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saison 5, Chapitre 22 « Sjukhus - Infirmerie » saison 5, Chapitre 22

Les roues du coche s’étaient immobilisées.

À cette heure-ci, l’on pouvait entendre dans l’air chaud l’office de none, la prière de la quinzième heure, que les religieuses récitaient pieusement.

Derrière la grille du porche, Mère Agnès de Lathium l’attendait dans l’ombre.

Alors qu’elles traversaient à pas feutrés le cloître, inchangé depuis ses jeunes années passées là, Fleur de Pivoine se remémorait quelques souvenirs, toujours les mêmes, revisités d’une autre façon pour le relever au rang d’inédit.

Rien n’avait changé.

Les lourdes glycines qui tombaient en grappes depuis le toit bas embaumaient toujours, quoiqu’un peu plus timidement en cette fin d’été durant lequel elles avaient été dans leur plus suprême gloire.

Les petites élèves, surveillées par quelques sœurs institutrices, étaient toujours aussi sages. Presque tristes.

— Elles ont eu énormément peur, précisait toujours Agnès ; et Fleur de Pivoine s’en excusait à chaque fois.

Enfin, elles avaient atteint l’infirmerie, retirée tout près d’un petit carré d’aromates flétris par le soleil. Les vitraux aux teintes tendres, aux tableaux agréables –point de Cène, ni de calvaire, ni de visage à l’agonie ; seulement des madones miséricordieuses, des anges consolateurs, des paysages divins qui seyaient davantage au réconfort des malades- , laissaient entrer le soleil qui faisait alors glisser ses doigts doucement sur les draps ; l’air était saturé d’odeurs de plantes médicinales, de bouillons, de sueur, de lessive. Dans les quelques vingt lits organisés en deux rangées égales, dégageant une large allée, seuls trois étaient occupés.

— Les autres ont regagné la Maison-Mère. Leurs quartiers ont été rétablis avant-hier et elles n’avaient plus besoin de soins importants.

— J’ai ouï dire, en effet.

Dans le premier lit, une jeune élève toussait à s’en arracher les poumons. Une angine, lui précisa Agnès. La petite avait essayé de contenir sa toux en reconnaissant la reine mais n’était parvenue qu’à cracher misérablement contre ses draps.

Le second, comme toujours, était veillé par une jeune fille au voile démodé dont elle ne semblait jamais se séparer. Fleur de Pivoine ne lui avait jamais parlée, hormis lors de son procès –et encore, Fleur de Pivoine ne considérait point cela comme une discussion.

Däm Magdala.

La Magdala qui avait malgré elle conduit tant de villes à leur destruction.

C’était ce simple petit bout de femme.

Étrangement, malgré sa grande sociabilité, elle ne ressentait aucune envie d’échanger avec elle.

Non point qu’elle éprouve à son endroit une quelconque aversion. Mais tout, de son regard à sa posture laissait devine qu’elle ne désirait être dérangée. Elle semblait passer ses journées là à lire, à prier, à cajoler le visage d’Ana de Sollnästeå. Depuis la révolte, elle ne s’était point réveillée. Elle dormait, plongée dans une léthargie dont personne ne parvenait à l’arracher, pas même Magdala.

En vérité, sa survie tenait du miracle.

Quand ses soldats l’avaient trouvée, elle gisait inerte dans les bras de Magdala. Celle-ci, paniquée, ne savait que faire, sanglotait hystériquement en hurlant que sa chère Ana était morte. Il avait fallu les efforts conjugués des meilleurs médicastres de la capitale, le savoir-faire des infirmiers de la Maison-Mère et du couvent pour ne serait-ce que la stabiliser et la déclarer hors de portée de la Faucheuse. Depuis, elle demeurait là, entourée de coton, de sons étouffés et de la voix de son amie, incapable de s’éveiller. La large cicatrice qui lui barrait de haut en bas le côté gauche du visage était encore à vif, maintenue close par de minuscules points.

— P’tiote, veux-tu qu’j’te remplace ?

— Non merci, Moea. Je vais rester là.

— Il faut que tu manges un peu, j’t’ai gardé ta part.

— Je n’en veux pas.

— P’tiote….

— Je t’assure, je n’ai pas faim.

