Pourquoi vous inscrire ?
«
»
volume 1, Chapitre 22 « Le Cabinet des Souvenirs » volume 1, Chapitre 22

Au loin il y avait le noir.

Au près, il y avait le soir.

Entre les deux, il y avait le rêve.

Avant, il y avait l’avenir

Après, il y avait l’oublie

Au-delà, c’était le vide

Posé sur un chevalet, plongé dans le silence, le livre gardait son secret. Ouvert sur une page vierge, elle était semblable à l’œil du lecteur qui découvrirait le vide qui l’entourerait. Posée sur un guéridon, une plume couchée dans son étui attendait qu’une main, humaine ou non, s’en emparât et la trempât dans l’encrier. Encore fermé, de l’encre avait depuis longtemps séché et marqué de sa noirceur le bois fatigué.

Depuis combien de temps en était-il ainsi ? Depuis combien de temps les ténèbres enlaidissaient-elles cet écrin de nuit ? Depuis combien de temps n’avait-on entendu le grattement de plume qui griffe le papier, le chuchotement de la plume qui aspire le noir dans l’encrier ?

Qui aurait pu le dire ? Qui saurait le dire ?

Dans un recoin assombri, un vieux fauteuil tapissé de velours semblait attendre le lecteur. Une épaisse couche de poussière recouvrait ses boiseries et ses tapisseries avaient viré au gris. Son dossier conservait encore l’empreinte de son propriétaire, tandis que l’assise, par endroit éventrée, donnait à voir ses entrailles de métal, ressorts fatigués et tiges d’acier rouillées. Parfois, il semblait que quelques grattements troublent le silence, mais ce n’était rien d’autre que les chuintements du vent dans la cheminée, cependant que choyaient dans l’âtre des fragments de bistre et de suie.

En fait, rien ne pouvait trouver l’absence et le silence, pas même le soleil, dont les rayons de lumière ne transperçaient que rarement les ténèbres épaisses, réveillant spectres et autres cauchemars qui hantaient désormais ces lieux abandonnés.

Longtemps auparavant, quand le crissement de la pointe en écaille se faisait encore entendre, quand les soupirs existaient encore, tous auraient attendu avec impatience sa venue.

D’abord, c’eut été un soupir, pareil à l’un de ces souffles légers que l’on perçoit quand les exhalaisons humides des marais s’en viennent gonfler le bois sec. Ce serait la porte qui s’entrouvrirait. Ses gonds gauchis gémiraient sous le poids de l’huis et résonnerait alors le pas feutré de la présence. Quelque chose serait entre ses mains.

Une lanterne ? Une chandelle ? Une bougie ?

Peut-être, car de la lumière pénétrerait et illuminerait la pièce. Dans les hauteurs, le lustre muet ‘en réfléchirait alors toutes les couleurs. D’ocre et de feu, la salle se parerait et dans l’âtre les flammes surgiraient. Soudain, une main se poserait alors sur le chambranle, creusé des innombrables doigts qui s’en seront saisis auparavant. Parfois des échardes s’enfonçaient et il fallait les retirer ; la chose était parfois douloureuse, d’autres fois non.

Timide, la silhouette ne se dévoilait jamais. Presque peureuse, elle demeurait souvent ainsi, immobile sur le seuil, prête à se retirer, comme si elle redoutait quelque présence maligne ou maléfique. Alors, quand il en était ainsi, les livres dans la bibliothèque soupiraient et les pages du livre, se refermaient, pleines de regrets et de tristesse, comme si la peur de ne jamais revoir le rêveur les inspirait. Saturniennes, elles fixeraient l’ombre qui se retirerait et pleureraient tous ses rêves qui s’effaceraient à jamais.

Pourtant, jamais la présence ne se détournait, elle demeurait simplement là, dans l’entrebâillement de la porte, écoutant ces bruits étranges et vivants qui s’échappaient de la pièce. Silencieuse, elle pénétrait alors ce lieu si semblable à un sanctuaire et prenait place dans le fauteuil majestueux, face au chevalet. Du plat de la main, elle effleurait alors les feuillets vierges, puis ses doigts s’emparaient de la plume taillée en biseau, qu’elle trempait ensuite dans l’encrier. Ainsi parée, elle couchait sur le papier des pleins et des déliés. Quand elle avait fini, elle s’emparait d’un lourd tampon avec lequel elle épongeait le surplus, avant de le suspendre à son crochet. Enfin, elle relisait d’une voix, douce et basse, ces quelques mots gravés dans le silence.

Hélas, ce soir, comme de nombreux soirs auparavant, plus personne ne s’en viendrait. Dans la pièce inquiète, l’encrier était renversé et son contenu s’était répandu en de larges flaques d’obscurité.

L’œuf avait enfin éclos et l’équinoxe qui précédait l’éclipse s’approchait. Bientôt, ce serait la fin des souvenirs, un dernier soupir, le crépuscule de la vie.


Texte publié par Diogene, 1er février 2022 à 21h23
© tous droits réservés.
«
»
volume 1, Chapitre 22 « Le Cabinet des Souvenirs » volume 1, Chapitre 22
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1172 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Yedelvorah
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés