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tome 1, Chapitre 2 « Etoile Filante » tome 1, Chapitre 2

De ses yeux aimants, il l’avait regardée grandir. Il l’avait couvée du regard lorsqu’elle se penchait sur les onguents qu’il préparait, quand de sa petite voix elle le questionnait sur les mystères de la vie, de l’existence.

— Pourquoi pleut-il ?

— Là-haut, tout là-haut, il y a une sœur, dont on s’est autrefois jouée et qui, à ce souvenir, verse des torrents de larmes.

— Pourquoi y a-t-il des étoiles la nuit ?

— Chaque soir, une créature chimérique monte sur son échelle et va allumer chacune d’entre elles.

À chaque question, il essayait de lui dépeindre un monde d’esprits et de légendes. À chaque question, Esther l’écoutait religieusement, recueillant ses mots comme autant de trésors, autant de connaissances dont elle pourrait abreuver son jeune esprit.

Puis un jour, Esther devint une femme.

— Je dois partir, annonça-t-elle un soir en serrant contre elle ce père qu’elle avait aimé.

Bien sûr, semblable jour arrive toujours, le cœur le sait, le corps, l’esprit, mais toujours l’âme se déchirait, car c’est un morceau de soi qui s’arrachait lorsque l’instant s’en vient. Pressé contre lui, il caressait la tête de cette presque femme qui fut un temps, des saisons auparavant, un enfançon qu’il tenait au creux de sa paume.

— Lorsque les premiers sangs seront versés, lui avait murmuré la lune cette nuit-là. Il sera temps de me rendre ce que je t’aurai confié. Tu l’enterreras alors au plus profond des bois, là où nul homme, nulle bête ne s’en ira le trouver. Puis, au jour de son départ, tu lui confieras cette lame imprégnée de ton sang. Qu’elle la plante dans le sol et je la guiderai jusqu’à moi quand le temps s’en viendra.

— Esther. Toute cette vie que tu as partagée avec moi m’a comblé de joie. Désormais, que tu en exprimes le souhait, je ne t’en dissuaderai pas. Prends seulement avec toi cette dague, comme un souvenir de moi.

La dague était de bonne facture. Le pommeau était décoré de rouleaux de feuillages, usé par les usages répétés. Sur la lame, Esther perçut des taches écarlates que l’eau avait tenté de défaire. Elle leva vers son père des yeux pleins d’effroi :

— Père…

Elle avait porté sa main à son torse, effleuré son sein. Un sanglot lui serra la gorge. Une tristesse terrible lui mordit la poitrine.

— Où est-il donc, le sein par lequel vous m’avez nourrie ?

Et à son tour, un chagrin violent le saisit tandis qu’il caressait la chevelure d’or de son enfant chérie.

— Je l’ai rendu à celle à laquelle il appartenait. Femme tu es à présent, de moi tu n’as plus besoin. Tel était le contrat que j’ai lié avec celle que tu appelles « dame de la nuit ». Tel était mon pacte avec la Lune.

Entre ses doigts, la lame pesa soudain bien lourd comme si une main invisible s’était posée dessus. Nimbée d’une aura blanche et luminescente, elle scintillait et enveloppait désormais sa main entière.

— Père, murmura Esther à qui le souffle manquait.

Mais d’un index posé sur ses lèvres, il l’avait fait taire. Cette décision était sienne, de même que la douleur imprimée dans sa chair. Sa bouche s’était étirée en l’un de ses sourires dont il avait le secret, l’un de ceux où perçait la tristesse. Dans ses yeux chassieux, de mystérieux reflets dansaient, pareils à ces étranges lumières qui dérivaient dans le ciel. Sa main posée sur la sienne, il en referma les doigts sur la garde.

— Maintenant, pars. Va là où tes pas te mèneront. Lorsque tu ne sauras plus où aller, plante la lame de cette dague dans le sol.

— Père…

La voix d’Esther se brisait en mille chagrins. Son visage était flétri par la tristesse. Des perles salées roulaient sur ses joues, ses épaules étaient secouées par des sanglots incontrôlables.

— Une fois cela fait, ajouta-t-il en déposant dans sa chevelure autant de baisers qu’il le pouvait, la Lune te guidera. Elle sera là pour toi, mon Esther. Elle sera là quand moi je n’y serai plus.

Esther s’agrippa à sa main, la porta à ses lèvres. Elle regrettait tant que le temps soit venu. Si elle le pouvait, elle se serait égorgée sur-le-champ pour mieux renaître auprès de lui.

— Je vous obéirai, père.

Et s’arrachant à son étreinte, elle serra la dague contre son sein, ouvrit grand la porte de leur maison. Dehors tout était de lait et d’encre. Les flocons tombaient dru. Et faisant ses premiers pas dans ce jardin de neige d’argent, elle sentit ses larmes geler immédiatement.


Texte publié par Yukino Yuri, 7 septembre 2020 à 10h15
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