligibles apparaissait le récit de musiques lointaines sortant d’instruments de légende et d’arts plus purs que l’architecture et le tissage.

Bartholomew, qui trouvait bien vulgaire le travail de ses mains, devint bientôt un fardeau auprès des siens. Son intrigante personne agaçait. Les orgueilleux fermiers, blessés par des questions auxquelles ils ne savaient répondre, précipitèrent soudain son départ. Le jeune homme, bien davantage troublé que triste, emporta un maigre bagage et s’engagea sur les routes qui menaient au monde. Arrivé au promontoire est de la vallée, il observa les maisons et le ciel bleu pastel. Là, accablé de l’ennui naissant et, bien que le jeune homme ne se l’avoua pas lui-même, pour se donner du courage, il entonna une chanson. Alors que sa voie s’élevait dans l’air froid et mordant du matin, Bartholomew commença à presser le pas et sautillait. Une telle joie emplit bientôt son cœur que, d’une chanson passant à une autre, la route se fit plus légère et les nuages plus doux. Toute la forêt soudain porta une même mélodie, comme jamais auparavant elle n’avait résonné. Ainsi Bartholomew parcourut plaines, collines et vallées.

Il arriva un jour où, ayant voyagé tant et si bien, Bartholomew rencontra une végétation dont il ne devinait que le parfum enivrant. Et, sous ses yeux ébahis, une mer d’émeraude s’étendit à ses pieds. Cette dernière lui sembla bien différente du bouillon gris que l’on appelait mer dans son pays. Longeant la côte, il aperçut alors un vaste chantier. La construction qui s’élevait lui sembla si élégante et soignée que le jeune homme, ne pouvant réprimer sa curiosité, s’élança vers celle-ci. A ses pieds, il n’y trouva néanmoins qu’une jeune femme assise sur un rocher plat. Elle avait étalé sur la pierre ce qui sembla à Bartholomew être des dessins, bien que jamais il n’en avait vu de semblables. Dans sa main droite, la femme tenait un drôle d’instrument composé de deux branches liées à leur sommet. Elle observait attentivement son travail tandis que Bartholomew s’approchait. La jeune femme finalement leva la tête et lui sourit. Se perdant dans ses conjonctures, Bartholomew s’oubliait complètement et une expression d’admiration et de naïveté enfantine se peignait sur son visage : « A en juger par votre attitude, mon œuvre vous étonne, n’est-ce pas ? Le jeune homme reprenait avec peine ses esprits.

- Oui … Est-ce donc les plans de l’ouvrage qui ici s’élève ? La jeune femme marqua une pause et contempla ses plans.

- Cela se pourrait bien.

- Dans mon pays aussi, de nombreuses constructions sont bâtis. Toutefois, jamais architecte n’utilisa ce genre de dessins. Qu’est-ce ? »

De question en question, qui parurent bien honteuses à notre voyageur, la jeune femme expliqua néanmoins calmement les principes de sa science. Et Bartholomew de s’en instruire. Cette nouvelle discipline lui parut au premier instant des plus faciles, bien qu’il déchantât rapidement. Sous l’enseignement de la jeune femme, il progressa tant bien que mal, trébuchant souvent et s’en relevant couvert de joie. Parfois, à la satisfaction succédait l’orgueil. Alors la préceptrice lui présentait de nouvelles difficultés qui le ramenaient dans sa première humilité.

Lorsqu’enfin il maîtrisa les fondements de la Géométrie et de la Mathématique, Bartholomew décida de reprendre la route et dit adieu à la jeune femme auquel il devait ses nouveaux savoirs. Quand l’été cueillit les fruits faisant ployer l’arbre, notre voyageur se trouvait déjà en une contrée bien éloignée de la mer d’azur qu’il avait observé. Le pays s’écrasait sous la chaleur et Bartholomew s’épuisait sur la route. Au détour d’une petite ville, il s’abattit sur la première fontaine qu’il trouva. Tandis que le jeune homme, le souffle court, s’affalait sur le bord de cette dernière, une mélodie s’éleva dans l’air immobile de la ville déserte. Gracieuse et solennelle, elle dégageait un calme sourd et profond. Bartholomew se figea et n’éprouva plus qu’un aveugle désir d’en découvrir l’origine. Une église. Une église s’élevait devant ses yeux. Il s’approcha, le cœur battant, courant presque, transpirant et pourtant glacé par ce son envoûtant. Au moment où il franchit le portail, la mélodie s’éleva en un souffle rauque, puissant et fantastique. Bartholomew fut secoué de frissons. Les larmes lui montèrent aux yeux. Bartholomew se promit d’admirer à jamais cet art et devint bientôt le disciple de l’artiste. Il lui sembla être une chose bien plus difficile que tout ce qu’il n’avait jamais appris que de produire une telle musique. Mais la satisfaction de faire parler la partition l’emplit bientôt de fierté. Loin d’être une mauvaise chose, le jeune homme n’en fut que plus confiant dans ses études. Toutefois, lorsque cette dernière se muait en orgueil, l’artiste et ses compositions le ramenaient à sa première humilité.

Laissant à contrecœur mais non sans moins de détermination son dernier maître, Bartholomew s’élança à nouveau sur les chemins qui déjà l’avaient conduit bien loin de chez lui. L’été avait alors laissé sa place au crépuscule de l’année où le soleil côtoie davantage l’horizon que le zénith. Là, le cœur léger et l’esprit reposé, Bartholomew errait parmi les forêts rougis, accueillant pluie et vent comme de vieilles connaissances. Et tandis que le soleil finissait sa course qu’il avait débuté lors des premiers jours de printemps et qu’il achèverait aux portes de l’hiver, Bartholomew arriva aux bords d’un fleuve noueux et large. Des oiseaux marins accompagnaient sa marche et planaient au-dessus de lui. Au plus proche de l’onde, dans un parc peu entretenu, le jeune homme découvrit une sorte de manoir en piteux état. Se risquant à s’approcher, il trouva la porte non verrouillée, l’enclencha et pénétra à l’intérieur. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’une voix de vieille femme lui intima alors sur un ton des plus enjoués de la rejoindre auprès du feu. Bartholomew la trouva alors, assise sur une petite chaise, lisant un livre et riant de bon cœur : « Excusez-moi, madame, je ne vais pas davantage vous déranger, balbutia le jeune homme. Elle rigola de plus belle, sans lever même la tête de son ouvrage. Bartholomew la crut folle et esquissa un pas pour se retirer. La vieille femme se mit alors à parler :

- Approche mon enfant. Regarde. Ce livre relate la vie de ma mère. L’homme qui l’écrivit fut talentueux. C’était mon père. Bartholomew, intrigué par ce jargon sénile et inintelligible, s’approcha un peu. Tous les deux ne furent pas également bon avec moi, reprit-elle. Ma mère m’abandonna. Mon père jamais ne pris la peine d’écrire mon histoire, bien qu’il m’accueillît ici et m’instruisit un peu de art.

- Seriez-vous encore capable de m’en instruire à votre tour ? La phrase sortit de la bouche du jeune homme sans même qu’il prit la peine d’y penser. La vieille dame releva la tête et regarda pensivement son petit feu. Elle opinait légèrement de la tête.

- Oui. Oui, j’en serais capable. Si vous vous montrez toutefois aussi curieux qu’à présent en toutes circonstances. »

Elle dévisagea Bartholomew, un grand sourire illuminant son visage. Ce dernier avait une nouvelle fois trouvé de qui apprendre. Le jeune voyageur apprit donc. Aux côtés de la vieille femme, les froides journées de l’hiver renaissaient en une multitude de rires et de chansons. Mais toujours la vieille rappelait à Bartholomew l’humilité dont il devait faire preuve dans son art. Ce fut avec un immense regret qu’il dut la quitter, emportant avec lui un morceau de bonne humeur et des livres. Alors que les beaux jours s’annonçaient, la route redevient le foyer de Bartholomew.

Un beau matin, le jeune homme avançait gaiement et légèrement à travers la campagne. La rosée perlait sur les hautes herbes. Une brume légère s’attachait aux rivières et aux vallons, lumineuse, et laissant bientôt place à un soleil pâle et chaud. Bien que rompu au spectacle, Bartholomew observait ces merveilles comme si jamais auparavant elles n’avaient éclos devant ses yeux. Arrivé au sommet d’une douce colline, de nombreuses voies se rencontraient. A la croisée même de ces dernières se tenait appuyé sur un bâton de pèlerin un homme au visage meurtri par les intempéries. Les deux hommes discutèrent. Le vieillard lui expliqua qu’il errait à présent sur ces mêmes chemins depuis bien longtemps, espérant toujours faire face à l’inconnu et à l’aventure chaque matin. Aujourd’hui rompue par la vieillesse, il se sentait las. Bartholomew l’écoutait silencieusement, avant que les deux hommes ne se séparent à jamais. Cette discussion réveilla chez le jeune homme une sorte de volonté, celle de ne jamais finir comme ce voyageur. Et il se souvint de son village, de ses petits paysans qu’il aimait bien au fond. Bartholomew comprit alors que sa route ne le mènerait plus vers le monde, mais vers chez lui. Ainsi le curieux voyageur retrouva sa terre natale. Fort de ses savoirs, de sa connaissance du monde et des arts, il entreprit de les partager avec les hommes et les femmes. Ses préceptes se transmirent, et toujours les hommes qui enseignaient se firent plus rares que ceux qui apprenaient dans le petit village des montagnes.

Fin.


Texte publié par Les Plumes exogènes, 11 novembre 2020 à 15h53
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