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tome 1, Chapitre 1 « Chapitre Premier » tome 1, Chapitre 1

Tous les Sorciers de la Tour ne sont pas égaux.

Certains vagabondent sur les terres royales, accompagnés bien évidement de leurs Surveillants, pour accomplir des tâches que seuls les Sorciers sont capables d'effectuer. Certains, ainsi, acquièrent une renommée importante, presque de la célébrité, tandis que d'autres, moins efficaces ou bons dans l'art de la sorcellerie, se contentent de menus contrats. Les Surveillants sont dès lors chargés de les suivre, de les contrôler si besoin, voire de les tuer si nous étions hors de contrôle.

Je n'ai pas encore la chance d'obtenir un contrat. Je ne suis que novice, bien que je vive ici depuis ma plus tendre enfance. Les chances pour moi de partir de ces murs sont encore faibles, pourtant Madame Blanchesec est venue me chercher dans ma salle de pratique de l'art élémentaire.

Elle marche vite, d'un pas rapide, sa robe noire claquant autour de ses chevilles. Je l'observe de dos, son chignon gris strict semble tirer les cheveux des racines. Cette coiffure doit être douloureuse, me dis-je alors.

D'après elle, je suis âgée de dix-sept ans, l'âge requis pour partir sur les terres du royaume, remplir les clauses d'un contrat pour les nobles, et revenir ici, comme beaucoup le font déjà. Mais personne, dans les Comtés, n'a jugé que mon profil est intéressant. Jusqu'à, visiblement, aujourd'hui. J'ignore si je dois me réjouir, si je dois sourire et être heureuse ; je me satisfais à suivre le dos droit de Madame Blanchesec, silencieuse et soumise comme j'ai toujours appris à être.

De passé, je n'ai pas. Ma vie se contente d'être dans l'instant présent. Mon premier véritable souvenir est ici, dans la Tour, lorsque je suis arrivée dans le dortoir des filles fraîchement cueillies dans les campagnes et les villes, attrapées lorsqu'elles avaient certainement fait usage de la magie par accidents ; pleurs, cris, sanglots, froid et humidité sont mes premiers compagnons dans l'existence. Alors, en marchant dans les pas de Madame Blanchesec, je suis en train de réaliser que ma vie va changer.

J'ai un premier contrat. Le tout premier de ma carrière.

« Si vous vous montrez assidue, il se peut que vous puissiez obtenir de nouveaux contrats et ainsi participer à la richesse de vos camarades. Plus vous êtes sérieuse, soumis et surveillée, plus les enfants arrivant à la Tour auront un meilleur traitement. » Je me rappelle très bien ces paroles, quand j'étais encore qu'une jeune enfant. La règle est simple, si simple, que le plus bête des Sorciers peut la comprendre.

Plus la Tour obtient de contrats, plus les denrées que nous sommes en mesure d'acheter pour soi et les autres sont de qualités, plus les repas seront nourrissants. Cela induit un comportement parfaitement huilé, nous nous montrons donc tous sérieux. Les contrats sont précieux, sans quoi nous ne pourrions garantir la survie de la Tour, des Sorciers et de leurs Surveillants.

Madame Blanchesec s'arrête soudainement. Nous venions de grimper plusieurs étages. Seule la lumière des meurtrières dispensée permette que je distingue son visage et son air pincé.

— Érik vous attend, ma fille. Respectez votre Surveillant, montrez toujours votre nuque pour le saluer, et surtout, rester professionnelle.

Je comprends tout à fait le sous-entendu, guère dissimulé dans sa voix : ose faire un pas de travers, et ton Surveillant te tuera.

Cela arrive, parfois, qu'un Surveillant se voit obligé de tuer un Sorcier dont il a la garde. L'échec est cuisant, bien sûr, mais nécessaire afin d'éviter le chaos dans le royaume des Epis. Nous devons nous montrer maîtres de nous-mêmes si nous tenons à la vie.

Je m'incline devant Madame Blanchesec, la Gouvernante de la Tour. Avant que je ne puisse me redresser, j'entends ses pas s'éloigner de moi.

L'appréhension m'étreint de ses tentacules, nouant mon estomac. Je fixe la porte de bois, fermée, noire. Derrière, mon Surveillant.

