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volume 1, Chapitre 10 « La Petite Lou » volume 1, Chapitre 10

— C’est à c’te heure-ci qu’tu rentres ?

La voix grasse et rocailleuse la prend au dépourvu. Pourtant, elle ne devrait pas, car il en est ainsi tous les soirs. En fait, Lou ne voulait pas rentrer. Non, pas tant qu’il y aurait cette grosse boule dans son ventre. Alors elle avait traîné dehors. Lou resserre sur son corps sa veste trop grande pour elle. Elle espère pouvoir se faufiler jusqu’à sa chambre. Son sac à dos devant elle, elle marche du plus vite qu’elle en est capable. Mais son pas se ralentit. Le sol se dérobe de plus en plus sous ses pieds, à mesure qu’elle approche de son antre. Elle sent presque les relents fétides de son haleine.

Lou se plaque contre le mur. Elle sait que ce n’est que le fruit de son imagination et que le monstre, vautré dans son fauteuil, est trop abruti pour se lancer à sa poursuite.

— Qu’est-ce que t’attends pour venir ? T’as peur que je te tape ?

La voix est devenue gouailleuse, presque moqueuse.

— Je pose mes affaires et j’arrive ! lance-t-elle sur un ton qu’elle voudrait de défi.

— T’as intérêt ! rétorque le monstre, mauvais. Ensuite, t’auras qu’à t’faire à manger.

Lou se tasse encore un peu plus sur elle-même.

— Oui, p’pa, marmonne-t-elle.

— J’ai pas entendu ! gueule la voix venue du salon.

— Oui ! Papa ! s’époumone-t-elle, à bout de souffle.

— Tu vois ! C’était pas si difficile, ricane-t-il.

Non, ce n’était pas si difficile. La tête rentrée dans les épaules, elle reprend sa course dans le couloir. Mais ses pas sont toujours aussi lourds et le sol toujours aussi traître. Elle le sent qui se dérobe sous ses pas, qui l’entrave. Par des efforts démesurés, elle parvient à s’arracher à l’élément liquide. Enfin, elle a franchi la porte. Le monstre ne l’a pas rattrapée, pas encore. Mais elle ne doit pas s’attarder, car il rôde sur le seuil. Qu’elle paresse et… déjà son ombre s’étire dans le couloir. Lou se précipite. Elle n’est soulagée qu’une fois enfermée dans sa chambre. Hélas, ce n’est qu’une sensation bien dérisoire et misérable, car ne les sépare qu’une mince cloison de bois. Comme elle aimerait ne jamais ressortir. Mais elle sait que c’est inutile, les murs sont là pour le lui rappeler. Exténuée, Lou jette son sac sur son lit, sa veste. Quelques instants, elle demeure immobile, comme si elle venait de se débarrasser d’une chair devenue soudain trop encombrante, puis s’approche de sa coiffeuse.

Des trois miroirs, il n’en reste qu’un seul ; elle était déjà ainsi lorsqu’elle l’a trouvé un soir sur le bord du trottoir. Chaque fois qu’elle se regarde dedans, c’est comme si elle voyait une autre personne, une autre elle plus joyeuse, plus heureuse. Elle aperçoit parfois le fin tracé d’un chemin, ou les contours d’une forêt dense et touffue où elle adorerait se perdre. Mais comme le reste, ce n’est que le fruit de son imagination, une fenêtre de liberté à jamais hallucinée.

Une fois, elle avait posé sa main sur la surface froide, avec le fol espoir de lui échapper. Mais il avait été brisé lorsqu’il avait défoncé la porte et qu’il l’avait traînée hors de sa chambre. Il tenait à la main sa vieille ceinture, noire et laide. Les coups, elle avait cessé de les compter. La douleur, elle ne s’en souvenait plus, car elle habitait avec ; elle la hantait jour et nuit sauf quand elle franchissait le seuil de ce refuge imaginaire, qu’elle apercevait par le miroir de sa coiffeuse. Quand elle se réveillait, elle était souvent en larme, jetée dans un tas de chiffons sales sur son lit défoncé. Lou referme la page, son image dans le miroir lui renvoie la figure d’une personne qui n’existe pas.

D’une main rendue maladroite, elle s’empare d’un bout de coton qu’elle imbibe de lotion. Bientôt tombe le masque de cet autre. Le monstre ne doit pas voir, le monstre ne doit pas savoir. Sous ses doigts, la chair se détache et tombe en taches disgracieuses sur la coiffeuse. Elle enlève le nœud qui retient ses cheveux et en couvre sa figure. Elle se saisit d’un sac en plastique dans le tiroir et y jette tous les disques, puis fait de même avec ce qui traîne dans son sac. Quand elle l’aura balancé dans le vide-ordure, elle sera presque soulagée. Encore un regard dans le miroir et elle ouvre avec précaution la porte.

Non, le monstre n’est pas là, il ne l’attend pas. Le monstre est fatigué ce soir. Il ne l’ennuiera pas. A pas de loup, Lou se faufile jusqu’à la cuisine et dissimule le sac aux pieds d’un meuble poussiéreux. Il ne faut pas qu’il l’entende. Elle tend l’oreille un instant, puis s’avance en silence, avant de reprendre son pas naturel.

— Bonsoir, papa, fait-elle d’une voix qu’elle veut la plus neutre possible, tandis qu’elle se tient sur le seuil de la porte.

— C’est bien, tu es obéissante ma petite Lou.

Sa voix est comme un bonbon délicieux dans un bout de papier froissé que l’on déplierait. Elle n’est plus qu’à quelques pas du monstre tapi dans l’ombre. Dans la pénombre, elle en devine les contours. Ses mouvements sont lents, lourds de cette boisson qui le consume à petit feu. Elle n’ose pas s’approcher, car il peut être vif quand il le veut.

— Vient ma petite Lou. Je ne vais pas te manger, je ne suis pas le grand méchant loup, ricane-t-il dans une quinte de toux.

Mais Lou a peur, alors elle prend une grande inspiration et bande ses muscles pour prendre la fuite. Fuir, mais où. Lou ne le sait pas. Lou a oublié. La main posée sur le chambranle, elle s’élance d’un coup. Sous ses pieds, elle sent ses chaussons se coller sur les lames du parquet. Lou a envie de pleurer, mais elle retient ses larmes de toutes ses forces ; elle doit paraître forte. Elle n’est plus qu’à quelques pas du monstre dans son fauteuil. Il remue à peine. Elle voit sa main se lever. Ses doigts sont immenses, semblables aux pattes d’une araignée velue, prête à fondre sur sa proie.

— Bonsoir, papa, marmonne-t-elle du bout des lèvres.

— Bonsoir ma chérie. Ne m’embrasse…

Mais le monstre n’achève pas sa phrase, car elle se perd dans une nouvelle quinte de toux. Elle l’entend se racler la gorge et cracher dans un mouchoir sale.

— Tu as besoin de quelque chose, papa ?

— Non, c’est gentil de ta part. Je suis allé à la pharmacie, j’ai pris ce qu’il me fallait. Tu peux aller dîner.

Un instant, la pince de chair semble fouiller l’air autour d’elle, puis retombe mollement sur l’accoudoir. Le monstre est fatigué ce soir, Lou est soulagée. Cependant, elle patiente encore quelques instants en sa présence. Elle ne doit pas se retirer trop vite, sinon il pourrait chercher à l’attraper.

— Qu’est-ce que j’t’ai dit ? balance-t-il d’un ton mauvais.

— Merci, papa, murmure Lou en se retirant.

Dans la cuisine, elle se précipite sur le vide-ordure. La main plaquée sur la poignée, elle n’ose pas tirer dessus. Que se passerait-il, si le monstre surgissait, par-devers, et la surprenait ? Lou ne l’imagine pas et serre un peu plus ses doigts autour de la barre de fer. Le monstre ne bougera pas. Le monstre est malade. Elle l’a vu. Mais non, elle relâche sa poigne et se tourne vers le vieux réfrigérateur dont le moteur fatigué vrombit, plutôt que de ronronner. À la volée, elle attrape une assiette pleine de restes et une boîte contenant une purée orangée. Pendant qu’elle fait réchauffer son dîner, elle ouvre la trappe du vide-ordure et balance le sac compromettant, qu’elle a lesté, au passage, de quelques saletés trouvées dans la corbeille. Un tintement retentit. Lou s’empare de l’assiette et s’enferme dans sa chambre. Elle est contente, car le monstre ne viendra pas ce soir. Non ! Il est trop malade pour ça. Elle en profitera pour s’évader au travers du miroir. Qui sait ce qu’elle découvrira ce soir ?

Assise, elle picore des miettes de viandes qu’elle avale avec des bouchées d’une purée éventée. Quelques minutes plus tard, elle se lève et se traîne vers sa coiffeuse. Par précaution, elle vérifie que sa porte est fermée à double tour ; il y a toujours un monstre qui rôde sur le seuil. L’oreille collée contre la cloison de bois, elle écoute le silence du couloir. Par le trou de la serrure, elle aperçoit le mince filet de lumière qui s’échappe de la pièce. Soulagée, Lou se retourne. Bientôt, elle sera, pour quelques instants, hors des griffes du monstre. Dans son fauteuil, face au miroir sale, Lou tend encore une fois l’oreille. Dans le silence de la pièce, elle entend les battements affolés de son cœur. Le monstre dort sûrement.

— Bonsoir Lou !

Lou sursaute. Sa chambre est verrouillée à double tour, sa fenêtre fermée et ses rideaux tirés. Dans sa poitrine, son cœur cogne à tout rompre. Ça ne peut être le monstre, car le monstre ne connaît pas la douceur ; il ne connaît que la couleur de la douleur et la saveur de la peur. Terrorisée, Lou manque de peu de basculer de sa chaise. Mais elle se retient, car si elle tombe, elle fera du bruit et ce sera terrible.

— Ne fuis pas, Lou. Je suis là, dans le miroir, se reprend la voix. Tu es souvent venue me voir. Mais tu ne demeurais jamais très longtemps. Alors, c’est moi qui viens ce soir.

Sur son fauteuil, Lou tente de retrouver son calme. Hélas, comment la chose serait-elle possible quand des voix s’échappent de l’au-delà ? Pourtant, elle ne devrait pas être surprise, ce miroir n’est-il pas la clé de cette prison qui ne dit pas son nom ? Rassurée, Lou se penche vers le miroir et y découvre la jeune fille, dont elle n’apercevait que la silhouette lors de ses promenades solitaires dans la forêt sauvage.

— Je t’ai fait peur ? murmure-t-elle, gênée.

— Un peu, marmonne Lou. Le poing serré sur la poitrine.

— Alors, toutes mes excuses, Lou.

— Mais comment connais-tu mon nom ? s’exclame-t-elle d’une voix étouffée.

— Comment pourrais-je l’ignorer ? Je vis depuis toujours dans ce miroir, rétorque la jeune fille dans le miroir.

— Alors tu sais pourquoi je me réfugie aussi souvent qu’il m’est permis ton monde imaginaire ?

— Oui ! Cependant, Lou, ce monde où je demeure est tout aussi réel que le tien. Je suis de chair et de sang, non de vide et de sentiments.

Lou demeure perplexe. Elle avait toujours pensé que ce qu’elle entrapercevait dans les reflets n’était que les fruits de son imagination.

— Tu te demandes sûrement pourquoi je ne me manifeste seulement maintenant. C’est fort simple. Le monstre est malade et il ne viendra pas ce soir.

Inquiète, Lou imagine la porte. Une affiche à demi déchirée pendouille ; elle ne l’a jamais changée. Le regard fixé sur la poignée, elle s’attend à ce qu’elle tourne toute seule. Ensuite viendraient les coups, puis les cris et elle se recroquevillerait contre son lit, non sans avoir au préalable tourné la clé dans la serrure. Alors il se tiendrait là, sur le seuil de sa chambre ; le monstre dans toute sa laideur.

— Lou ! Lou, écoute-moi attentivement. Tu m’as sauvé, alors je me dois de te remercier.

— Je… je t’ai sauvé ? balbutie-t-elle.

— Oui, lorsque tu as ramassé la coiffeuse dans la rue. Si tu ne l’avais pas fait, le dernier miroir aurait été brisé et j’aurai disparu à jamais.

— Oh ! murmure-t-elle.

— Demain lorsque tu te réveilleras, tu découvriras, dans le tiroir principal, trois allumettes d’argent. Garde-les toujours sur toi ! Lorsque tu seras en danger, craques-en une et je viendrai te sauver.

Lou veut ajouter quelque chose, mais l’autre l’en dissuade.

— Plus un mot, Lou. J’entends le monstre qui se lève.

En effet, dans le silence syncopé de sa chambre, Lou perçoit nettement le bruit du fauteuil qui craque sous l’effort. Mais il ne passera pas par là, il ira dans sa chambre de l’autre côté de l’appartement. Pendant plusieurs minutes, elle n’ose respirer de peur de se trahir. Avec précaution, elle tend la main vers l’interrupteur et presse le bouton ; il ne demeure plus que la falote lueur d’une minuscule veilleuse.

— Lou, chuchote la voix du reflet. Tu peux aller dormir et n’oublies pas ce que je t’ai dit.

A ces mots, Lou acquiesce. Dans le miroir, elle aperçoit la jeune fille qui lui fait signe de la main avant de disparaître. Tendue comme la corde d’un arc, elle se déshabille et enfile une tenue de nuit. Une main sur la poignée, l’autre sur la clé, Lou entrouvre la porte de sa chambre. Dans le couloir, il y fait noir comme dans un four. La salle de bain, aménagée dans un recoin, n’est qu’à deux pas de la cuisine. Silencieuse, elle s’y faufile et expédie une toilette sommaire ; demain, elle fera mieux. La brosse passe et repasse sur ses dents et sur sa langue, tant qu’elle en saignerait presque. Puis, elle crache au plus près du rebord la mousse blanche. Elle se rince ensuite avec soin la bouche et court s’enfermer dans sa chambre. Dans son lit, Lou ne tarde pas à tomber entre les bras de Morphée.

