«

»

Elle se morigénait de tant de faiblesse, mais lui revenait alors les mots de son étrange compagnon lorsqu’elle avait quitté la grotte : Fougue et fureur. Fougue et fureur, les mots tournaient dans sa tête, cependant qu’elles contemplaient ses doigts gelés. Abrités dans le creux de l’arbre, elle avait voulu se rapprocher aussitôt du feu pour les réchauffer, mais il l’en avait dissuadé d’un regard sévère.

— Si vous rétablissez tout de suite la circulation du sang dans vois doigts, vous vous empoisonnerez des substances qui ont commencé à les envahir.

Mutique, elle n’avait rien ajouté. Au bout de ses pieds, la douleur devenait de plus en plus vive, de plus en plus intolérable à mesure qu’ils se réchauffaient ; Stjörauga lui avait tendu des compresses d’où s’échappait une odeur épouvantable. Il avait également préparé un feu au coin duquel la chose ombre s’était étendue ; au-dessus il avait passé une broche. Il avait ensuite murmuré quelques mots au fauve allongé qui était aussitôt sorti. À aucun moment, il n’avait appesanti, plus que raison, son regard sur elle et l’atroce sensation qui l’avait saisi auparavant avait disparu. Ses doigts recouvraient peu à peu une couleur chair et des sensations, mais ses orteils étaient toujours douloureux.

Lorsqu’enfin, elle se réveilla, dehors tout était d’encre et de lumière. Au tout premier sursaut de conscience, Esther crut que l’aube s’était levée et que le jour allait bientôt se glisser entre les branches. Mais quelle ne fut sa surprise, quand elle fut toute à ses esprits et qu’elle réalisa que les faisceaux de lumières n’étaient dus qu’à la lune et aux astres amis, qui la guidaient selon sa volonté.

Ses mains avaient retrouvé de leur mobilité et ses pieds s’étaient réchauffés au contact du feu.

Devant l’arbre creux, le fauve d’ombre montait la garde. Esther osa s’approcher et tendit la main pour glisser dans sa crinière sombre ses doigts. La bête ne grogna pas. Elle était glacée, mais pour autant son pelage était doux et soyeux. Il lui rappela celui du chien qu’ils avaient possédé quand elle était petite, un gros chien de montagne qui gardait la maison, la nuit. Un instant, elle voulut s’y blottir, mais la bête grogna dans son sommeil. Elle bondit de peur et se recula, craignant d’avoir attisé sa fureur. La bête n’en fit rien. Étendue sur le flanc, elle se laissait aller au repos.

— Esther…

La jeune fille sursauta. Elle se retourna vivement, croyant que Stjörauga s’était réveillé et l’appelait. Mais ce dernier dormait toujours, enveloppé dans sa cape.

— Esther…

À nouveau la voix qui l’appelait. Elle lança un regard vers la sylve environnante. Mais personne ne se tenait près d’elle ; sinon l’ombre étendue, baignée de la clarté crue de la lune.

De dépit, elle s’enveloppa dans sa couverture et s’avança de quelques pas hors du gîte ; un vent doux et glacial soufflait entre les ramures.

— Esther, reprit de nouveau la voix.

Cette fois, elle en était certaine, elle venait de derrière.

— Père, est-ce vous ? lança-t-elle le souffle court.

Un silence pesant s’était de nouveau abattu sur la clairière. Des larmes roulaient le long de ses joues et se changeaient en de minuscules flocons ; quelqu’un tirait sur sa pelisse de laine. Surprise, elle se retourna vivement et découvrit la chose ombre ; sa patte posée sur sa couverture. Que pouvaient donc exprimer les abysses profonds qui habitaient ses yeux ? Presque tremblante, elle s’agenouilla et tira sur le lainage, mais le fauve ne bougeait pas.

— Je ne m’enfuirai pas, murmura-t-elle, son regard plongé dans le sien.

La chose-ombre eut une hésitation, puis relâcha sa proie ; non sans garder les yeux rivés sur elle. Timide, elle tendit une main en direction de son mufle. Son souffle était glacé, malgré tout, elle sentait une douce chaleur envahir ses doigts engourdis.