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saison 3, Chapitre 22 « Medvetslöshet - Inconscience » saison 3, Chapitre 22

Tout était allé si vite.

Au petit matin, profitant du calme dans lequel baignait Umeå, les voyageuses s’étaient introduites dans la cité afin de s’y procurer quelques vivres. Les réserves descendaient jour après jour, et il aurait été inconscient de repartir sur les routes avec le peu de denrées qu’il restait dans leurs bagages. En outre, quelques liniments et poudres médicinales leur manquaient –Magdala souffraient régulièrement de divers maux et il fallait bien la soigner- et Moea avait préconisé de former un trousseau d’apothicairerie avant de s’enfoncer plus encore dans les contrées occidentales.

Tout allait bien. La ville dormait encore, les rues étaient paisibles. Le guet sur les remparts de la ville annonçait la cinquième heure du matin de sa voix nasillarde. Les gardes allaient et venaient sur le déambulatoire avec régularité, la main sur le pommeau. De temps à autres, des ivrognes rentrant des tavernes, des vendeurs ambulants croisaient leur chemin sans s’arrêter, les premiers bien trop ivres pour leur prêter attention, les seconds trop pressés. Quelques boutiques ouvraient déjà leurs portes, les serviteurs déambulaient en baillant, les servantes courraient au lavoir. En rang, encadrées par deux religieuses en habit, des élèves en uniforme allaient au pas jusqu’à l’église pour assister aux matines. Les campagnes sonnaient dans le lointain, répondant à celles des villages alentour.

Un instant, Ana s’était détendue après avoir redouté cette étape toute la nuit durant. Elle avait craint que cette escale dans la si prisée cité d’Umeå ne leur attire de funestes ennuis, qu’elles ne croisent le chemin de la milice ou de l’Inquisition…

Ah, si elle avait su…

Mais lorsqu’elle avait constaté que les grandes avenues pavées n’étaient point aussi animés que celles de Lunthveit aux premières heures du matin, elle s’était permis quelques instants de candeur, laissait aller sa curiosité, se penchait volontiers sur les vitrines, les étals, les échoppes. De temps à autres, elle pouvait ouïr Magdala s’extasier sur telle ou telle chose dont elle ignorait l’existence, surveillait d’un œil tendre ses allées et venues d’un côté à l’autre de l’avenue.

Alors quand… ?

Elle venait d’enfourner dans sa bouche un petit beignet de légumes qu’une vendeuse ambulante lui avait offert de goûter et s’écriait à chaque bouchée, vantant la texture, les saveurs de cette brioche croquante que l’on avait fourrée d’épinards et d’épices. Ana ne pouvait s’empêcher de sourire en observant l’entrain dont sa compagne –oh, comme il était étrange de la considérer ainsi tant leur relation était jeune en son esprit- faisait preuve en cette douce matinée d’été. Dans l’air, les effluves secs de la sylve environnante étaient porteurs des rumeurs de la fin de la saison.

Au loin, des destriers faisaient claquer sur le pavé leurs fers.

Voilà, c’est à cet instant que tout s’était mué en cauchemar.

— Ana, regardez cela !

Magdala s’était hâtée vers elle, traversant à petits pas joyeux la grande avenue, un sachet de beignets dans les bras.

La seconde d’après, elle s’était figée de peur.

Au-dessus d’elle, les sabots d’un cheval qui se cabrait en râlant, tiré en arrière par le milicien qui le montait. Ce dernier s’égosillait, vociférait en lui adressant de grands gestes rageurs. Mais Magdala était paralysée. Ses bras avaient lâchés les beignets qui s’étaient écrasés mollement à terre.

Le sang d’Ana n’avait fait qu’un tour. Elle avait fondu sur Magdala, tendu la main.

Et malgré elle, s’était écriée :

— Magdala !

Et c’était là que la situation s’était envenimée.

La troupe de la milice s’était arrêtée dans l’instant.

Le capitaine s’était retourné, avait fixé la vestale qui reprenait lentement ses esprits contre le sein d’Ana. Avait remarqué le voile qui flottait autour de ses épaules et qui ne ressemblait guère à ceux qui se portaient actuellement. La coupe, le tissu, le motif… Non, cela n’y ressemblait point.

Il avait quitté sa monture, s’était approché d’un pas comminatoire :

— Toi, la nordique ! avait-il interpellé d’un ton menaçant. Qu’est-ce que tu viens de dire ?

— Rien du tout, herre…

Il l’avait saisie par le bras, son autre main sur le pommeau de son épée. Sa poigne douloureuse avait fait gémir Ana.

— Réponds ! Qu’est-ce que tu as dit ?

— J’ai…juré seulement.

— Vraiment ?

— Oui, et je m’en repens déjà, soyez en sûr.

Ah ça, pour s'en repentir...

Il avait eu l’air de la croire. Relâché son bras. S’était éloigné. Ana avait cru pouvoir s’en tirer, car jurer en public était fort indécent mais point punissable comme l’était le blasphème.

Moea s’était approchée, Linnea se tenait juste derrière elles. D’un naturel feint, toutes les quatre s’étaient lentement mues, traversant la grande avenue à pas mesuré, cependant pressés. Magdala serrait sa main à lui en faire mal. Ana accentuait son étreinte à chaque foulée, à tel point qu’elles en avaient les jointures blanches et les doigts rouges. Elle sentait, comme une prémonition instinctive, le temps preste de les rattraper, le Ciel de laisser tomber son couperet sur leurs gorges. Ses doigts glissaient contre son arc. Puis soudain :

— Saisissez-les !

Le tumulte des gardes dans leurs dos. Le vacarme de leurs pas tandis qu’elles prenaient la fuite à l’aveugle dans les ruelles. La terreur qui lui dévorait le ventre. Les yeux embués d’effroi de Magdala. L’horreur de l’imaginer soudain arrachée à elle. Le milicien qui était si près, trop près!

Puis il y avait eu son arc dans sa main, la flèche qu’elle avait décoché, l’instant d’oubli pendant lequel elle avait visé en tremblant. Le sifflement de sa flèche. Le rouge du sang qui avait jailli de l’épaule dans laquelle elle s’était enfoncée. Le cri de douleur de l’homme dont elle avait attenté à la vie. Moea qui la tirait en arrière tandis qu’elle restait là bêtement, ahurie.

Tout cela s’était imposé à elle en l’espace de quelques secondes.

En quelques secondes, la sérénité nouvelle qu’elle avait acquise s’était muée en horreur, et elle demeurait abasourdie par son geste, se laissait emportée dans le dédale de rues, ruelles et places endormies.


Texte publié par Yukino Yuri, 27 mars 2021 à 13h38
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