Au cours de la nuit, Lou rêve d’une forêt sauvage. Elle revoit la jeune fille dans le miroir, dans une chaumière quelqu’un lui remet un panier et l’habille d’un chaperon. Plus loin, elle aperçoit une silhouette qu’elle n’avait jamais vue auparavant. C’est un homme élégant, sa tête est coiffée par un haut-de-forme et ses yeux brillants sont dissimulés par des verres fumés. De la main, il la salue puis lui envoie un baiser. A bientôt, Lou, semble-t-il lui murmurer. Mais Lou ne peut répondre, car le songe s’effondre et elle se réveille ; l’aube s’est leveé. Une drôle de sensation fourmille dans son bas-ventre. Mais elle ne s’y attarde pas, car elle veut savoir si la jeune fille a tenu parole. Assise devant sa coiffeuse, Lou a les mains qui tremblent d’excitation. Les allumettes reposent au fond du tiroir, dans une boîte en bois d’ouvrage ; elle a tenu parole. Cependant qu’elle s’en saisit, il lui semble entendre à nouveau sa voix :

— Fais-en bon usage, Lou. Je ne pourrai venir que trois fois, ensuite il sera trop tard.

Fais-en bon usage ! Bon usage ! Ses paroles tourbillonnent dans sa tête. Dans le reflet de la vitre de la rame qui l’emporte, Lou se contemple. En fait, elle contemple cette fille que ses amis, ses professeurs, ses connaissances appellent Lou et Lou a oublié son véritable prénom. Ce qu’elle voit n’est que le masque qu’elle revêt lorsque s’éveille ; un masque joyeux et merveilleux, un masque précieux et fabuleux. Au chauffeur, aux passagers, elle sourit, toujours. Mais aujourd’hui, Lou est anxieuse et lorsque Vincent s’approche d’elle et embrasse ses lèvres, elle ne ressent rien et feint. Pendant les cours, elle n’écoute que d’une oreille distraite les voix monocordes de ses enseignants. Ses pensées sont toutes accaparées par la vision de cet homme au regard si étrange. Même lorsque, seul à seul avec lui, ils font des choses interdites, elle mime puis s’enfuit. À la sortie, au lieu de partir, elle reste prostrée dans les marches de l’escalier. Machinalement, elle ouvre son sac et compte les billets qui s’échappent. Puis elle se saisit de son téléphone et envoie un message à Vincent pour s’excuser de sa conduite. Lou relève la tête et aperçoit le bus qui dévale la rue pentue. Elle court à toutes jambes. Ce soir, elle rentrera plus tôt, car elle veut savoir qui se cache dans le miroir et tant pis pour le monstre qui rôde sur le seuil. Le monstre sera encore malade et c’est tout ce qui compte.

Le dîner expédié ainsi que ses devoirs, Lou s’assoit devant sa coiffeuse. Le monstre a murmuré quand elle est rentrée ; il n’avait même pas la force de grogner. Enfin, elle peut ôter cette peau de Lou qui chaque jour l’étouffe. Il n’y a qu’à la nuit tombée qu’elle redevient elle-même : une jeune fille au teint fané et à l’âme damnée. Elle a encore dans la bouche le goût de son foutre ; une saveur de métal qu’elle ne lui connaît pas. Dans le miroir, rien ne se reflète hormis son visage, l’homme au frac n’est plus là, pas plus que la jeune fille à la capeline. Entre ses doigts, elle sert les allumettes. Et si elle en craquait une pour le faire apparaître, en allumer une pour disparaître. Lou se retient, car elle se souvient des paroles : fais-en bon usage, Lou. Je ne pourrai venir que trois fois, ensuite il sera trop tard.

Quelque part, elles sonnaient comme un avertissement. Soudain, un bip rompt le silence. Lou consulte son téléphone. Vincent lui pardonne et lui donne rendez-vous après les cours dans le vieux casino derrière le lycée.

Quelques minutes plus tard, Lou s’endort.

— Ô, mon enfant, puisses-tu trouver le courage ! murmure une voix venue du miroir.

Dans le noir, le monstre tousse. Le monstre s’éveille et se lève. Il a soif. Ses pas le portent vers la cuisine ; montagne de chair humaine en détresse. Il erre, la bave aux lèvres, semblable aux âmes en peine. Il passe devant la porte et un sourire mauvais barre son visage.

— Me prends-tu pour un dupe, petite conne ? renifle-t-il.

Cependant, il poursuit et s’en va s’abreuver dans la cuisine.

— Tout vient à point pour qui sait attendre, grommelle-t-il un verre à la main.

Le lendemain, Lou a encore sommeil lorsque sonne son réveil. C’est à contrecœur qu’elle se lève. L’esprit embrumé, elle se prépare. Elle contemple un instant les trois allumettes d’argent, tout en se demandant si tout cela est bien raisonnable, puis les fourre dans son sac, au milieu de son bric-à-brac. La journée se passe. Elle a vu Vincent et son cœur a bondi dans poitrine, car elle sait qu’elle le retrouve après et qu’il sera tard lorsqu’elle rentrera ; avec de la chance, le monstre dormira. En effet, elle a retrouvé Vincent au vieux Casino après les cours. Mais il n’était pas seul. Le monstre était là aussi, un monstre différent, mais le monstre quand même. Elle ne sait pas ce qui l’a surprise en premier, le coup ou le regard, si semblable et si différent en même temps. Ensuite, il l’a abandonné là, balancée sur un vieux matelas. Lou a senti sa main se refermer sur sa gorge et des étoiles sanglantes ont dansé dans ses yeux.

— Qu’as-tu fait ? soufflait-il. Tu sais que tu m’appartiens, Lou. Personne d’autre n’a le droit de te toucher à part moi, Lou.

Lou n’avait pas dit un mot, elle se moquait bien de ce qu’il pouvait lui balancer, lui qui n’avait été au fond qu’un coup parmi tant d’autres. Tout était devenu si laid depuis le décès de sa mère, morte de cette gangrène qui vous bouffe à petit feu le système immunitaire ; un cadeau de son père. Elle n’avait eu dès lors comme refuge que l’appartement de sa grand-mère, jusqu’à ce qu’une nuit, après qu’on lui eut coupé le chauffage, elle eut été emportée par une pneumonie. Recroquevillée sur le lit, Lou pleure doucement et se remémore soudain tous ces après-midi passés, entre les vieux murs de son appartement, en compagnie de cette femme si sage.

— Mamie, sanglote-t-elle, avant de sombrer dans la nuit.

— Allons, ma petite, confie-moi donc ton chagrin. Cela ne te sied point de pleurer ainsi. Est-ce comme cela que vient me voir ma petite Lou ? murmure une voix dans l’obscurité.

— Mamie ! s’exclame Lou, comme elle se redresse sur sa misérable couche.

Les yeux grands ouverts, elle scrute le noir horizon et aperçoit bientôt deux minuscules billes d’argent qui flottent dans les airs.

— Mamie ! C’est bien toi ! s’écrie Lou qui s’effondre aussitôt qu’elle tente de se lever de sa couche.

La présence se rapproche, elle est toute proche d’elle et de nouveau renaît cette étrange sensation.

— Oui, souffle-t-elle. Je ne suis pas là et je te parle par son intermédiaire. Pourquoi n’as-tu point craqué l’une des allumettes ?

— Je… je… je n’y croyais pas, annone-t-elle presque à bout de souffle.

— Ah… soupire la présence. Regarde dans quel état tu es ! Ne bouge pas, je vais aller chercher de l’aide et, n’oublie surtout pas, elle veille sur toi.

Lorsque Lou rouvre les yeux, elle est éblouie par la blancheur des lieux. Ses sens encore engourdis, elle perçoit néanmoins un concert de voix douces et agréables.

— Repose-toi, Lou, murmure quelqu’un à son oreille.

