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tome 1, Chapitre 15 tome 1, Chapitre 15

Oana passa la soirée à réaliser son porte-bonheur. Assise sur l'appui de sa fenêtre ouverte, les jambes dans le vide, elle se laissait baigner par les rayons de lune. Une feuille vieillie au thé était posée devant elle, le vent l'agitait doucement. Pour qu'elle ne s'envole pas, Oana avait posé sur l'un des coins un gros encrier de verre et sur un autre une bougie ronde dont la flamme vacillait régulièrement sous la brise.

Une plume sergent-major à la main, la jeune fille écrivait les mots qui lui venaient. Après chaque point, elle fermait les yeux, se concentrait quelques instants jusqu'à faire monter en elle un sentiment de sérénité et presque même d'amour. Elle plongeait dedans et en rapportait de nouvelles phrases. Quand elle eut couvert la moitié d'une page, elle déchira le reste puis plia son texte en une bande étroite qu'elle roula pour en faire un petit tube bien serré. Elle y attacha un ruban rose et rangea le tout dans son sac de cours.

Cette nuit-là, elle dormit tellement bien qu'elle ne comprit pas où elle était quand son réveil sonna.

De dix à onze, Matthias et elle avaient une heure de libre en même temps que Pierre. Ils se dissimulèrent dans un coin de la seconde salle de permanence, celle où il n'y avait jamais personne. L'apprenti journaliste avait apporté les restes de son enregistreur. L'opération de démontage fut délicate mais pas très longue. Ils récupérèrent la carte mémoire, qui semblait intacte. Il fallait maintenant attendre la fin des cours pour l'écouter car aucun PC n'était à leur disposition au lycée — sauf ceux du CDI, où il était hors de question de mettre du son. Matthias la rangea dans son plumier car il n'avait pas pensé à prendre un boîtier de protection.

— Vous venez chez moi tout-à-l'heure ? demanda Pierre.

— Oui, mais on ne restera pas trop longtemps, je n'ai pas envie de rentrer par le dernier car. De toute façon je n'ai pas des heures d'enregistrement !

L'après-midi leur parut interminable.

Lorsqu'ils traversèrent la cour pour atteindre les grilles donnant sur le centre-ville, Simon les alpagua :

— Vous allez où comme ça ? Vous m'avez l'air bien pressés. C'est pas par là les cars !

— Occupe-toi de tes oignons ! lança Oana.

— Tu devrais être un peu plus polie avec mon pote ! rétorqua Kévin en avançant.

Il souffla sa fumée vers elle.

Pierre la fit passer derrière lui et bomba un peu le torse pour paraître imposant :

— Vous n'allez pas recommencer ! Je sais pas quel est le problème entre vous, je croyais que c'était résolu, mais en tout cas, là, on n'a pas le temps !

— Qu'est-ce qui est si pressé ? Vous allez faire un plan à trois ?

— Bon sang, Simon ! s'emporta Oana. Tu ne penses qu'à ça ? Zoé est dans une mouise du genre de celle où t'étais et on a peut-être une piste, voilà. T'es content ?

— Eh, mais je peux peut-être vous aider !

— Tu ne te souviens de rien !

— Rien de formulable, c'est vrai, mais...

— D'accord, trancha Pierre. Tu viens mais tu te magnes !

Simon les suivit sur la rue tandis que Kévin faisait signe au reste de sa bande de ne pas se préoccuper de lui. Il écrasa sa cigarette sur un muret puis il courut pour rattraper le groupe qui atteignait déjà un carrefour. Oana lui jeta un coup d’œil surpris mais ne dit rien.

Quelques minutes plus tard, ils pénétrèrent dans la petite maison de ville où résidait Pierre. Elle était entourée d'un jardinet qui devait être charmant au printemps et sa façade était en blocs de granit lisses et bien alignés. Dans la chambre étroite du jeune homme, comme ils étaient maintenant cinq, ils durent se serrer à trois sur le bord du lit, Matthias sur la chaise du bureau et Kévin, entré le dernier, assis sur le tapis. Il paraissait vexé mais n'ouvrit pas la bouche.

Matthias, en habitué des lieux, alluma l'ordinateur et y glissa sa carte mémoire. Un dossier apparut sur l'écran, qui contenait plusieurs fichiers. L'adolescent en sélectionna un. Le logiciel de traitement de sons s'ouvrit et chargea quelques instants. Il sembla ensuite lire les pistes représentées, mais on n'entendait rien. Paniqué, Matthias se retourna vers Pierre.

— Les baffles ! s'écria ce dernier. Tu as oublié de les allumer ! Tourne le bouton, là !

Un bruit blanc envahit alors la pièce.

« Est-ce que tu parles ? » demanda soudain la voix de Zoé à travers les enceintes.

« Oui, et ce n'est pas la peine de te cacher derrière tes épines » répondait un souffle distordu.

— Bingo ! cria Pierre à nouveau. C'est exactement l'extrait dont nous avons besoin pour chercher un indice !

L'ombre du prince celte racontait son supplice dans les marais et l'impossibilité du repos de son âme. Puis la construction de la maison, l'arrivée de Simon et le rôle qu'avait joué son amie dans sa descente aux enfers.

Oana, malgré les sentiments pénibles que lui inspiraient les paroles du spectre, écoutait attentivement, à l'affût du moindre élément significatif. Simon aussi était tout ouï, intrigué par la scène qu'il n'avait pas vécue, malgré la colère que faisaient bouillir en lui les mots du fantôme à son propos. Matthias observait plutôt la courbe sinusoïdale que dessinait le son dans le logiciel : les harmoniques causées par la voix d'outre-tombe ne coïncidaient pas tout à fait, il y avait peut-être des indications à en tirer. Kévin s'était relevé et lui pointait des passages.

Le timbre de Zoé résonna de nouveau, pour proposer la poupée de substitution. Puis l'enregistrement présenta les excuses d'Oana. Celle en chair et en os rougit de plus belle et rentra la tête dans les épaules. On entendit ensuite ses trois compagnons remercier, puis Zoé et le prince celte fabriquer ensemble l'effigie de cire.

— Qu'est-ce qui s'est passé à ce moment ? demanda Oana. Je ne me souviens pas de la suite, je ne me rappelle pas avoir vu Zoé construire la figurine...

— Eh bien, il était penché sur elle et lui indiquait comment façonner les éléments manquants, raconta Pierre.

Le spectre, dans l'enregistrement, proclama l'incendie. C'était la fin.

— Je suis sûre que c'est là qu'il l'a piégée ! reprit Oana.

— Il nous a tous piégés ! s'écria Matthias en caressant sa jambe encore douloureuse.

— Oui, mais je crois qu'il s'est fixé en elle quand ils travaillaient ensemble. Elle était concentrée sur sa tâche et n'a pas dû s'en rendre compte.

Simon secoua la tête :

— Pourquoi il aurait fait ça ? Il venait d'être libéré !

— Je ne sais pas, c'est toi qui le connais le mieux ! Puisque tu as insisté pour venir, rends-toi utile un peu ! Creuse-toi le ciboulot !

Il se renfrogna.

— Peut-être qu'avec moi il a pris goût à la vie.

— Ça ! rigola Kévin, c'est parce que JE t'ai appris à vivre !

Ils le clouèrent d'un regard noir. Oana poursuivit :

— C'est probable qu'il n'ait plus eu envie de disparaître, oui. Ou bien il lui manquait encore quelque chose pour trouver le repos ?

Kévin leva la main.

— Je peux parler ? Je promets de pas dire une connerie, cette fois...

Ils lui firent signe de continuer.

— Au début il a dit qu'il était fils de roi, c'est ça ? Vous avez essayé de lui redonner une forme, c'est cool. Mais moi si j'étais un fantôme de prince, je voudrais pas mourir avant d'être sur le trône.

Oana le regarda en plissant les yeux.

— Mais oui... tu as peut-être bien raison !... mais comment faire ?

Elle se prit le front.

— Si seulement on pouvait demander à Zoé !

Pierre l'attira à lui, elle enfouit sa tête contre son torse. Il lui posa un baiser sur les cheveux et lui frictionna le dos.

Plus personne ne parlait. Simon avait attrapé un effaceur et le faisait tourner entre ses doigts. L'objet lui échappa, tomba sur le sol, roula sous le lit. Il se pencha pour le récupérer. Il trouva un magazine de surf sur le plancher et le ramassa en même temps. Kévin le lui prit des mains, le feuilleta un peu puis se figea :

— Dites, il était vieux votre prince ?

— Dans les trois mille ans, répondit Simon.

— Ça colle avec la tombe de la Torche, non ?

— Mais non ! Elle date du néolithique !

— Ben c'était pas ya trois mille ans, ça ?

Ils levèrent tous les yeux au ciel.

— Il n'a pas forcément tort, reprit Matthias. Il faut qu'on trouve des vestiges. Je vais rentrer faire des recherches.

Il jeta un coup d’œil à sa montre :

— Oana, il faut qu'on y aille sinon il n'y aura plus de cars !

Simon les accompagna, à cette heure il prenait la même ligne qu'elle. En embrassant Pierre sur le seuil de la porte elle lui glissa à l'oreille :

— Je t'imagine tellement pas faire du surf...

Il étira ses lèvres en sourire :

— Eh, chacun son jardin secret !


Texte publié par Lilitor, 15 février 2021 à 18h59
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