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Par-Delà les Ténèbres - 1 - Ombeline
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tome 1, Chapitre 1 « Ombeline » tome 1, Chapitre 1

Cher journal,

Aujourd'hui, j'ai été renvoyée du lycée. J'aimerais vraiment comprendre ce qu'il se passe ! Depuis quelque temps, je ne réussis plus à retenir mes émotions les plus fortes. Lorsque la colère grimpe, elle monte, monte et monte encore sans que je parvienne à contrôler quoi que ce soit et là... Il arrive des choses. Aujourd'hui, je me suis disputée avec cette pimbêche de Olivia. Nous étions dans les escaliers et elle m'a poussée. J'ai buté contre la rambarde et j'ai failli tomber par-dessus. Dans ma rage, j'ai eu très chaud et je m'imaginais que la jolie chevelure blonde de cette fille prenait feu. Ce n'était qu'une image bien sûr, je n'oserais jamais intentionnellement faire souffrir quelqu'un, même elle, qui me harcèle presque quotidiennement depuis deux ans !

Et puis, j'ai eu un violent mal de tête, le temps de fermer les yeux pour chasser un vertige, sa crinière était VRAIMENT en flammes ! Mais ça ne peut pas être de ma faute non ? C'est une coïncidence ! Pas mal d'élèves détestent Olivia en secret, il y en aura bien un qui sera passé à l'action !

***

Ombeline attend dans le couloir menant au bureau du proviseur. Elle est persuadée qu'à cette heure, on a déjà dû appeler ses parents et que ceux-ci sont sur le chemin du lycée. Son père est probablement furieux d'avoir été interrompu dans sa folle journée. Quant à sa mère, comme toujours, elle accueillera les choses avec flegme. Si elle a de la chance, peut-être même prendra-t-elle sa défense.

Ombeline fait une moue, ne croyant pas vraiment à cette dernière pensée, puis secoue la tête pour chasser ses épais cheveux noirs de son visage. Elle n'y comprend plus rien. Est-ce que c'est ça, la crise d'adolescence ? Ses émotions sont délicates à gérer depuis l'enfance. Hypersensible. Un mot qu'elle a entendu très tôt. Mais avec un peu d'aide, elle a toujours plus ou moins réussi à canaliser les choses. Ces derniers temps, elle s'énerve pour un rien, ses sentiments se jouent d'elle. Elle a l'impression d'être constamment sur des montagnes russes. La plupart du temps, elle s'emporte et regrette immédiatement son attitude. Surtout alors qu'il s'agit de Mandy, sa meilleure amie, qui ne lui adresse plus la parole depuis deux semaines. Depuis qu'elle lui a reproché son « comportement stupide ». Termes qu'Ombeline n'a pas digérés. La jeune fille sait qu'elle devrait faire le premier pas et l'appeler ou simplement aller la voir entre deux cours, mais sa fierté l'en empêche. Cette peste d'Olivia passe son temps à la harceler, l'intimider quand elle en a l'occasion et elle est à vif. Elle n'en a pas parlé à ses parents de crainte que les choses ne fassent qu'empirer s'ils interviennent...

Le problème aujourd'hui, c'est qu'elle n'arrive pas à recoller les événements. Olivia la bouscule. Ombeline l'interpelle et son ennemie lui lance une œillade méprisante. Préférant passer son chemin, Ombeline veut partir, mais l'autre fait mine de la pousser. Dos à l'escalier, la jeune fille panique et cherche à se raccrocher à la rambarde. Quand enfin Ombeline retrouve l'équilibre, elle darde un regard noir sur la peste. Cette idiote aurait pu la blesser gravement cette fois. Et puis, brusquement, les cheveux de la blonde prennent feu. Ombeline est pourtant persuadée que personne de la petite bande d'Olivia n'a fait ça. Bien sûr, tout lui retombe dessus. Olivia l'accuse. Évidemment, alors qu'elle est face à elle, en train d'essayer de ne pas se casser la figure dans les marches, cela ne peut être qu'elle ! Peut-être que c'est quelqu'un de son groupe finalement. Après tout, Olivia n'est pas non plus sans les maltraiter... Ombeline soupire. C'est un cercle vicieux et les apparences — ainsi que les erreurs des dernières semaines — sont contre elle.

— Lily ?