Je ne l'ai jamais rencontré. Je n'ai pour le moment pas eu besoin d'être soumise à un contrat, et je me sens fébrile, comme secouée de toutes parts. Calmement, je respire, doucement, pour frapper à la porte trois petits coups timides.

— Entrez ! résonne la voix d'un homme.

J'obtempère.

***

La missive que mon Surveillant tient entre ses mains est le salut de mon âme, mon unique porte de sortie de la Tour. Candide et pleine d'espoir, j'observe Érik la lire, puis la retourner pour en finir la lecture et se saisir d'un nouveau parchemin pour coucher la réponse. J'ai le sentiment que, enfin, je vais pouvoir découvrir le monde.

Il est jeune, les cheveux longs et noués en une queue de cheval basse. Ils sont, je pense, d'un blond cendré. Ses yeux de glace se posent un instant sur moi avant de revenir sur les lignes du contrat, noircies d'une encre fine et élégante. Il ne s'est pas embarrassé de m'adresser la parole. Mes mains sont moites. Je demeure debout, silencieuse, les mains jointes devant moi à le fixer. Je n'ai pas montré ma nuque, je ne me suis pas inclinée, aussi je m'empresse de lui offrir ma soumission.

— Avancez, Elen, dit-il de son ton suave et grave. Prenez place sur cette chaise.

J'obéis. Je suis faite pour cela, je suis à son service et celui de la Tour ; mon rôle se réduit à cela, et pas un autre.

Le bureau de mon Surveillant est faiblement éclairé. La meurtrière ne laisse, comme de partout dans la Tour, que très peu de lumière du jour d'hiver passer. La cheminée ne diffuse qu'une impression de chaleur, et les murs bruts ne sont pas décorés. Un bureau, deux chaises et rien d'autre ; un Surveillant, comme les Sorciers, n'ont pas besoin d'avoir des distractions telles que de la décoration, et toute possession matérielle est très mal vue.

— Cela concerne le Comté Woodshire, m'apprit-il tout en trempant la pointe de sa plume d'aigle dans l'encrier. Tes services sont requis, semble-t-il, au château des Épinas.

Un pli désagréable déforme son visage, telle une grimace de dégoût ou de mépris. Je suis habituée à être traitée de cette manière, et je n'ai bien sûr aucun sentiment à son égard de me considérer de la sorte. Je courbe la nuque.

Ma vie est la Tour, la Tour est ma vie.

Érik est et sera le seul non-sorcier de ma connaissance à vivre proche de moi, à me surveiller et à me conseiller sur l'art délicat de la sorcellerie. Je ne dois jamais lier de contacts avec d'autres personnes différentes de moi. Son jugement est primordial, la seule chose qui compte à mes yeux, désormais. Quant il appuie ses mains sur la table de son bureau, il recule pour se lever. Les pieds de sa lourde chaise grincent sur la pierre.

— Elen, préparez vos affaires. Nous partons demain.

— Puis-je connaître le contenu du contrat, Surveillant Érik ?

Il sursaute, ne s'attendant pas à ce que j'ose une prise de parole aussi spontanée. Quelle idiote je fais ! me fulminé-je intérieurement. Comment puis-je me montrer aussi sotte ? Érik prend le temps de me répondre.

— Il semblerait que la fille du Comte, Jasma, soit enceinte. Sa grossesse est à risque et vous demande donc de l'assister de votre magie pour assurer la naissance de son petit-enfant. Mais il ne s'agit pas que de cette clause. D'autres figures également sur votre contrat, Sorcière Elen.

J'ouvre la bouche pour poser une nouvelle question, mais heureusement je me ravise avant de dépasser les limites. Mon Surveillant a été bon avec moi, je ne peux pas ainsi abuser de sa gentillesse. Je baisse la tête et je l'entends soupirer.

— Bien. Retournez à vos études. Il semblerait que vous maniez l'art élémentaire, avant que je ne demande à vous faire venir.

J'acquiesce.

— Merci, Surveillant Érik.

Je pivote sur mes talons et disparais.

* * *

— C'est inhabituel, d'être avec un Surveillant si jeune pour un premier contrat !

