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tome 1, Chapitre 6 « Leur dernière rencontre » tome 1, Chapitre 6

Les branches des arbres s'étaient défaites de leur parure, grimant d'atroces griffes prêtes à déchirer le céleste hivernal. Käjya, tout en longeant le sentier côtier, gardait pressé contre son sein le coquillage qu'elle avait arraché à la mer, ses yeux détaillant les cimes squelettiques. Elle tentait d'y déceler une de ces créatures qui avaient bercé leurs histoires d'antan, celles-là même qu'elles se contaient en remontant le versant pour se rassurer dans la nuit noire, riant dans le silence, imaginant qu'une fougère était en vérité une fée dissimulée, une souche un lutin métamorphosé ; sans que ses iris d'adulte ne lui permettent de les apercevoir.

L'halesia de ce jour d'été demeurait ancré à la même place que jadis, ses racines âgées enfoncées au plus profond de la terre : tristement défait de ses fleurs, il ressemblait à un vieillard épuisé dont les bras ramollis par le temps retombaient ballants contre son tronc noueux, mais semblait néanmoins garder cette essence rassurante, ensorcelante qui les avait encouragées aux plaisirs de la chair, à l'amour charnel. La lame glacée de la nostalgie s'était enfoncée plus profondément encore dans sa poitrine, lui faisant serrer davantage le coquillage contre son cœur comme s'il eut été un talisman pouvant annihiler ses meurtrissures. Comme s'il eut été un bouclier contre les attaques des souvenirs qui remontaient en elle.

— J'aimerais partir.

Hilde, par un jour de grand vent, lui avait confié cette simple aspiration, si loin de toutes celles qui avaient pu franchir la barrière de ses lèvres auparavant, les yeux rivés vers l'horizon, ses poings serrés sur la balustrade de leur tour d'ivoire. Il y avait quelque chose de triste sur son visage, d'éteint dans sa voix, de terriblement affligé dans son regard ; tant et si bien que Käjya s'était raidie en constatant son amie si différente, de la découvrir si étrangère à son cœur alors qu'auparavant elle s'était sentie communier avec elle sans qu'aucun mot n'ait à s'en mêler.

Les feuilles rousses des érables s'étaient mises à gémir, malmenées par le vent automnal venu de la mer tandis qu'elle s'était approchée de Hilde, glissant ses doigts dans les siens dans une vaine tentative de la rassurer, de la réconforter, de la maintenir à flots tandis qu'elle la sentait petit à petit sombrer, s'éloigner, devenir une inconnue. Son étreinte était demeurée sans aucune réponse, froidement ignorée par la main glacée de sa partenaire. Alors Käjya, le cœur en morceaux, était restée à ses côtés sans mot dire, contemplant l'océan que le crépuscule déjà nimbait de chimères orangées, maudissant cette ligne céleste dont Hilde semblait s'être éprise, les émeraudes de ses iris hypnotisés la fixant avec cette passion désespérée, cette affection mélancolique qui n'appartient qu'aux mourants.

Elle avait eu un frisson en constatant cela, affirmant fiévreusement sa poigne sur la paume froide comme pour mieux se défaire de cette idée, pour mieux se détacher des horribles possibilités que pressentait son imagination, lui imposant d'atroces visions. Mais cet unique ancrage aurait-il été suffisant, ou était-il déjà par trop fragilisé pour maintenir l'ouragan destructeur qui dépeçait Hilde lentement, lambeau par lambeau ?

Käjya l'ignorait encore à présent. Elle ne savait si sa seule présence aurait pu sauver Hilde, l'empêcher d'élire la mer pour dernière couche, les algues pour linceul ambré. De marquer à jamais son esprit de cette atroce image qui lui avait retournée les entrailles, de meurtrir son âme de cette violente horreur qui l'avait saisie en constatant dans les flots dérangés la chevelure flamboyante qu'elle ne connaissait que trop, le corps inerte de Hilde ballotté par les flots comme une simple barque renversée.

Elle ignorait si son humble personne se serait montrée capable de braver le destin, de contrer le funeste sort. Et tandis qu'elle empruntait les escaliers de bois épousant la déclivité de la côte, progressant avec une lenteur presque religieuse, veillant à ne pas abîmer ses effets sur les épines des ronces, elle savourait une dernière fois cette promenade qu'à l'avenir, elle ne pourrait revivre que dans ses souvenirs.

C'était là son dernier hommage, son dernier serment de fidélité. Sa dernière profession d'amour.


Texte publié par Yukino Yuri, 27 septembre 2020 à 17h02
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