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saison 4, Chapitre 8 « Konvalescens - Convalescence » saison 4, Chapitre 8

Moea et Linnea tiraient sur la corde afin d’adoucir l’effort, bandaient les muscles de leurs jambes afin de ne point chuter par-dessus crête.

Leurs cadettes étaient revenues auprès d’elles sans autre encombre que les blessures que leur chute avait causées. Linnea, sans faire cas de la pudeur de mise, les avait serrées contre elle, traduisant de l’immense soulagement qui la submergeait. Son cœur battait à tout rompre tandis que Moea examinait Ana avec attention, tâtant à travers son cors ses côtes, vérifiant sa posture, l’interrogeant sur les douleurs que sa respiration pouvait engendrer. Celle-ci, de bonne grâce, s’exécutait, la renseignait méticuleusement en retenant les grimaces à chaque examen de la danseuse.

Il avait été décidé, après de longues délibérations et de concises inspections autant sur Ana que sur Magdala de la part de Moea, de continuer d’avancer au ponant jusqu’à trouver un médicastre si la Providence s’en mêlait, sinon un toit sous lequel elles espéraient trouver de l’aide. La cadence serait cependant moins soutenue afin de ne point aggraver les blessures d’Ana.

Elles avaient cheminé longtemps dans la garrigue, retrouvant peu à peu un air plus pur, plus respirable, s’éventant le visage, buvant autant que possible et désiré, bravant la morsure ardente du soleil. Puis enfin, tandis que se profilait dans le ciel orangé les voiles sombres de la nuit, le chemin s’était adouci, plongeait dans une vallée que les oliviers ombrageaient et dans laquelle il exhalait un parfum doux de terre battue et de sylve qui leur avait tant manqué. Sous les ramures lourdes de fruits, quelques fermes. Au loin, derrière les vaux, l’on pouvait entendre les campagnes d’un clocher sonnant la neuvième heure du soir et qui témoignaient de la présence lointaine d’un village.

Devant l’une des bâtisses, deux enfants jouaient à même la terre, faisaient concourir des insectes à des jeux imaginaires, crachaient, reniflaient, brayaient. En voyant les quatre voyageuses qui les observaient depuis la route, ils s’étaient soudain tus, les fixant avec des yeux ronds de curiosité.

— Qui que qu’sont ?

— Nenni, qu’j’savois point…

— Qui que qu’sont ? s’était enquis le deuxième –le plus âgé- d’une voix assez forte pour être entendu des femmes qui s’approchaient.

— Aya, qu’la Providence se trouvat à vot’ portillon ! l’avait salué Moea en ce patois paysan que ni Ana, ni Magdala, ni Linnea ne comprenaient. Qu’j’suis Moea d’Ystead, j’cherchois un méd’cin dans c’pays, qu’t’en connaîtra ti pas ?

— Si fait ! Il y a le herre du bourg voisin !

— Dis-donc voir, pensois-tu qu’tu pourrois l’quérir ? Mes camarades là se siont blessées dans l’pays voisin et elles z’ont b’soin d’soins.

— Eh qu’j’peux !

— Grâce t’en soit rendue ! Qu’tu s’ras point qu’où qu’on peut la mettre, la donzelle ? continuait Moea en désignant du pouce Anna.

— Eh pas chez nous ! avait ri le plus jeune. Mais chez la mère Dahlia, à qu’ça oui !

— Qu’où qu’elle d’meure ?

— Eh, la m’son là, près d’la croix.

La danseuse avait levé les yeux en direction de la bâtisse que désignaient les deux garçons. Placée près d’un calvaire en grès, elle était sensiblement plus vaste que celle devant laquelle les enfants se tenaient, donnait sur la route. La demeure était biscornue, le toit présentait ci et là des enfoncements dans l’ardoise, un pignon solitaire donnait sur les oliviers.

Moea n’était pas à l’aise à l’idée de s’installer chez l’habitant. Elle considérait qu’en pleine fuite, s’arrêter chez des inconnus et risquer de se trahir et d’être trahi était une forte mauvaise idée. Néanmoins, les douleurs d’Ana s’étant aggravées, sa respiration semblant être toujours plus rauque et difficile, elle avait cédé aux injonctions de Linnea. De mauvaise grâce, certes. Mais elle y avait consenti, craignant pour la santé d’Ana.

— Aya, ‘rci bien ptiot ! T’pourrais ti point mener l’méd’cin en sa demeure ?

— Tsé, combien qu’tu donnerois ?

— Ça ! Moea avait sorti de sa bourse un demi-penga qu’elle faisait luire sous le soleil couchant. S’tu m’le ramenois, que j’t’en donna deux !

