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tome 1, Chapitre 36 « Fête du samedi soir partie 2 » tome 1, Chapitre 36

Clifford 2000 (39 ans)

Hier, j’étais sûr de moi. J’ai dit à Mo qu’il n’y aurait pas de problème, que je réussirai à récupérer la gamine à l’école. Après tout, ça ne doit pas être sorcier. Chaque jour, des milliers de gens y parvient alors pourquoi pas moi ? Étrangement, plus j’approche du lieu, plus j’ai envie de me sauver en courant. Pathétique.

Après, j’aurais pu dire « non », mon ange ne m’en aurait pas voulu. Mais outre le fait qu’on aurait payé la garderie pour rien, ça n’aurait pas été très sympa pour la gamine de l’abandonner pour rentrer tout seul comme un gros con.

Mission : aller chercher Valiana à l’école, en restant le plus normal possible. Aucun armement n’est autorisé. Mon but : ne pas attirer l’attention. Ça part mal vu ma tête.

Peut-être que si je prends les choses ainsi, ça ira mieux.

De loin, je repère le bâtiment. Il y a trop de monde devant. Je préfère patienter de l’autre côté du trottoir que la foule passe. Pour le moment, la grille est encore fermée. Dès que le gros des parents disparaît dans la cour, je traverse la route.

Un problème imprévu m’attend : les gens prennent deux directions différentes. Comment savoir où aller ? Je vais être obligé de poser la question à la personne qui surveille les entrées et les sorties. Remarque ça ne sera pas une mauvaise chose : comme ça, je me présente. Ainsi personne ne s’inquiétera de ma présence.

– Bonjour.

Une femme d’une trentaine d’années, cheveux châtain retenue en queue de cheval me lance un regard interrogateur.

– Je suis le père de Valiana. Je viens la chercher.

– Ha oui, j’ai lu le mot à ce sujet.

Mo a pensée à tout. Il faudrait vraiment que je fasse de mon mieux pour venir récupérer Valia plus souvent.

Aussitôt que je suis identifié, elle me sourit. Puisque j’ai une bonne raison d’être là, je suis bien accueilli. De la main, elle me désigne une porte ouverte à droite.

– Les petits attendent dans cette classe.

Après un bref remerciement, je traverse la cour dont le sol est rempli de marelles colorées. Dans un coin, j’aperçois une cabane accompagnée d’un toboggan et d’un train en bois sur lequel les enfants peuvent monter. Sans savoir pourquoi je me sens mal. Je n’aime pas ce qui se rapporte à l’enfance. Ça ne fait que me rappeler de mauvais souvenirs.

Une fois à proximité de la classe, je reste à bonne distance des femmes avec les poussettes pleines de bambins. Certaines repartent avec trois nouveaux gamins en plus de ceux qu’elles trimballent déjà. Des nourrices à n’en point douter. J’admire le courage dont elles font preuves. Une seule et je suis paumé.

Lorsqu’arrive mon tour, je m’approche de la porte où une petite brune à l’air douce s’occupe de rendre les enfants à leur propriétaire. Tant qu’on me donne Valia, tout ira bien. Je la salue et elle me répond avec un large sourire.

– Je viens chercher Valiana.

– D’accord. Vous êtes ?

Un vieux con mais aussi…

– Son père.

Elle se retourne en direction du banc où les gamins sont assis. Certains chahutent gentiment.

– Valiana, viens, ton papa est là !

– Oui.

Étrangement, je reconnais tout de suite sa voix aiguë. Des bruits de pas, puis une petite fille vêtue d’un short noir et d’un t-shirt bleu turquoise déboule pour s’accrocher à ma jambe en criant « papa ». Pas de doute possible, c’est bien la mienne.

– Alors aujourd’hui, c’est le jour des livres de bibliothèque. Il y a aussi un petit mot dans le cahier bleu qui doit être dans le sac avec le livre.

– Papa ! On lira le livre de la bibliothèque ce soir ? S’il te plaît !

Je récupère la pochette pour y vérifier la présence de l’album ainsi que du cahier. Ça, je les ai. À présent, la gamine.

– Papa ! On rentre à la maison ?

Je remercie l’employée avant de tourner les talons. Ma main se pose que sur la tête de ma fille. Elle est bien là. On commence le chemin du retour.

Au bout d’une minute, la petite file déjà en courant pour voir la femme qui se tient devant la grille. Une grande envie de hurler comme un fou, pour qu’elle revienne à mon côté, me prend. Seulement, si je le fais, j’imagine sans peine ses petits yeux s’embrumer de larmes. Alors je prends sur moi. La solution ne doit pas être loin.

– À demain, maîtresse.

À ces mots, je comprends que la femme qui gère les entrées et les sorties est l’enseignante de ma fille. Je suis vraiment un touriste. Après un baiser, Valia revient près de moi. Mes lèvres saluent l’institutrice, alors que je tourne déjà les talons. Je tente de m’extraire du gros de la foule, mais la gamine marche plus lentement que moi, et j’ai peur de la perdre.

– Valia ? Tu veux que je te porte ?

– Oui !

Avec un sourire, elle tend ses petits bras vers moi. C’est beaucoup plus facile que je l’aurais imaginé. Je la saisis sous les aisselles pour la coller contre mon flanc. Ses mains s’accrochent à mon cou. Étrangement, ça a l’air de lui plaire. Et moi, ça me permet d’avoir l’esprit plus tranquille, je sais au moins, où elle est.

– Papa ?

J’émets un grognement pour toute réponse.

– C’est trop bien que tu es venu me chercher !

– Sois. On dit « c’est trop bien que tu sois venu me chercher ».

– Ha, d’accord.

Cela dit, je ne vois pas en quoi c’est agréable pour elle. Mo est une bien meilleure parente que moi. Au moins, elle n’a pas l’air complètement perdue et sait à qui elle s’adresse.

– Papa ?

Est-elle obligée de commencer toutes ses phrases de cette manière ?

– Oui ?

– On mange quoi au goûter ?

Je tente de me souvenir de ce qu’il y a dans le placard, mais c’est le vide dans mon esprit. Le goûter, j’avais presque oublié que ça existait. Peut-être parce que moi, je n’en avais jamais. Cela dit, ce n’est en rien la faute de Valia. Il faut que je trouve une parade. Heureusement pour moi, l’univers est de mon côté, alors que j’avise une boutique à la devanture rouge dont s’échappe une bonne odeur sucrée : une boulangerie. Si je prends une baguette, on pourra faire des tartines de beurre avec de la confiture. Est-ce qu’il y en a dans le frigo ? Bon, autre solution.

– Tu veux un croissant ou un pain au chocolat ?

– Pain au chocholat !

– Chocolat.

Elle se concentre.

– Chocolat !

Un sourire se dessine sur son visage face à sa réussite. C’est étrange, mais quand je la vois heureuse, ça m’a fait un petit quelque chose au cœur. Je n’ai rien fait, mais elle paraît contente. Est-ce que c’est parce que je lui ai proposé une viennoiserie ?

Nous rentrons dans la boulangerie. Valia s’agite dans mes bras pour fixer le contenu de la vitrine. Je n’aime pas ça. Si jamais elle venait à tomber…

– Du calme, Valia.

– On prend quoi pour maman ?

Je répète la question. Comment avouer que je n’y ai pas pensé ?

– On prend un pain au chocholat pour maman ?

– Chocholat ?

Valia fronce les sourcils d’un air énervé. Ses grands yeux noirs plissés ne font qu’accentuer le fait qu’elle fait la tête. On se ressemble vraiment tous les deux. Même iris sombres, mêmes boucles brunes, même peau mate… Il serait difficile pour moi de nier qu’elle est ma gamine.

– On en prend un pour maman, lui dis-je pour la rassurer.

– Et pour toi, papa ?

Je hausse les épaules.

– Je n’ai besoin de rien.

Sur ce point-là, je ne mens pas. J’ai l’habitude de ne rien avoir. Du coup, je préfère garder notre argent pour Mo ou Valia.

– Mais papa, il faut que tu prennes un goûter aussi. Sinon qu’est-ce que tu vas manger ?

La pauvre gosse a l’air désolée pour moi. C’est une des rares qui pensent à moi avec Mo. Alors c’est ça d’avoir une famille. Des gens qui s’intéressent à nous et nous aiment. Avec juste ma femme, je croyais que j’avais trouvé le bonheur. Avec ma petite fille, j’apprends qu’il y a aussi d’autres choses qui me manquaient.

– Trois pains au chocholat.

Valia boude et tourne la tête. Est-ce qu’on a déjà eu des moments aussi proches, tous les deux ? Je ne crois pas. Sans doute, parce que généralement, je laisse Mo prendre les choses en mains. Comment rivaliser face à elle ? Elle parvient à s’occuper de sa fille avec amour, à prendre du temps pour moi, et en plus à travailler en mi-temps. Dire que certains oseraient dire que c’est une gamine parce qu’elle n’a que vingt-deux ans. Sans peine, je lui répondrais qu’elle est beaucoup plus forte que moi.