— Je n'y peux rien, tu sais qu'on ne choisit pas son Surveillant, répliqué-je avec un demi-sourire.

— N'empêche qu'il est mignon, cet Érik, me confie mon amie Irène. Je suis jalouse ! Le mien est un vieux croûton qui sent l'oignon et la pisse de chat !

— Irène !

Même dans l'intimité du dortoir, de tels propos peuvent vous coûter la tête. Je prends un air catastrophé, mais la rouquine éclate d'un rire aussi clair que le chant d'un ruisseau de printemps.

— Je dis juste que tu as de la chance, il a l'air mignon et gentil, reprend-elle assise en tailleur sur son lit, voisin du mien.

Je hausse les épaules, feignant de ne pas y faire attention. Mais, elle avait raison. Érik était un homme charmant, et il avait eu la bonté de me laisser prendre la parole sans me punir ou me rappeler à l'ordre. Ce premier contrat, une naissance à priori, est dans mes cordes ; je suis une élémentaire de la Déesse Aquina, Déesse des Rivières, de l'Eau, des Torrents et des Mers. Je saurai faire, lorsque viendra le moment fatidique de la naissance.

Je tire les couvertures vers moi.

— Nous verrons bien, dis-je pour clôturer la conversation. Je vais dormir, un long voyage m'attend et je veux être en forme.

— N'oublie pas de venir me voir si je ne suis pas en contrat me raconter ! s'enthousiasme de nouveau Irène.

Couchée sur le côté, je souris sous ma couverture.

***

L'hiver est glacé.

La monstrueuse bête du froid s'est abattue sur la Tour. J'observe, au réfectoire, mes comparses d'un air distrait, sans vraiment les voir. Mes bagages sont prêts depuis la veille au soir, dans mon unique sac de toile ; une veste de rechange, quelques vêtements, et bien sûr mes grimoires que je chéris de tout mon être.

En arrivant à la Tour trop jeune pour me rappeler de ma vie d'avant, j'appris à me comporter et obéir aux Surveillants. Rapidement, je compris en quoi ces hommes et ces femmes en robes pourpres sont nos supérieurs ; ils ne rechignaient pas à nous punir de la plus violente des manières, à nous briser les doigts si nous osions les défier, à nous briser l'âme si nous osions protester. J'ai rêvé d'Érik, de sa force et de son contrôle sur mon pouvoir. Car ils sont capables de cela : nous contrôler, annihiler toute force magique en nous pour nous soumettre. Comme beaucoup de jeunes filles, j'ai lutté, bien sûr. Je pensais être différente, plus forte que les autres, mais j'ai dû me rendre à la triste évidence qu'il s'agissait d'un leurre. Comme de nombreux autres sorciers en formation, j'ai cru pouvoir être différente, bénéficier d'un meilleur traitement que les autres.

Leurre, que je me suis fourvoyée !

Mon petit-déjeuner terminé, mon sac sur l'épaule, j'attends Érik dans les écuries en bas de la Tour. Mon cheval, un bai au caractère aussi placide qu'une flaque d'eau, patiente. Il vient enfin, ne se pressant pas, maussade et vêtu de sa robe caractéristique de son rang au sein de la Tour. Jeune, il n'a que quelques années de plus que moi, estimé-je alors, bien que son regard fût d'une noirceur nocturne sans lune ni étoiles. Il grogne l'heure de notre départ.

Je quitte la Tour une boule au ventre. Je laisse derrière moi la seule maison que j'ai connue, le seul foyer. Nuls amis ni connaissances n'avaient égayés mon existence jusqu'alors, si ce n'est Irène. La sécurité de ses murs me manque déjà. Ainsi, est-ce la destinée des Sorciers de la Tour que de la quitter, pour la retrouver peut-être un jour.

Les missions peuvent être diverses, et je ne me sens pas prête à emprunter ces chemins. Peut-être vais-je revenir, après ma mission au Comté Woodshire accomplie ? Je ne connais pas les termes de mon contrat, seul mon Surveillant et Imperium, le conseil royal, en définissent l'intégralité des clauses. Moi, j'obéis, échine courbée et volonté absente. Peut-être Érik m'en touchera deux mots sur le chemin.


Texte publié par Synwir, 23 octobre 2020 à 09h06
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