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Moéna 1995 (18 ans)

Quand le réveil sonne, je me retourne vers Cliff pour déposer un baiser tendre sur sa joue. Alors qu’il ouvre les paupières, j’ai déjà quitté la pièce afin de lui préparer un café. D’un geste rapide, j’ai arrêté la sonnerie stridente. Pendant que je fais chauffer une casserole d’eau chaude, la réalité me rattrape douchant mon enthousiasme. C’est aujourd’hui que je prends rendez-vous avec l’hôpital.

Ma main se pose instinctivement sur mon ventre. Mon cœur se serre. C’est pour une vie meilleure que je fais ça. Cliff n’en souffrira pas et mon bébé non plus. Il faut que je pense à eux avant de penser à moi.

Je sors du placard le restant d’une baguette de pain enroulé dans un torchon. Il est encore mou. Un coup d’œil dans le frigo et je récupère le beurre. Cliff arrive, habillé, alors que j’en suis à couper une banane en rondelle pour la déposer sur la tartine.

– Mo, tu n’es pas obligée de t’emmerder avec ça.

– Je sais.

Je pose l’assiette pleine et la tasse fumante sur la table avec un sourire. Ensuite, je m’avance vers lui pour l’embrasser.

– Tu n’en feras qu’à ta tête.

Il me connaît.

– Mange un peu. Tu te sens comment ? Si ça ne va pas, on peut aller chez le docteur.

– Ça ira, ne t’en fais pas. Je finis tôt cet après-midi. Si je veux me reposer, je le ferais à ce moment-là.

Cela ne me retire pas mon inquiétude. Si j’étais seule décisionnaire, je le garderais près de moi. Un nouveau problème me vient à l’esprit.

– Tu as de la monnaie ?

Après avoir farfouillé dans mon sac, je cherche mon porte-monnaie. C’est l’opération pièce jaune à l’intérieur. Cliff récupère avec difficulté son portefeuille dans la poche de son jean.

– Dix francs, ça te va ? Vingt ?

– Oui, c’est parfait. C’est pour la cabine téléphonique. Je dois appeler l’hôpital ce matin.

Ma voix se brise. Le silence nous entoure alors que nous nous regardons sans dire un mot.