Elle tressaille, plongée dans ses pensées, elle n'a pas entendu mademoiselle Albret l'appeler — par son surnom, comme la plupart de ses amis et sa famille — vraisemblablement à plusieurs reprises, si bien que la secrétaire s'est rapprochée pour lui toucher le bras. D'un haussement de sourcils, elle lui indique le bureau du proviseur. Mademoiselle Albret possède un visage doux et enfantin, ses boucles blondes cascadant jusque dans son cou. Elles retombent sur ses épaules accentuant encore son apparente jeunesse. Ses yeux gris clair la fixent d'un air navré.

Lily se lève et se dirige vers la pièce suivante en traînant des pieds. Elle sent une boule se former dans sa gorge.

— Mademoiselle Rives... Commence le proviseur d'une voix forte, la faisant à nouveau sursauter quand elle entre, tête baissée. C'est la cinquième fois en deux semaines que vous vous retrouvez dans mon bureau. Nous vous avons déjà renvoyée une fois quelques jours à la maison dans l'espoir que vous vous repreniez jeune fille.

À tout autre moment, et adressé à une personne différente, le « jeune fille » de monsieur Labordes aurait amené un sourire sur son visage. Son ton pompeux l'a toujours fait... Mais quand il s'agit d'elle-même, ce n'est pas pareil. Elle s'installe dans l'un des fauteuils faisant face au bureau du proviseur. Un imposant meuble de bois sombre qui occupe une grosse partie de l'espace étroit. Derrière lui, la baie vitrée laisse passer les rayons du soleil et aveugle légèrement Ombeline qui est obligée de plisser les yeux pour les lever vers lui. Incapable de le fixer sans souffrir de la luminosité et n'osant pas lui demander de baisser le store, elle promène son regard sur les étagères entourant la fenêtre. Des classeurs, remplis de dossiers concernant les élèves probablement, envahissent les rayonnages. Lesquels sont décorés de quelques bibelots réalisés par des mains d'enfants. Le proviseur est père de quatre filles. Une photo de famille trône d'ailleurs dans un cadre posé devant lui.

Le directeur du lycée lâche enfin son stylo, croise les doigts devant lui et l'observe.

Elle n'est pas du genre effronté. Elle tient tête à ses camarades s'il le faut, mais n'a jamais été jusqu'à répondre par la violence. Mais surtout, elle ne s'est jamais, de toute sa scolarité confrontée à un membre du corps enseignant.

Depuis octobre, tout se bouscule, son comportement lui joue des tours, ses émotions changent d'une minute à l'autre et elle est agressive envers d'autres élèves — même si ceux-ci l'ont bien cherché. Elle s'est retrouvée pour la première fois au cœur d'une bagarre. Comme ce jour, face à Olivia — encore — qui s'est mystérieusement effondrée le nez dans la boue au milieu d'une dispute. L'œil au beurre noir que la jeune fille à la peau délicate arbore alors dément toutes les explications qu'Ombeline peut fournir. Pourtant, aussi invraisemblable que ça puisse paraitre, elle ne l'a pas touchée. Mais c'est suffisant pour la conduire une première fois dans ce bureau.

Trois autres infractions de ce genre et une insulte à un pion qui est sortie toute seule lui valent deux jours d'exclusions. Elle n'en est pas fière.

— On me rapporte que vous vous êtes « pris la tête » avec mademoiselle Rousseau. Encore une fois. Nous sommes bien au-delà de l'avertissement. Mais vous avez préféré mettre le feu à ses cheveux apparemment.

Ombeline ouvre la bouche pour protester, mais le proviseur lève la main pour l'interrompre.

— Avant tout, j'espère que vous savez qu'il est contre le règlement de ce lycée d'avoir sur soi un briquet ou des allumettes ? Qu'est-ce que ce sera la prochaine fois, mademoiselle Rives, un couteau ? Vous comptez vous transformer en véritable délinquante ? Une si gentille jeune fille, qu'est-ce qui se passe avec vous ? Vous avez des problèmes à la maison ? Avec vos parents ? Des histoires de cœur peut-être ?

L'adolescente remue la tête devant cette avalanche de questions. Elle sent grossir la boule dans sa gorge et est incapable de parler. Elle aimerait vraiment comprendre elle aussi.

— Bien. Ce serait dommage. Maintenant, donnez-moi ce briquet, ou ces allumettes.

— Mais je n'en ai pas ! Ce n'était pas moi M. Labordes ! On s'est disputées avec Olivia, mais je n'ai jamais...

Ombeline s'interrompt en avisant M. Labordes froncer les sourcils et secouer la tête d'un air contrit et fait un bond en entendant frapper à la porte. Ses parents sont arrivés. Le principal fait signe à mademoiselle Albret, qui a passé l'entrebâillement, de les faire entrer. Lily n'ose plus respirer. Son cœur bat la chamade. Vont-ils la croire ?

— Monsieur et madame Rives. Bienvenue. J'aurais préféré vous revoir dans d'autres circonstances. Malheureusement, si je vous ai demandé de vous déplacer c'est que je n'avais pas le choix. Des mesures doivent être prises pour Ombeline, qui devient dangereuse pour ses camarades.

Ses parents se tournent vers Ombeline d'un bloc et la jeune fille baisse la tête. Si elle pouvait disparaître à ce moment, elle le ferait. Son père est un homme de haute stature, pas du genre imposant, mais impressionnant tout de même. Son air sévère a fait peur à ses amies lorsqu'elle était plus petite. Mais toutes savent maintenant que ce n'est qu'une façade et que son papa est une personne agréable et prompte au rire. Cette fois-ci, toutefois, il fixe sur sa fille ses yeux noirs, troublés et inquiets. Elle écoute le proviseur raconter à ses parents la énième dispute avec Olivia et le fait qu'elle ait mis le feu à sa chevelure. Son envie de nier lui passe quand son père la scrute, surpris. Elle voit la déception au fond de ses prunelles. Il ne la croira pas, même si elle dit la vérité. Il se fie aux faits, et ceux cis sont contre elle. Lily se fait toute petite, se laissant glisser dans l'espoir vain de disparaître. Rien ne pourrait être pire que le regard désappointé d'Anthony.

Le proviseur a décidé de frapper fort et a fait tomber la sentence. S'il n'y avait que les deux dernières semaines de fautes et de punitions, les choses auraient pu s'arranger, mais c'est la deuxième éviction d'Ombeline. Pour huit jours, pendant lesquels elle n'aura aucun accès au Lycée. La prochaine fois, ce sera l'exclusion définitive. Lily repasse par le secrétariat à ce stade de la conversation. Ses parents discutent avec le proviseur une bonne demi-heure. Sa mère arbore un air las en sortant, son père ne l'a même pas regardée. Ombeline est meurtrie.

Elle ne dit pas un mot sur le trajet du retour, inhabituellement silencieuse, sentant sa famille tendue et inquiète.

La jeune fille passe l'après-midi enfermée dans sa chambre, aucune mesure n'a encore été prise à son sujet. Elle a toujours son téléphone et son ordinateur, si bien qu'elle occupe le reste de sa journée à envoyer des textos à Mandy, se demandant ce qui allait lui arriver. Elle réussit à se réconcilier légèrement avec celle-ci. C'est peut-être la seule chose positive du jour. La perspective d'être séparées par une exclusion rapproche les deux adolescentes. Elle frémit en entendant ses parents se disputer et préfèrerait ne pas sortir de la pièce malgré la faim qui commence à lui tenailler l'estomac. Elle rase simplement les murs pour aller aux toilettes et prendre sa douche, le plus discrètement possible. En bas, Claire et Anthony cessent d'argumenter et continuent à discuter à voix basse.

Vers dix-neuf heures, sa mère frappe à sa porte en lui enjoignant de descendre pour le dîner. Celui-ci se déroule dans un silence lourd, Lily observant sa famille à la dérobée, se demandant quand la sentence lui tombera dessus. Au milieu du repas, son père soupire et pose ses couverts.

— Lily. Je ne comprends pas ce qu'il t'arrive ces derniers temps. Sans doute la crise d'adolescence, mais là... se disputer avec tes camarades d'école passe encore, en venir aux mains... tu sais ce que j'en pense, même pour te défendre, ça n'aurait pas dû survenir. Tu m'as beaucoup déçue en insultant ce pion il y a quelques semaines, mais ça... Lily ! Bon sang ! Et en plus, tu te mets à mentir !

Son papa recommence à s'échauffer. Sa mère effleure son bras pour le calmer et prend la suite en soupirant.

— Ton père et moi avons décidé de t'envoyer dans une école privée. Si ton comportement est revenu à la normale d'ici juin, tu pourras peut-être réintégrer ton lycée à la rentrée. Sinon, tu y finiras ta scolarité.

— Là-bas ? La voix de la jeune fille se brisa. Ses émotions se jouaient d'elle encore une fois, et les larmes la guettaient.

Sa mère acquiesce. Là-bas, c'est un pensionnat pour élèves difficiles, un établissement privé, qui accepte de l'accueillir en cours d'année — c'est le mois de novembre — avec un encadrement plus sévère, de quoi la remettre dans le droit chemin. L'école se situe à une heure de route au nord de Toulouse, à petite distance d'un village appelé Blancheroque. Lily note le « près de », qui signifie qu'elle sera coupée de tout. Elle veut protester, se justifier, mais Claire secoue la tête. C'est inutile, la décision est prise et elle n'a plus le choix.

— Quand ? demande la jeune fille, au bord des larmes.

— Commence à préparer tes affaires, tu pars dès demain... Et Lily, ta mère te déposera et rentrera aussitôt, ils pensent qu'il vaut mieux une rupture nette. Nous ne serons pas autorisés à venir te voir non plus. Annonce son père, radouci par la détresse de l'adolescente.

Lily se redresse, acquiesce lentement et sort de table, ne cédant à ses larmes qu'une fois dans l'escalier. Elle referme soigneusement la porte de la chambre derrière elle pour garder un peu d'intimité. Son cœur se brise. Elle a perdu la confiance de ses parents. Jamais encore, cela ne lui est arrivé.

Adossée au mur, Lily pleure doucement, les épaules agitées de sanglots incontrôlables. Elle songe à ce qu'elle peut faire, mais ne voit pas vraiment de solution, pensant à simplement partir. Quitter la maison, seule ? Et pour aller où ? Un petit rire désemparé la secoue. Des torrents de pluie se mettent à tambouriner contre les vitres entre temps, si bien qu'elle perçoit tout juste les coups discrets que produit sa mère en frappant.

Elle s'écarte pour ouvrir en l'entendant l'appeler doucement, cherchant vainement de cacher ses larmes. Claire l'observe un instant, une moue triste sur le visage. Elle entre, referme la porte et regarde l'averse dégouliner sur les fenêtres.

Claire Rives s'assied sur le lit et invite sa fille à faire de même. Lily s'installe nerveusement à côté d'elle, reniflant comme une enfant, tentant, tant bien que mal, de retrouver son calme. Sa mère la prend dans ses bras, la berçant tout doucement en fredonnant jusqu'à ce que son cœur s'apaise.

— Ton père est allé faire une course... Tiens, la pluie s'est arrêtée aussi soudainement qu'elle a commencé, s'interrompit Claire.

Lily fronce les sourcils, ne saisissant pas bien le rapport entre les deux phénomènes. Sa maman arbore un sourire léger.

— Lily, tout ça, ce n'est pas une punition, regarde-le comme une chance... Tu vas sans doute beaucoup apprendre à l'Académie Jennas. Je pense même que tu pourrais apprécier les choses une fois sur place. Imagine que c'est une belle opportunité... Et s'en est une croit-moi ! Tu t'en rendras vite compte.

— Mais maman, s'il faut que je parte d'ici, je ne vais plus voir ni Mandy ni aucun autre de mes amis, je ne...

La voix de la jeune fille se brise et une perle salée roule irrépressiblement sur sa joue. Dehors, quelques lourdes gouttes de pluie s'écrasent sur la terre déjà humide, libérant une odeur caractéristique.

— Je sais que c'est difficile à comprendre pour toi pour l'instant, mais je te promets que c'est une bonne chose. Tu en as besoin. Tu ne pourras contacter personne pendant les deux premières semaines. Pas même nous. Mais si ton adaptation se passe bien, tu pourras récupérer ton portable à la fin de ce temps. Tout repose sur toi maintenant...

Un grattement se fait entendre à la porte de la chambre. Lily va machinalement l'ouvrir pour laisser entrer Mr. Foxy, son furet, avant de revenir s'asseoir sur le lit. Mr. Foxy se pelotonne sur les genoux de sa jeune maitresse, lui léchant les doigts tandis qu'elle le caresse. L'animal parait sentir sa détresse et se love sur celle-ci, la calmant peu à peu, sans qu'elle s'en rende vraiment compte.

Claire Rives serre sa fille dans ses bras à nouveau, puis se lève. À quarante-cinq ans, Claire est une très belle femme, Ombeline est toujours ravie lorsqu'on lui dit qu'elle ressemble à sa mère. Elles possèdent toutes les deux des cheveux noirs aux extraordinaires reflets bleutés, et ces yeux de la couleur glaciale des lacs de montagne qui attirent tous les regards. Leur visage est bien structuré, fin, délicat, et si Lily promet d'être un peu plus grande que sa mère — elles font la même maintenant taille — elles ont à peu près la même morphologie sportive. On pourrait presque les prendre pour des sœurs. Ce qui est d'ailleurs déjà arrivé. