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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Oana avait empoché l'éclat de miroir et le tritura tout le chemin du retour. Elle parvint évidemment à se blesser avec. C'est alors que le fantôme lui apparut. Il avait désormais sa forme entière.

— Je vois que tu es complet, dit-elle. Que te faut-il de plus ?

— Il me manque une sépulture digne de mon sang royal.

— Ah, oui, l'îlot dont parlait Matthias, sûrement.

— Emmène-moi voir, je te dirai.

— Il est en pleine mer ! Je ne te le montrerai que depuis la côte...

— Dans un premier temps, cela me suffira.

Le soir, donc, sur la plage la plus proche du caillou, elle marcha jusqu'à la limite des vagues. Par chance, la marée était basse et d'assez grande ampleur. Le spectre émana du miroir et s'envola pour aller voir de plus près. Les embruns passaient à travers son corps translucide. Il s'éloigna de plusieurs centaines de mètres, à la fin Oana ne pouvait plus que deviner sa position, là où l'air était plus brillant. Il revint satisfait.

— Oui ! Cet endroit serait parfait pour moi, il recèle un passage. Tu devras m'y emmener.

— Comment ? J'imagine qu'il ne suffira pas de prendre un kayak pour faire le tour de l'îlot.

— Effectivement. Il faut attendre l'équinoxe.

— C'est dans dix jours.

— Parfait ! Je te donnerai les instructions en temps voulu. Il aurait mieux valu que ce soit en automne mais je n'ai pas envie d'attendre six mois supplémentaires. C'est idiot, après tout ces siècles... mais je pense que tu comprends.

Oana acquiesça. Elle savait que le premier novembre est le jour où le voile entre les morts et les vivants est le plus ténu. Elle comprenait aussi qu'il n'ait pas envie d'attendre plus, c'était comme si on lui avait annoncé la veille des vacances qu'en fait il y avait encore quinze jours de cours !

Le fantôme réintégra son bout de miroir. En rentrant chez elle, Oana déposa l'objet sur son autel. Elle l'avait installé sur une table basse dans un coin de sa chambre depuis que Zoé lui avait donné des bases en sorcellerie. Elle s'y recueillait tous les soirs en allumant un bâton d'encens ou une bougie. Désormais le jeune Celte apparaissait dès que l'éclat de miroir reflétait la flamme de son allumette.

Il lui demandait de fabriquer certains artéfacts ou de réciter des prières dans une langue qui avait de vagues similarités avec le breton qu'elle connaissait. La prononciation était particulièrement difficile, elle faisait beaucoup d'efforts pour ne pas écorcher les mots.

Il lui apprenait une incantation en particulier, qu'elle avait du mal à retenir.

— Tu ne veux pas me dire ce que ça signifie ? Je m'en souviendrais mieux !

— Pas la peine. Apprends juste les sons par cœur.

Elle bouillonnait de frustration mais n'avait aucun moyen d'influencer le fantôme.

Zoé se remettait, elle allait bientôt sortir de l'hôpital mais les médecins n'avaient pas encore donné de date. Quand bien-même elle serait libre au vingt-et-un mars, il était hors de question qu'elle sorte de nuit sur la plage.

Oana avait tenté de lui soumettre les mots étranges mais c'était bien trop ancien comme langage... aucun livre n'en faisait mention et pour cause, les Celtes refusaient l'écriture. En tout cas, Zoé avait rendu le bout de parchemin à son amie, maintenant que sa santé, physique autant que mentale, n'était plus incertaine.

Enfin arriva le jour dit, ou plus exactement la nuit. Matthias était venu à vélo avec Pierre, qui dormait chez lui ce soir-là. Ça faisait tout de même une grande distance jusqu'à leur objectif final, et ils n'en étaient encore qu'aux deux tiers. Ils s'arrêtèrent devant la maison d’Oana. Hors de question de gravir le grand escalier pour aller sonner à la porte, évidemment, les parents n'étaient pas au courant.

Le salon laissait filtrer les lumières changeantes d'une télévision. Matthias avisa une fenêtre allumée au deuxième étage : la chambre d'Oana. Il lança des gravillons pour attirer son attention.

Elle terminait de ranger, dans un sac à dos, l'éclat de miroir, de l'encens, des bougies et une sorte de clé que lui avait fait construire le spectre. Elle descendit l'escalier intérieur en retenant ses pas afin que les marches ne grincent pas puis ouvrit la porte avec mille précautions. A priori, ses parents n'avaient rien soupçonné. Elle récupéra sa propre bicyclette qui était restée dehors sur le côté et suivit les garçons. Ils roulèrent jusqu'à la plage la plus proche de Locarec.

Ils n'attachèrent pas leurs vélos, personne ne sortait la nuit en cette saison, bien que le temps ait déjà commencé à se radoucir. Matthias devait rester sur le sable pour indiquer le point de retour avec sa lampe. Pierre avait déniché un vieux kayak fermé, qu'il avait préparé quelques jours plus tôt ; il le récupéra le long de la dune et le porta sur le sable mouillé.

Oana se déshabilla, elle avait un maillot deux pièces sous ses vêtements. Il n'y avait presque pas de vent mais sa peau s’hérissait de chair de poule. Dès que l'embarcation fut à flot, elle s'assit dessus, à l'avant. Ses pieds pendaient dans l'eau et l'impression qu'elle en retirait était d'avoir deux blocs de glace au bout des jambes. Elle ne s'en inquiéta pas, cela faisait toujours cet effet-là de rentrer dans la mer hors saison, et même parfois l'été.

Elle se pencha en arrière, ouvrit son sac, que Pierre tenait, en sortit l'éclat. Elle inspira un grand coup puis dessina, avec le tranchant, deux demi-lunes sur son ventre, comme une parenthèse autour du nombril. Le spectre sortit du miroir et l'enveloppa d'une aura blafarde. Cette lumière froide, opalescente, lui conférait pourtant un peu de chaleur, elle sentit à nouveau ses pieds.

Pierre avait commencé à pagayer depuis quelques instants. Les vagues n'étaient pas méchantes et ne venaient pas de loin. En à peine cinquante mètres il avait gagné une eau calme, légèrement ridée par la brise. Lorsqu'Oana se sentit prête, la moitié du chemin environ était parcourue. Le fantôme s'impatientait. Elle se glissa dans l'onde. Sa respiration se fit saccadée, le froid s'emparait d'elle à nouveau. L'air lui brûlait les bronches et la trachée ; chaque goulée qu'elle prenait semblait vouloir lui faire exploser les poumons. Après un moment d'anxiété, elle trouva la cohérence de ses gestes et put avancer à la nage.

Pierre, qui avait continué sur son erre, la rejoignit puis l'accompagna à faible allure. Au moindre signe de faiblesse, il la récupérerait. On n'était qu'en mars, après tout. Il essayait de guetter la couleur de ses lèvres, dans la faible lueur du croissant de lune réverbérée par les flots.


Texte publié par Lilitor, 1er mars 2021 à 11h40
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