Les gens, devant nous, récupèrent leurs achats avant de quitter les lieux. Je m’approche de la vendeuse. Au vu de son sourire, Valia doit faire son effet.

– Trois pains au chocolat et une baguette s’il vous plaît.

– Est-ce que vous voulez l’offre spéciale ? Quatre pains au chocolat plus un gratuit parce que c’est l’heure du goûter.

Valia en profite pour me glisser quelques mots à l’oreille.

– C’est l’heure du goûter, papa.

Des fois que je n’ai pas compris tout seul.

– D’accord. Je prends les cinq pains au chocolat.

– Cinq pains au chocolat ! Cinq, papa !

La gamine détache toutes les syllabes pour être sûre de bien prononcer. Son ton de voix me donne envie d’éclater de rire. Cependant, je me retiens pour ne pas la vexer.

– Est-ce que vous voulez un sac pour transporter le tout ? me propose la vendeuse.

J’acquiesce. Avec Valia et le sac de bibliothèque, ça sera plus simple. L’employer coupe la baguette en deux pour la ranger avec les pains au chocolat. Pendant ce temps-là, je pose ma fille par terre. Pour être sûr qu’elle ne va pas aller à droite ou à gauche, je lui demande de tenir ma ceinture. Rassuré par ce point, je sors mon portefeuille et un billet de dix euros. Après récupération de la monnaie, avec ma gamine dans les bras, je repars.

– Papa ?

– Oui ?

– C’est pour qui le cinq pains au chocolat ?

Je souris.

– À ton avis ? Cinq, c’est le nombre de doigts sur ta main.

– Un pour maman, un pour papa et un pour Valiana. Et les autres ?

Son visage affiche un air curieux.

– Pour maman et Valia petit-déjeuner demain matin.

– C’est vrai ?

Ces petits cris de joie me donnent envie de rire. Elle me parait si heureuse pour un simple pain au chocolat. Si cela avait été moi, j’aurais compris. Rien que le fait qu’on me donne quelque chose m’aurait touché.

– Papa ? T’as pas de pain au chocho… chocolat pour demain ?

– Non. Mais ce n’est pas grave. Je mangerai du pain.

Valia me regarde, soucieuse.

– Tu peux prendre un morceau du mien si tu veux, papa.

Un vrai petit ange…

– Maman dit qu’il faut se soutenir dans la famille, être gentil et partager ses affaires. Je peux partager mon pain au chocholat avec papa.

Ces mots… Je reconnais bien là, l’éducation de ma femme. Elle désire qu’on prenne soin de nous avant de penser au reste. Une vraie famille… Ce que je croyais impossible. Avec des membres qui s’aiment et se soutiennent en permanence…

– Ne t’en fais pas. Je te l’offre avec plaisir, le pain au chocolat.

Son visage s’approche du mien. Ses lèvres déposent un baiser mouillé sur ma joue. À chaque fois, je reste surpris de son attachement. Je fais si peu pour elle, contrairement à Mo. Malgré tout, cela paraît ne pas avoir d’importance.

– Je t’aime très fort, chuchote-t-elle.

– Moi aussi.

Pourtant je suis incapable de te le dire.

– Papa ? On fait quoi en arrivant à la maison ?

– Déjà, on goûte. Après, tu joues un peu pendant que papa fait à manger. Ensuite, on attend maman pour manger. Puis une douche et dodo !

– Et le livre de bibliothèque ?

Sa mine inquiète me fait sourire.

– On le lit avant de dormir. Comme ça, tu pourras faire de beaux rêves.

Ma réponse a eu l’air de la rassurer. J’aime bien venir lui lire un livre. Même si je ne fais pas de voix rigolote comme Mo, j’ai l’impression de partager un peu avec elle. La lecture, ça a toujours été ma bouée de sauvetage. Un moment pour échapper à mon quotidien grâce à un sac de roman trouvé près de la poubelle. J’ai gardé cette habitude d’aller à la bibliothèque ou d’acheter des policiers dès que je le pouvais. D’ailleurs, je pense que c’est à cause de moi que ma femme s’est mise à lire. Les moments où nous lisons l’un à côté de l’autre sont ceux que je préfère. Même si je dois avouer que souvent l’envie de nous embrasser nous prend ainsi la lecture passe au second plan.

– On tourne là, papa, me souffle à l’oreille ma fille.

Dès fois que j’ai oublié le chemin pour rentrer. Pour le moment, ça se déroule plutôt bien. Elle ne pleure pas, et ne réclame pas sa mère non plus. Si cela continue comme ça, je pourrais retenter l’expérience d’aller la chercher à l’école.


Texte publié par Nascana, 14 novembre 2021 à 03h47
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