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tome 1, Chapitre 11 « La tisseuse d'étoiles » tome 1, Chapitre 11

Agenouillée dans la clairière, ses longs cheveux blancs, qu’elle séparait en deux mèches qui encadraient sa figure fanée et ridée, lui recouvraient presque l’entièreté du corps. De ses doigts noueux, elle filait la lumière qu’elle tirait des étoiles premières.

— Bonsoir fillette, caqueta-t-elle.

Ses mains avaient attrapé comme une pelote d’étincelles et la malaxait comme s’il ne s’était s’agit que d’une cire de lumière.

— Ton ami n’a pas tort. Il est vrai que je suis, souvent, de mauvais présage, car j’annonce la fin du temps. Mais ne te méprends pas sur le sens de mes paroles, ou alors il t’en cuira.

Sa voix ressemblait au sifflement de la bise dans les cimes, au craquement des branches lorsqu’elles ploient sous le poids de leur linceul blanc.

— En fait, j’annonce toujours la fin du temps, grinça-t-elle.

Suspendue au bout d’une longue verge de chêne, sa lanterne se balançait et faisait danser les ombres dans la clairière. Stjörauga ne parla pas, non plus que la chose ombre n’avait esquissé le moindre mouvement. Esther, qui les observait par instant, devinait non la peur, mais le respect que leur inspirait l’étrange créature.

— Enfant de la nuit, enfant de la lune. As-tu encore en ta possession les pierres d’étoiles ?

Sa bouche, tordue, se fendait à présent d’un sourire, qui révélait des gencives nues. Instinctivement, Esther avait refermé ses mains sur sa bourse, pendue autour du cou, dans laquelle s’entrechoquaient doucement les perles ; les yeux couleur ambre de la tisseuse la transperçaient, elle se sentait nue.

— Oui, murmura-t-elle d’une voix étouffée.

Mentir eut été un parjure.

— Donne-m’en une, ma fille, et je te révélerai une portion du chemin vers ta destinée. Tu peux me la refuser, mais alors ton sentier n’en sera que plus périlleux encore.

Esther hésitait, portait la main à la petite bourse, esquissait le geste de l’ouvrir, se ravisa néanmoins. Pouvait-elle vraiment sacrifier une de ses pierres sacrées, son trésor, à cette créature sans âge ? Pouvait-elle la croire ? N’était-ce là un piège destiné à la ralentir, à la gêner ?

À la recherche d’un soutien, d’une aide, elle plongea ses yeux de pluie dans celui de Stjörauga. Ce dernier néanmoins ne lui laissa à voir aucune approbation, aucune interdiction ; le choix lui appartenait.

— Ma Dame, articula-t-elle d’une voix rauque. Je ne sais si je puis vous sacrifier l’une de mes pierres. Je crains de me perdre sans l’une d’entre elles.

— Sans doute, mon enfant, cela arrivera-t-il. Ton chemin sera semé d’embûches, avec ou sans cela.

Décrochant sa lanterne, la créature aux yeux d’ambre s’approcha d’elle. À la lueur ocre des flammes éternelles, elle apparaissait soudain jeune, comme défiant le Temps. Esther se sentit soudain chavirer dans l’immensité de ses iris.

— Je t’échange ceci, mon enfant, déclara-t-elle en montrant du doigt sa lanterne. Contre ce que tu as là.

Son doigt noueux vint se poser sur la bourse d’Esther.

L’échange paraissait égal à Esther. Certes, elle perdait l’une des pierres de lune, mais gagnait une lanterne d’où jaillissaient sans fin des flammes ; la lanterne de la tisseuse d’étoiles.

— Très bien, j’accepte.

Dénouant les liens de sa bourse, elle y glissa ses doigts, puis en retira l’une d’entre elles. Vive, la tisseuse d’étoile s’en était saisie avec intérêt, avant de la plonger dans sa besace. En échange, Esther attrapa la lanterne et la lia à sa ceinture.

— Grâce à elle, tu sauras où aller. Qu’importent les ténèbres qui croiseront ta route.

Et se penchant vers son oreille, la vieille femme chuchota à Esher :

— Tu en auras besoin, crois-moi.

Au toucher de sa main, Esther avait frissonné ; elle était si douce, si chaude, malgré la bise glacée qui les enveloppait. Lentement, la tisseuse se retira. Son visage possédait encore l’apparence de la jeunesse, cependant qu’elle se flétrissait à mesure qu’il s’éloignait de la chandelle. Soudain, elle lui avait posé un doigt sur les lèvres, alors qu’elle s’apprêtait à la remercier. Puis elle avait ressorti la pierre et l’avait brisée en deux entre ses mains noueuses. Un vif éclair en avait jailli, perçant soudain les ténèbres, et une étoile nouvelle s’était alors allumée dans le ciel.

— À présent part mon enfant.

Mais elle ne la regardait pas, ses yeux étaient tournés vers Stjörauga dont le visage demeurait de glace. Déjà la chose-ombre s’avançait et l’enjoignait à la suivre. D’un hochement de tête, Stjörauga lui fit signe d’avancer, cependant qu’il affrontait, les bras croisés sur la poitrine, le regard dur de la créature. Un sourire, éclaira soudain son visage, cependant qu’elle se fondait dans la masse obscure des ombres.

Appuyée sur le bâton, Esther contemplait le chemin qui s’offrait à elle. De tous les recoins obscurs, un seul demeurait lumineux ; la chose-ombre soupira.

— Stjörauga ? appela-t-elle.

Mais, il était déjà là. Elle contemplait son ombre immense qui, éclaboussée par la lumière de la lanterne, prenait des allures de spectre. Un instant, elle hésita à lui demander ce que la tisseuse avait pu lui confier, mais elle renonça. Stjörauga n’était là que de son plein gré et le chemin qu’elle emprunterait n’appartenait qu’à elle.

Les astres filaient déjà dans le vallon, laissaient dans l’herbe de fines particules dorées. Serrant fort le bâton, Esther leva haut sa lanterne, puis s’engagea dans la vallée. Au loin, les montagnes se dressaient. Derrière elle, la bête-ombre se faufilait, reniflait de temps à autre les étincelles perdues. À chaque inspiration, elle grognait et éternuait, reniflant en gémissant. Esther ne pouvait s’empêcher de rire à chaque fois.

— Par ici…, murmuraient les astres tandis qu’ils se glissaient, aussi légers que des plumes, vers une cavité formée dans la roche.

Esther demeurait sur le seuil, jetant des regards inquiets dans la grotte. Les petites boules de lumière déjà s’étaient glissées tout au fond, semblaient l’attendre en tournoyant. Les ténèbres, qui régnaient en ces lieux, étaient plus opaques, plus étouffantes que ceux de l’extérieur.

— Allez-vous entrer dans cette bouche béante, Esther ? l’interrogea Stjörauga en posant une main rassurante sur son épaule.

Esther restait coite, hésitante. Elle leva les yeux sur la lanterne, celle-là même qui devait la guider, lui montrer la voie. Soudain, le bâton lui glissa d’entre les doigts ; la lanterne se heurta aux pierres. Les flammes étaient venues redessiner les creux, les reliefs de cette grotte ancienne. Des faisceaux de lumière se glissaient dans les cavités creusées dans les parois, illuminant son chemin.

— Avance…, lui chuchotait une voix glaçante qui semblait venir du fond du tunnel.

Et à Esther de s’avancer, se laissant envoûter par les volutes de lumière qui à présent formaient des dessins étranges.

Stjörauga n’avait pas bougé. Esther s’était enfoncée dans le tunnel, guidée par la voix de la nuée, il avait ramassé la lanterne de la Tisseuse d’étoile, puis s’était tournée vers la chose-ombre et lui avait murmuré quelques mots. De sa main épaisse, il avait flatté son encolure et l’avait regardé s’éloigner tandis qu’elle se fondait dans la noirceur poisseuse du tunnel.

À mi-chemin dans le boyau, Esther n’avançait plus qu’à tâtons ; à chaque pas, il lui semblait que sa marche devenait plus terrible comme si des milliers d’aiguilles de givres se plantaient dans ses chairs à vif. Alors qu’elle s’apprêtait à poser le pied sur une stalagmite acérée, elle sentit quelque chose la tirer violemment en arrière. Furieuse, elle se retourna et découvrit la chose-ombre qui la couvait de son regard. Mais le fauve ne s’en laissa pas impressionner et s’avança jusqu’à la concrétion rocheuse qu’il brisa d’un coup de mâchoire. Stupéfaite, Esther contemplait les monceaux de pierre qui, de peu, lui aurait transpercé le pied ; penché la bête reniflait le sol et éternuait.

— Merci, souffla-t-elle comme elle caressait la tête hirsute de l’animal, cependant que le murmure se faisait de plus en plus prégnant.

Agrippée à sa toison, bien qu’elle s’en étonnât, la chose-ombre la guida au travers du souterrain jusqu’à une salle emplie de cristaux géants. Assise sur l’un d’entre eux, une forme indistincte se mouvait.

— Approche donc. Si tu as pu venir jusque-là, c’est que tu auras reçu de ma sœur, la Tisseuse d’Étoiles, sa lanterne. Moi, je suis la fileuse.


Texte publié par Yukino Yuri, 20 septembre 2020 à 12h20
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