Une femme aux cheveux de jais et au teint cuivré s’était approchée de la couche, avait posé sur la nordique des yeux soucieux, une main tendre sur l’épaule de la vestale. Puis toutes deux étaient restées silencieuses, l’une murmurant une prière, l’autre l’accompagnant sans que ses lèvres n’aient à se mouvoir.

Fleur de Pivoine les avait considéré un instant, enviant leur intimité si forte au cœur de l’orage. Elle la leur enviait, car elles pouvaient pleinement en jouir tandis qu’elle devait y renoncer. Le destin, la Providence, le Très-Haut ; peu importait son nom ! Cette entité maîtresse de l’existence lui avait arraché cela, et elle ne pouvait qu’attendre.

La femme au teint de soleil –Moea d’Ystead, quel drôle de nom !- la fixait à présent, avait esquissé à son intention une révérence légère. Fleur de pivoine lui trouvait un air amer, comme si une culpabilité connue d’elle seule pesait sur ses épaules, bien loin de l’assurance hâbleuse qu’elle avait manifestée lors de son procès. Ou était-ce l’aube blanche qu’elle portait, plus sobre que sa toilette colorée, qui lui conférait cette allure morne ?

Elle s’était détournée, laissant les deux jeunes femmes à leurs soucis, avancée vers le lit le plus éloigné. Sur la console, l’on avait serré plusieurs icônes, plusieurs chapelets. Fleur de Pivoine les avait détaillés avec une reconnaissance toute particulière : même si elle n’était pas croyante –un secret qu’elle gardait pour elle et pour lequel elle donnait le change en allant aux offices le dimanche-, elle appréciait le geste.

— Il n’y a pas eu d’évolution, Majesté, avait murmuré Agnès en vérifiant les sutures, les bandages, la respiration.

— Je le vois.

— Il nous faut espérer et prier.

— Espérer, oui…

Elle avait élu siège sur le simple tabouret sur lequel l’on posait d’ordinaire la bassine et le broc pour la toilette. Retiré sa cape, dévoilant sa robe ocre comme un crépuscule qui détonnait tant sur les murs blancs.

Le profil de son amie était régulier, serein dans la lueur tamisée. Elle avait défait un bandage, enduit ses mains d’un mélange de miel et de clous de girofle pour en enduire la plaie.

— Je sais que cette odeur ne t’a jamais plu, riait-elle, mais c’est un mal nécessaire.

Son rire avait résonné dans le silence, solitaire, tandis qu’elle changeait un second bandage. Elle ne touchait pas au bras droit, cerclé de lattes qui le gardaient immobile.

— Ce n’est pas à vous de…

— Bien-sûr que si.

Elle avait achevé de baigner son visage d’eau claire. La prieure s’était éclipsée, partie visiter sa pauvre malade du premier lit.

— Mari…Le monde est en train de changer, comme nous l’avons toujours attendu. Hâte-toi, sinon tu vas tout rater. Enfin…Après tout, tu as raison de te reposer. Tu as dû avoir tellement mal…

Elle se sentait gauche. Avait passé ses doigts sur la joue de la cardinale dans l’espoir fou que cette caresse l’éveillerait par quelques grâces. Mais rien.

— Mari… Ne t’avise pas de rendre l’âme. Pas avant moi. C’est un ordre de ta reine.

Elle éclatait de rire quand Fleur de Pivoine usait de ce terme avec elle. Rien cette fois n’avait jailli de ses lèvres rouges.

— Je t’attends…Je t’attends, tendre âme-sœur. Reviens-moi vite.

Elle avait comblé de baisers son front blanc, le dos de sa main gauche, contenait son désarroi, l’appelait dans le secret de son cœur afin de la guider jusqu’à elle. La prieure de retour, elle s’était reprise dans l’instant. Il était à peine dissimulé qu’une profonde fidélité les liait, mais Fleur de Pivoine ne voulait en faire étalage devant autrui.

— Sans doute demain ?

— Sans doute.

— Ne vous désespérez pas. Le Ciel veille sur cette enfant.

— Peut-être voudra-t-il la rappeler à Lui, en ce cas ?

— Majesté…

— Quoiqu’il en soit, faite parvenir une missive si cela arrive, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Elle avait recouvert son habit de soleil de sa cape sombre. Libéré la main de sa camarade puis vitement s’en était allée.

Marika de Lathium, ce jour-là non plus, n’avait pas ouvert les yeux.


Texte publié par Yukino Yuri, 22 septembre 2022 à 19h49
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