— A-t-on prévenu son père ? en chuchote une autre.

Son père, le monstre. Il sait. Lou voudrait s’enfuir, mais la douleur est trop vive et elle est trop faible. Alors le monstre est venu. Il a signé les papiers et ils sont rentrés. Tout le trajet, il est demeuré muet ; son regard était encore plus froid que de la glace. Quand ils sont entrés, Lou n’en est pas revenu, le dîner était préparé et elle a mangé à satiété. Mais le monstre la couvait toujours du regard et Lou ne l’aime pas.

Toute la soirée le monstre est demeuré muet et, lorsqu’elle est partie se coucher, lui est resté, les bras posés sur la table. Il l’a regardée s’éloigner, mais le monstre est encore malade et il n’a plus la force qu’il possédait autrefois. Quand la porte a claqué, il s’est levé et est parti, lui aussi, se coucher. Dans l’intimité de sa chambre, Lou est allée s’asseoir devant sa coiffeuse. Le miroir lui renvoie une image d’elle-même sans fard ni artifice, une image nue et crue.

Que possède-t-elle qui soit encore elle ? Le monstre lui-même n’a rien dit. Que se passe-t-il ?

Seule et meurtrie, Lou se sent perdre pied lorsque ses yeux tombent sur l’une des allumettes argentées. Elle ignore comment elles se sont retrouvées là, puisque le monstre avait pris soin de jeter tout le contenu inapproprié, comme il disait, de son sac.

Pourquoi n’en avait-elle pas craqué une ?

Elle n’avait pas osé croire, elle n’avait pas osé penser l’inimaginable. Sous ses doigts, le bois a une texture semblable à de la soie.

Rejoindra-t-elle sa grand-mère toujours de si bons conseils et cette jeune fille qui lui a promis son aide ?

Lou hésite. Elle approche la tête enduite de phosphore blanc de l’une des colonnes. L’extrémité s’enflamme, au travers de la flamme elle aperçoit une forêt où l’attend une jeune fille couverte d’une capeline rouge ; un panier d’osier suspendu au bras.

— Vient Lou ! Rejoins-moi de l’autre côté du miroir et je t’apporterai mon aide, murmure-t-elle.

Lou n’hésite plus et enfonce sa main dans le miroir, puis le bras, le corps tout entier. Il fait si froid tout d’un coup. Mais cela ne dure pas, quelqu’un a posé quelque chose sur ses épaules.

— Enfin petit chaperon, nous nous retrouvons !

— Petit chaperon ? s’exclame Lou qui ne comprend pas.

— Ah ! C’est parce que tu me ressembles à présent. Grand-mère est un peu souffrante et mère m’a confié un petit pot de beurre et une galette. Apporte-les lui, elle en sera enchantée. Pendant ce temps, je ferai ce qu’il faut pour t’aider.

— Que dis-tu ? s’exclame Lou. Je ne comprends pas. Tu veux que nous échangions nos places, mais…

— Tututu, petit oiseau. Ne t’ai-je point promis de t’aider et ne désires-tu pas revoir ta grand-mère ?

— Grand-mère, souffle Lou. Si…

— Personne ne remarquera quoi que ce soit. Quand j’aurai accompli ma tâche, je reviendrai te chercher et nous échangerons à nouveau nos places. À bientôt Lou !

La jeune fille a disparu et Lou est toute seule, sans personne pour lui indiquer le chemin. Elle est partie sans même lui dire dans quelle direction se trouvait la maison. C’est alors que le murmure de la forêt fut troublé par le bruit des branches qui craquent dans le sous-bois. Elle se retourne et découvre l’homme qu’elle avait déjà aperçu auparavant. Il est élégant, ses yeux sont dissimulés par des verres fumés et sa tête est coiffée d’un haut-de-forme.

— Bonjour Lou ! Tu sembles perdue, toute seule dans ce bois touffu.

Au creux de son ventre naissent des sensations qui sont tout sauf innocentes.

— Je… je… cherche la route qui va jusqu’à la maison de ma grand-mère. Elle est souffrante et je lui apporte une galette et un petit pot de beurre.

— Ah ! Ma foi, je connais plusieurs maisons dans les bois, elles se trouvent toutes de l’autre côté de la rivière. Désires-tu que je t’accompagne jusqu’au point ? Ensuite, nous nous séparerons, ronronne l’homme, affable.

Lou n’a pas peur. Il n’a pas l’odeur du monstre. Alors Lou accepte sa proposition. Sur le chemin, il se contente de lui poser d’innocentes questions, auxquelles elle répond avec une certaine méfiance. Mais il n’en paraît pas offusqué et cesse bientôt de l’interroger.

— Je t’ai mis mal à l’aise, s’excuse-t-il.

Rouge, Lou acquiesce.

— Pardonne-moi ! Moi aussi je te vois de l’autre côté du miroir. Tu as l’air si triste, si perdue.

— S’il vous plaît, n’insistez pas, marmonne Lou.

L’homme se tait et esquisse un sourire, alors qu’il arrive en vue d’un petit pont de pierre. Assise sur le rebord, une jeune fille attend.

— Ah. Elle est revenue pour toi, Lou. Va-t’en la voir, je ne bougerai pas.

Surprise, Lou court dans sa direction.

— Te voici petit chaperon. Tu peux rentrer à la maison et me rendre mes affaires. Encore une fois, n’oublie pas si tu as besoin d’aide…

— Je craquerai l’allumette.

La jeune femme lui sourit et l’embrasse sur la joue. De nouveau, le froid la saisit et lorsqu’elle ouvre les yeux elle est dans sa chambre, couchée sur son lit. Sur sa table de chevet, le réveil indique 22h30 et son téléphone croule sous les messages. Hagarde, Lou en ouvre un au hasard et ce qu’elle y lit la glace d’épouvante. De dégoût, elle le balance au travers de sa chambre, puis se rue sur sa coiffeuse. Les allumettes sont là. Elles brillent dans l’obscurité. Elle tend la main vers elles, quand une voix l’interpelle.

— Pourquoi ?

Lou se tourne vers le miroir.

— Tu me demandes pourquoi, grimace-t-elle.

— Oui, répond d’aplomb l’autre.

Lou jette un œil vers son téléphone, dont l’écran éclaire le sol d’une lumière crue.

— Pas comme çà, glapit Lou.

— Ah non ! Rappelle-toi mes paroles. Je t’ai promis que je t’apporterai mon aide, je n’ai fait que répondre aux élans inconscients de ton cœur. Maintenant, dors. Personne ne te soupçonne. La nuit porte conseil.

À regret, Lou lâche les allumettes. Peut-être a-t-elle raison, peut-être a-t-elle tort. Lou ne connaît pas la réponse. Avant de se coucher, Lou tend l’oreille. Seul le silence lui répond. Soulagée, elle ramasse son téléphone et le fourre dans son sac, avant de regagner son lit.

— Qu’est-ce tu fous à cette heure, maugréé le monstre comme elle tourne le robinet dans la cuisine.

Les yeux bouffis, vêtu d’un marcel taché et d’un caleçon qui a vu de meilleurs jours, le monstre se tient debout contre le chambranle de la porte.

— Je me prépare du thé avant de partir au lycée, murmure Lou, gênée.

— Ah ouais ! Et depuis quand tu as cours le dimanche ? File donc dans ta chambre, avant que je ne me fâche.

Lou lâche aussitôt la casserole et se réfugie dans sa chambre.

Pourquoi le monstre a-t-il parlé de dimanche ?

Elle était rentrée le dimanche, mais dans l’après-midi. Inquiète, elle consulte avec frénésie son téléphone. L’effroi la saisit, car une semaine s’est écoulée pendant qu’elle cheminait de l’autre côté. Cependant, elle se sent soulagée. Ainsi dépourvu Vincent aura perdu de sa superbe et n’exercera plus jamais son pouvoir de prédation sur quiconque. Au fond, ce n’est qu’un juste châtiment à la hauteur de ses crimes ; émasculé pendant une étreinte, sûrement dépourvue de passion, par une fille dont personne n’avait retrouvé la trace, tout comme son sexe. De plus, il avait soutenu, alors que l’ambulance le transportait, qu’il ne l’avait pas mis dans sa bouche et l’expression vagina denta tournait depuis en boucle sur le réseau.

Plusieurs jours passèrent ainsi et Lou, prétextant une violente fièvre, demeure chez elle. Le monstre n’a rien dit, car le monstre a peur, il a peur d’elle et de ce qu’elle pourrait lui faire. Alors le monstre la laisse faire. Lou profite de cette liberté retrouvée. Bien qu’elle soit retenue entre ces quatre murs, elle prend plaisir à contempler la ville depuis sa fenêtre. Les jours passent. Quand elle n’est pas le nez dehors, elle pense à sa grand-mère et à cette forêt qui n’a rien d’imaginaire. De temps à autre, elle l’aperçoit dans le reflet du miroir. Hélas, elle sait qu’elle ne peut aller la voir, pas sans craquer l’une des allumettes. Mais elle sait aussi qu’elles sont un talisman contre les périls qui ne manqueront pas de surgir. Enfermée entre quatre murs, Lou ne respire plus. Lou dépérit, sa peau se flétrit et son teint devient gris. Elle veut sortir. Mais le monstre le lui a interdit, tel était la contrepartie. Elle sait ce qui lui arrivera si elle désobéit, car le monstre malgré sa peur a guéri et retrouvé de la vigueur.

Mais Lou a une idée. Lou va le rendre malade, trop malade pour sortir ; trop malade pour venir et il la suppliera de l’aider. Elle ne désire pas le voir ramper, elle veut juste s’échapper. Affable, aimable, elle lui prépare tous ses dîners. Au bout de plusieurs jours, à coups de pommes mal assaisonnées, il devient pâle et a de plus en plus de mal à se lever. Un matin, il est si malade et tousse tant, qu’il ne peut même pas sortir de sa chambre. Alors du fond de son lit, il ordonne à Lou de courir à la pharmacie. C’est plus qu’il ne lui en faut. Habillée, maquillée, Lou va enfin goûter au parfum de la liberté.

— Vole, vole, petit oiseau. Cours, cours ma petite Lou. Gare au grand méchant Loup, ronronne une voix dans la chambre.

Dans la rue, Lou savoure l’air poisseux et poussiéreux. Dans le ciel, de lourds nuages s’amoncellent. Lou s’en fiche, il y a trop longtemps qu’elle n’a pas senti la fraîcheur de la pluie sur sa peau meurtrie. Bientôt, de grosses gouttes s’abattent sur le macadam et mettent en fuite les rares passants, qui fuient s’abriter sous les porches. Elle ne remarque pas cet homme aux yeux brillants qui disparaît derrière la porte.

— Danse, danse petit Lou ! Prends garde au grand méchant loup ! glousse-t-il en disparaissant.

Elle n’aperçoit pas non plus la meute qui l’entoure petit à petit. Silencieux, seul ou en groupe, ils sont une petite troupe qui la repousse. Personne ne les remarque. Il fait trop sale, il y a trop de brouillard. Ils sont bientôt une dizaine qui fondent sur leur proie et l’engagent dans une ruelle étroite, à l’abri des regards.

— Alors Lou, tu te souviens de nous, ricanent les garçons.

— Bien sûr que non ! crache-t-elle. De vous ! Je n’ai eu dans la bouche que vos queues et rien d’autre.

— Ça tombe bien, parce que tu ne verras bientôt plus que çà !

Entraînée derrière un tas d’ordures, Lou a tout juste eu le temps d’attraper l’une des allumettes d’argent et de la craquer.

— Venez, mademoiselle, souffle un homme dont les yeux brillent comme des diamants. Il n’est que temps de partir.

La main tendue, elle s’en saisit et il l’attire vers cette forêt où demeure sa grand-mère. Lorsque Lou rouvre les yeux, elle est à quelque pas du pont. L’homme se tient en retrait et la jeune à la capeline est prête à faire l’échange.

— Pas un mot, Lou, lui chuchote-t-elle alors qu’elle accole ses lèvres aux siennes.

Les yeux plantés dans les siens, elle ajoute :

— Ton cœur n’a aucun doute. Et toi ?

Lou la fixa un long moment et secoua la tête ; elle n’en avait aucun. La jeune fille lui a alors remis sa capeline écarlate ainsi que le panier d’osier contentant la galette et le petit pot de beurre.

— A bientôt, Lou, murmure-t-elle alors que sa silhouette s’efface, puis disparaît.

Encore une fois, elle ne lui a pas dit où se trouvait la maison de sa grand-mère. Mais sans doute a-t-elle ses raisons. Derrière, son chevalier servant attend. Il n’a pas perdu une miette de la sienne et à aucun moment ne s’est départi de son sourire.

— Puis-je ? demande-t-il dans une profonde révérence.

— Je vous demande pardon, s’effarouche-t-elle, comme il attrape sa main et y donne un baiser gracieux.

Un instant, elle aperçoit l’éclat de ses yeux au-dessus des verres de ses lunettes ; ils sont brillants comme de l’argent.

— Est-ce que… commence Lou.

Mais l’homme élude la question d’un doigt sur ses lèvres.

— Ne vous a-t-on point appris, jeune fille, qu’il était malpoli d’interrompre un gentleman qui entreprend sa cour ?

À ces mots, Lou rougit violemment et cache son visage entre ses mains.

— Profitons de cet instant, car bientôt nos chemins se sépareront. Vous irez dans une direction et moi dans l’autre. C’est ainsi que nous en avons convenu.

— Oui, oui, balbutie la jeune fille éperdue.

L’étranger a baissé ses lunettes et laisse entrevoir les yeux qui se dissimulentzwq

— Marche dans mes pas, petite Lou. Marche dans les pas du grand méchant Lou, ronronne-t-il.

Mais Lou n’entend pas. Lou ne voit pas. Lou n’est plus là. Elle tournoie dans les bras de cet homme étrange aux yeux d’argent. Devenue jouet entre ses mains, elle s’abandonne, elle abandonne son corps à cet être qui a fait d’elle sa marionnette.

— Ah, soupire son cavalier. Il se fait tard, je m’en voudrais que vous arriviez la nuit tombée, ou pire que vous vous perdiez dans la forêt ; les lieux sont assez mal famés.

Confuse, Lou passe une main sur son front.

— Après le pont, vous prendrez la direction de l’est. C’est par là, ai-je ouï-dire, que se trouve la maison de votre grand-mère, lui glisse comme il se retire.

— Merci, marmonne-t-elle.

Galant, l’homme lui tend son bras auquel elle s’accroche, car la tête lui tourne encore. Ainsi, en compagnie de son chevalier déférent, Lou traverse le pont de pierre. Comme elle pose le pied sur la dernière, Lou marque une hésitation, puis se détache du corps de son cavalier.

— L’Est est en cette direction, mademoiselle Lou, lui indique-t-il le bras tendu vers un chemin sinueux.

— Où allez-vous ?

— A l’ouest, toujours à l’ouest ! s’exclame-t-il joyeux. Qui sait, peut-être nos chemins se recroiseront-ils un jour ?

Lou le remercie encore une fois, puis le regarde s’éloigner, un pincement dans le cœur.

— Marche, marche dans mes pas, petite Lou. Marche, marche dans les pas du grand méchant Loup, chantonne-t-il tout bas.

Alors qu’il disparaît à l’horizon, Lou n’oublie pas son avertissement et se met en route. Il ne lui reste plus que quelques heures avant que le soleil ne se couche et que la nuit tombe. Lou avance aussi vite qu’elle peut, hélas le chemin est traître avec ses racines qui terrent sous les feuilles et les branches qui poussent à hauteur du visage. Cependant, Lou met du cœur à l’ouvrage, car elle sait que bientôt elle reverra sa grand-mère ; elle seule capable de lui mettre du baume sur le cœur. Cependant qu’un vent frais se lève, elle referme un peu plus sur elle sa capeline en laine rouge. Je serai bientôt là, grand-mère, se promet-elle, lorsqu’elle aperçoit au loin une minuscule lueur perdue dans la pénombre du sous-bois. Au-dessus, un peu de fumée s’échappe. Ce ne peut-être que la maison de sa grand-mère, ainsi que lui avait affirmé son galant. Lou en conçoit un immense soulagement, car entre les arbres elle devine les premiers rayons du couchant. Resserrant encore un peu plus sa cape, elle court au travers de la forêt en direction de la lumière et découvre à quelques mètres de là son amie défigurée.

— Que fais-tu là ? s’exclame Lou.

— Je t’attendais. Ce ne fut pas sans peine. Ne fais pas attention à moi, je guérirai bien ma foi.

— Mais, mais il faut…

— Me soigner, la coupe-t-elle.

Elle hoche la tête.

— Je te rends à ta vie Lou, tu as encore bien des choses à accomplir et moi aussi, chuchote-t-elle tandis qu’elle l’aide à ôter sa pelisse et récupère le panier et ses gourmandises.

Lou voudrait la serrer dans ses bras, la réconforter, mais l’autre la repousse avec douceur.

— Pas encore Lou, le temps viendra, où tu pourras me serrer dans tes bras.

— Mais…

— Chut ! Petite Lou, la coupe la jeune fille. Il est temps pour toi de reprendre ta place et n’oublie pas, il te reste encore une allumette, ensuite il sera trop tard.

Qu’entend-elle par là ? « Ensuite, il sera trop tard. »

Lou ne comprend pas, mais elle n’a pas le temps d’approfondir que déjà elle s’efface. Elle sent le froid qui la glace, puis plus rien, seulement la douleur.

Lou a mal. Lou se sent mal. Lou étouffe. Elle veut respirer, mais un tuyau est enfoncé dans sa gorge. Alors Lou tousse, tousse sans relâche et dans un geste de désespoir l’arrache, avant de retomber la tête sur un immense oreiller. Dans ses narines pénètre alors une odeur de désinfectants et de médicaments, celle d’un air aseptisé. Sous ses paupières, elle devine l’obscurité, troublée par une petite veilleuse. Lou n’a pas envie d’ouvrir les yeux, elle veut se souvenir de la forêt, de ce panier qu’elle portait, avec sa galette et son petit pot de beurre, de l’homme aux yeux d’argent et de la jeune fille à la capeline. Lou s’endort sur cette note.

— Dors innocente petite Lou. Tu dormiras entre les bras du grand méchant Loup, murmure une voix dans le noir.

Assise dans un fauteuil, une silhouette la veille. C’est un homme à l’allure élégante. Dans l’obscurité brûlent ses yeux, deux billes d’argent qui luisent dans la nuit. À côté de lui, une femme se glisse et l’embrasse. Sur ses épaules, elle a jeté une cape écarlate. Dans sa main brille un objet fin et allongé. Elle s’éloigne de la présence dans le fauteuil, puis s’approche de la table de chevet dans le tiroir de laquelle elle glisse la dernière allumette. Elle se penche alors sur la jeune fille endormie et l’embrasse sur une joue. Sous ses lèvres, la peau de Lou est tiède.

— N’oublie pas Lou, c’est la dernière.

Elle s’écarte en silence, puis s’en va rejoindre l’homme aux yeux d’argent.

— A bientôt, Lou, murmurent-ils tandis qu’ils disparaissent dans la nuit.

Dans son lit, Lou dort et sourit

— Bonjour Lou.

Lou ne reconnaît pas la voix. Ce n’est pas celle de son père ni celle que crache son réveil à son éveil. Mais Lou n’est pas surprise, car elle se doute que bien des jours ont dû s’écouler alors qu’elle se trouvait de l’autre côté.

— Est-ce que tu m’entends, Lou ? insiste la voix.

Mais Lou ne peut pas parler, sa gorge lui brûle et elle a encore des difficultés à respirer, alors Lou hoche la tête pour rassurer la présence qui se trouve à ses côtés.

— Laissez-la se reposer. Après un si long sommeil, c’est tout à fait normal. Et puis, il nous faut la préserver. Elle ignore que plus de dix ans se sont écoulés depuis.

Des murmures étouffés lui parviennent. Elle ne saisit pas tout, mais elle sait qu’elle doit demeurer les yeux clos. Très vite, Lou se rendort et s’enfonce dans un sommeil troublé par des rêves éphémères dans lesquelles évoluent des figures inconnues. Jamais, il ne lui semble qu’elle se réveille. Tout est si irréel.

— Bonjour Lou ! Je m’appelle Marielle.

— Bonjour Lou ! Je m’appelle Mathias.

— Bonjour Lou ! Je m’appelle Francis.

— Bonjour Lou ! Je m’appelle Adeline.

Autant de variations sur un même thème. Lou répond toujours de la même façon.

— Bonjour ! Est-ce toi le grand méchant loup ?

Les jours passent, puis deviennent des semaines qui se métamorphosent en mois et personne ne prononce d’autres mots. Pourtant Lou devine autre chose. Les gens ont peur de Lou, comme le monstre lorsqu’il la regardait de ses yeux fauves. Un jour Lou demande :

— Est-ce que papa est là ?

En guise de réponse, elle reçoit des regards gênés. Sur les visages, les lèvres se pincent et les traits se figent. Personne n’ose rien dire. Mais Lou connaît déjà la réponse. Elle la lit dans le fond de leurs yeux, là où nul ne peut se cacher, là où nul ne peut se terrer. Alors Lou sourit, un sourire figé qui fait grimacer même les plus endurcis. Le monstre est mort.

Bien sûr, comment en serait-il autrement ?

Un jour, Lou pose les mains sur son ventre et demande :

— Pourrais-je voir sa tombe ?

La dame qui la reçoit la regarde, longuement. Lou n’ajoute rien. Ces seuls mots suffisent. Pèse-t-elle le pour et le contre ? Lou s’en amuse, car elle entend battre l’épouvante dans le cœur de cette femme qui est là pour l’aider à aller mieux.

— Je vais voir, finit-elle par murmurer.

Lou sourit et la remercie. Une autre fois, elle avait posé des questions sur son coma et on lui avait répondu qu’elle avait été retrouvée agonisante et presque défigurée au fond d’une rue. À cet instant, Lou avait revu la jeune fille à la capeline. Elle se tenait là, debout, toujours vêtue de son éternel châle rouge. Comme elle lui avait promis, elle avait guéri, alors Lou avait souri, soulagée de la voir ainsi joyeuse et heureuse. Derrière elle avait cru entrapercevoir une silhouette noire, dont les yeux étaient remplacés par deux billes d’argent et elle avait cru défaillir tant étaient forts ses sentiments.

— Bientôt, nous nous reverrons petite Lou. Bientôt, tu retrouveras ton grand méchant Loup, avait-il ronronné dans l’ombre.

Alors qu’ils avaient disparu, elle avait soufflé d’une voix d’outre-tombe :

— A-t-on retrouvé mes agresseurs ?

— Ils sont en prison…

La phrase était demeurée en suspension, comme frappée d’interdiction.

— Mais ils sont morts, avait complété Lou.

— Non ! lui avait-on rétorqué alors.

Lou n’avait pas insisté, mais elle devinait à l’embarras qui les saisissait chaque fois qu’elle leur posait ses questions, qu’elle touchait du doigt le puits de ténèbres qu’était devenue son âme. Lou n’avait pas renoncé, Lou attendait seulement le moment pour faire éclater la vérité. Mais avant, elle désirait se rendre sur sa tombe et voir de ses yeux le monstre mort, le monstre qui avait tué sa maman, c’était le jour de ses cinq ans. Il n’y avait pas eu d’anniversaire ce jour-là, à la place on avait mis en bière le corps de sa mère. Autour d’elle, tous se taisaient. Personne ne comprenait, ou tous feignaient l’ignorance, plutôt que de regarder en face l’épouvante. Seule sa grand-mère avait su, seule sa grand-mère avait eu les mots assez durs. Ce jour-là, elle les avait foudroyés du regard quand, dans la terre, fut enfouie la boîte à secret. Lou n’avait pas compris et sa grand-mère ne voulait rien lui dire. « Quand tu seras en âge de comprendre », lui avait-elle répété sans cesse. Mais ce jour n’arriva pas, car un jour sa grand-mère s’en était allée de l’autre côté et le monstre était sorti de son sommeil noir.

La dame revient, le visage pincé. Cela ne lui plaît pas. Lou est un monstre et on ne laisse pas les monstres en liberté, Lou ne le sait que trop.

— Le directeur accepte. Vous irez demain au cimetière. Il dit qu’une promenade, même dans un lieu aussi sinistre, vous fera le plus grand bien. Pardon, d’être sceptique, lui crache-t-elle presque à la figure.

Mais Lou lui sourit et son sourire la fait fuir. Lou est ravie. Au même instant quelqu’un entre dans sa chambre. C’est une infirmière, elle la reconnaît, la seule, peut-être, qui est sincère. Elle s’approche d’elle et lui glisse entre les mains une enveloppe marron.

— Cachez-la, lui souffle-t-elle. Ce soir, après l’extinction des feux, lisez-la. Je cacherai une veilleuse dans vos draps. Vous ne pouvez demeurer ignorante.

Lou feint un regard absent et la laisse cacher l’enveloppe dans la couverture qui recouvre ses jambes. Mais elle n’est pas dupe, car leurs yeux se sont croisés.

— Pourquoi faites-vous cela ? lui murmure-t-elle.

— Pour vous aider, mademoiselle, lui glisse-t-elle.

Mais ce n’est plus sa voix. Dans sa poitrine, le cœur de Lou fait un bond.

— Vous !

Cependant, elle n’est déjà plus là. À sa place, le vide et une porte entrouverte par laquelle filtre un peu de lumière. Lou serre l’enveloppe contre sa poitrine. Le soir viendra vite. La nuit venue. Les yeux grands ouverts, Lou savoure les ténèbres, comme elles lui sont désormais familières. L’infirmière ne lui avait pas menti et elle avait enfoui au milieu de ses coussins une petite lanterne magique qui s’éteignait dès que s’approchait l’une des gardiennes. À la lueur de la veilleuse, elle découvre à l’intérieur de l’enveloppe, non des coupures de journaux comme elle le pensait, mais des dossiers médicaux, ceux de ses agresseurs. Tous étaient barrés du sigle fatal ; la maladie dont personne ne parle, mais dont tous craignent de n’être un jour atteint. Une pandémie honteuse et silencieuse qui se propage et ravage le cœur de l’humain. Lou se lève. C’est à peine si ses jambes maigres la portent. Avec difficulté, elle se rend à la salle de bain et brandit sa lanterne face au miroir. Ce dernier reflète son visage blafard et son sourire de dame édentée.

Marionnette de chair, des gens tirent des fils invisibles et la guident. Ainsi feint de vivre Lou prisonnière d’un corps qui a oublié de mourir. Mais si Lou semble immobile. Lou n’en a pour autant jamais perdu le fil et elle se rit de ces personnes qui l’entourent et qui la couvrent. Mais tout cela n’a qu’un temps et un jour Lou tranchera d’un coup sec les fils qui la retiennent. Demain sera ce jour.

Lou étouffe alors la flamme de la lanterne d’un jour. Dans le noir, elle sent la présence de cet homme aux yeux brillants. Elle sent ses bras autour de sa taille. Elle le sent qui la porte dans ses bras et la glisse entre ses draps.

— Bonne nuit petite Lou. Ton grand méchant Loup.

Lou ne l’entend pas. Lou dort déjà et le lendemain matin, c’est une tout autre voix qui la réveille, une voix sèche de vieille crécelle qu’elle n’aime pas. Mais aujourd’hui, elle feindra et elle obéira, car elle veut le voir, elle veut le contempler au fond de son trou ; lui, le monstre. Elle ne rechigne pas quand on la lave et quand on l’habille, pas plus qu’elle ne dessine ce sourire qui fait fuir même les cœurs les plus endurcis. Non, non ! Rien de tout ça ! Aujourd’hui, Lou est une jeune fille sage, qui fera ce qu’on lui dira. Dans la voiture qui la conduit au cimetière de Réaumur, elle fixe la route qui défile avec des yeux de poissons morts, elle ne fera, dans ce lieu clos aux allures de prison, aucun effort. À côté d’elle, l’infirmière qui lui a remis l’enveloppe ne se vexe pas et ne lui fait aucune remarque. Enfin, le véhicule se déporte et s’engage sur un chemin gravillonné. Quelques minutes plus tard, ils se garent le long d’un muret, d’où dépassent des rangées de croix de pierre.

— Voulez-vous un peu d’aide, mademoiselle Lou ? l’interroge l’infirmière.

Lou aimerait dire non, mais elle n’en a pas le droit, pas à elle. Alors, elle accepte et se saisit de la main tendue vers elle.

— Attendez-nous ! lance la femme au chauffeur.

— Très bien, je pourrais lire le journal comme çà, rétorque-t-il d’un ton plein de morgue.

Mais ni Lou ni sa compagne ne le relève et elles s’enfoncent dans le cimetière pour se rendre au carré des indigents.

— Hélas, au vu de la fortune de votre père, nous n’avons plus lui offrir une sépulture plus digne.

Mais Lou s’en fiche. Lou n’est pas venue pour se recueillir. Lou est venue pour lui dire.

— C’est la dernière tombe de la troisième rangée sur votre gauche, mademoiselle, murmure l’infirmière.

— Merci, souffle Lou tandis qu’elle se défait de son bras.

Ses jambes défaillantes la portent avec peine et elle doit souvent s’arrêter pour reprendre son souffle. Enfin, elle y arrive ; simple dalle de grès gris et brut, sur laquelle est gravé son nom, le nom du Monstre.

— Maman est morte le jour de mes cinq ans et mamie est morte le jour de mes dix ans. Toi, tu m’as tué le jour de mes sept ans, chuchote Lou, une allumette d’argent entre les doigts.

— Joyeux anniversaire, papa, rigole-t-elle en craquant l’allumette.

Le miroir n’est pas là, mais ce n’est pas grave, car elle n’en a plus besoin ; il lui montrait seulement la voie.

— Bonjour Lou !

C’est la jeune fille à la capeline qui l’attend devant la maison de sa grand-mère.

— Enfin, tu es prête à rencontrer mère-grand.

Lou acquiesce et se saisit de l’étole écarlate qu’elle lui tend. Elle s’en habille et s’empare ensuite du panier en osier, avec sa galette et son petit pot de beurre.

— Que dois-je faire ? l’interroge Lou.

— Frappe à la porte et mère-grand te répondra.

Lou serre la jeune fille entre ses bras puis s’écarte.

— Que vas-tu faire ? demande-t-elle.

— Rien que ce je ne saurai faire, petite Lou. Allez ! Va ! Le grand méchant Loup t’attend.

Lou hoche la tête et la jeune fille disparaît. Derrière elle se dresse une humble chaumière au mur de laquelle pend une chevillette. Lou s’approche de la porte et frappe trois coups.

— Qui est-là ? déclame une voix à l’intérieur.

Lou sent bondir son petit cœur froid.

— C’est moi, mère-grand ! Ta petite Lou ! Je t’ai apporté une galette et un petit pot de beurre.

— Entre mon enfant ! Tire la chevillette et la bobinette cherrera.

— Entre donc petite Lou. Entre donc dans la maison du grand méchant Loup, ronronne une voix.

Lou pousse la porte et pénètre dans un intérieur chaud et presque dépourvu de lumière. Dans l’âtre se consument les restes d’un feu ardent et sur la table restent les reliefs d’un repas de la veille.

— Où es-tu mère-grand ? s’exclame Lou.

— Je suis dans ma chambre. Je me suis mise au lit, car je suis souffrante. Pose donc ton panier, je ne puis me lever.

Dans sa poitrine, son cœur bat la chamade.

Qui veut-elle découvrir lorsqu’elle entrera dans sa pièce ? Mère-grand, ou bien cet homme aux yeux d’argent pour qui elle éprouve d’ardents sentiments ?

Elle pose alors sur la table son panier d’osier ainsi que sa capeline, puis se rend à la porte de la chambre de sa mère-grand. La main sur la poignée, elle tremble de tout son être, déchirée par sa lutte intérieure.

— Que te dit ton cœur, Lou ? murmure une voix venue du néant. Mère-grand ou le loup aux yeux d’argent ?

Dans son dos, une silhouette massive apparaît. Son regard est celui d’un homme mort depuis longtemps.

— C’est à c’te heure-ci que tu rentres, petite traînée, grogne-t-il.

Le monstre est là, dans son dos. Malgré la puanteur qui se dégage de son corps pourrissant, elle devine l’odeur si caractéristique, mélange de la peur et de la terreur qu’elle lui inspire. Avec lenteur, Lou se retourne et pose son regard sur le fantôme de l’homme malade. Celui-ci tente de faire un pas en sa direction.

— Tu ne… dois pas… Tu… m’appar… tiens, Lou ! éructe-t-il.

Lou ne répond pas, son regard ne cille pas. Sous ses yeux, le monstre redevient chose, le monstre s’effondre.

— Non… souffle Lou en se retournant vers la porte.

La main sur la poignée, elle la tourne. Derrière, le monstre jette un ultime cri, puis disparaît sans un bruit. La porte se referme sur elle. Dans la pénombre, elle aperçoit deux points qui brillent d’un éclat dément.

— Viens donc te coucher auprès de moi, ma petite Lou. Viens donc te coucher auprès du grand méchant Loup.

Lou marque une hésitation. Et si dans le lit c’était bel et bien mère-grand.

— De quoi doutes-tu ? souffle une voix au creux de son oreille.

Lou sourit et ôte sa pelisse, puis l’ensemble de ses habits. Elle n’a plus besoin de masque, elle n’a plus besoin de se dissimuler derrière des voiles. Dans un miroir, elle aperçoit son corps amaigri, sa poitrine flétrie et son visage meurtri, ravagé par la maladie, puis elle se glisse dans le lit.

— Comme vous avez de grandes mains, s’étonne Lou, comme elle contemple l’étranger.

— C’est pour mieux te caresser mon enfant, chuchote mère-grand.

— Comme vous avez de grands bras, murmure Lou, impressionnée.

— C’est pour mieux te serrer mon enfant, susurre l’ombre de mère-grand

— Comme vous avez de grands yeux, souffle Lou, énamourée.

— C’est pour mieux te contempler mon enfant, bruisse la silhouette de mère-grand.

— Comme vous avez de grandes dents, expire Lou terrassée par ses sentiments.

— C’est pour mieux t’aimer mon enfant, ronronne le loup aux yeux d’argent.

Lou le contemple et se perd dans son regard. Au fond, elle y découvre sa grand-mère souriante et avenante.

— Rejoins-moi, ma petite Lou. Rejoins le grand méchant Lou.

Lou ne sent pas les mâchoires du grand méchant Loup se refermer sur son cou.

— C’est fini Lou, murmure une jeune femme tandis qu’elle ramasse ses frusques et sa capeline écarlate.

Dans le lit gît une jeune fille au corps sans vie. Sur son visage est dessiné un sourire.

— Nous pouvons la ramener à présent.

Dans le lit, l’homme se relève et se rhabille. Comme il est élégant avec son costume, son haut-de-forme et ses lunettes qui dissimulent ses yeux d’argent. Il s’empare alors de Lou tandis que la jeune fille à la cape rouge se saisit de son bras. Face au miroir, ils l’enjambent. De l’autre côté, ils aperçoivent une pierre tombale sur laquelle achèvent de se consumer quelques papiers épars. Sur les en-têtes, on peut encore y lire quelques noms familiers.

— Te voici revenue petite Lou. Te voici revenue entre les bras du grand méchant Loup, murmure l’homme en la déposant sur la sépulture.

Le couple demeure quelques instants immobile puis s’en va comme si de rien n’était. En chemin, il croise une infirmière, qui leur demande s’ils n’ont pas vu une jeune fille. Mais ces derniers feignent l’innocence et s’éclipsent rapidement. C’est ainsi qu’elle a retrouvé son corps roidi et le visage souriant, sur la tombe de celui qui fut baptisé, le jour de ses sept ans, « Le Monstre ».


Texte publié par Diogene, 13 avril 2021 à 12h12
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