L’enfant, encouragé par cette promesse, s’en était allé à toutes jambes.

— Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? avait osé s’enquérir Magdala tandis qu’elle regardait partir le garçonnet.

Et Moea, bombant fièrement le torse, avait présenté ses camarades son projet.

La mère Dahlia, ainsi que l’on l’appelait dans le pays, était de ces femmes rougeaudes et potelées, pliées par l’existence paysanne et les souffrances propres à son genre et à sa caste.

Elle ne parlait guère que patois, était brusque, d’une bêtise rustre et bien que leur ayant ouvert sa porte sans mécontentement apparent, elle n’en demeurait pas moins animée d’une humeur amère lorsqu’elle s’adressait à ses hôtes –ou plutôt à Moea quand elle avait compris qu’elle seule parlait patois.

Sa fille, Violet, était d’un même caractère quoique d’une soumission maladive à la matriarche, lorgnait sur tout ce que pouvaient porter ou transporter ces étrangères, avait ouvert avec indolence sa paillasse pour que l’on y couche « l’aut’ au teint blafard ». En outre, elle pressait mOea de questions indiscrètes, l’interrogeant sur leurs noms, leurs origines, leurs emplois avec cette curiosité torve qui déplaisait à la danseuse et l’obligeait à mentir.

— On venoit de Blekingäs, avait-elle déclaré avec une animosité à peine dissimulée. On fait du commerce d’herboiserie et d’plantes.

— Qu’esqu’elles vendatent ?

— D’la planterie d’médicastre, d’l’herboiserie d’payses voisins. On s’rentre dans not’ contrée, à Ystead.

Elle s’était tue, se détournant en prétextant vouloir préparer un antidouleur pour Ana qui gémissait dans sa couche. Le médicastre tardait, et son côté semblait se rappeler à elle plus douloureusement qu’alors.

Magdala, qui gardait jalousement son chevet comme l’aurait fait une amante énamourée dans un roman –cette comparaison était de bon ton, s’amusait Moea-, tenait fermement la main de la nordique, la laissait broyer ses doigts quand la souffrance la crispait, épongeait son front suant en murmurant à son intention des mots tristement réconfortants.

Linnea, que l’attente rendait folle, guettait devant le porche, rallumait inlassablement sa pipe. À chaque râle, chaque plainte, elle levait des yeux implorants au ciel, cherchait dans les étoiles un signe que tout irait bien, que son élève n’allait point être rappelée… Elle secouait vivement la tête : ce qui devait être fait serait fait, se raisonnait-elle. Et pourtant…

— Eh qu’ça qu’elle porteroit, la ptiote, quessa donc ? Drôle d’coiffe !

Dans un sursaut traître, elle avait fait volte-face, jetant un regard courroucé à Violet qui avait avancé la main vers le voile par qui tout avait commencé. Magdala, par réflexe, s’était dérobée, se dressant furieusement devant son hôtesse. « Coiffe ». Ce mot-là demeurait le même en tout patois.

— Faut y point y toucher, tsé ! Souv’nir d’la mama, c’précieux ! Aya ! –et s’adressant à Magdala dans ce Swalüet qui lui était familier- Ptiote, du calme. Assieds-toi, sois point tendue d’la sorte.

Et d’une main tendre sur l’épaule, elle l’avait faite rasseoir calmement.

Moea avait raison, se rassérénait Linnea en se détournant lentement : il fallait qu’elles se détendent.

Certes, l’état d’Ana était préoccupant et il était bien normal de se montrer inquiètes… Mais si elles ne voulaient guère se trahir, il leur fallait cesser d’être si méfiantes et vagues dès lors que leurs existences entraient en discussion.

Pour l’heure, il fallait seulement tâcher de ne point omettre les détails de l’histoire qu’elles s’étaient inventées et qui se substituait à celle qui avait toujours été.

Dans son dos, près de l’âtre, mère et fille murmuraient entre elles. Linnea avait beau tendre l’oreille, elle n’y comprenait rien ; et cette ignorance dans laquelle elle se trouvait plongée l’ébranlait, sinon lui déplaisait. Comment ne point douter, quand la crainte d’un complot à leur endroit était sans cesse à l’esprit ?

Et enfin dans la nuit, elle avait perçu les bruits singuliers d’un coche qui se hâtait en leur direction. Une lanterne vaciller dans l’obscurité. Les encouragements d’un homme qui faisait cavaler ses bêtes.


Texte publié par Yukino Yuri, 3 mai 2021 à 15h53
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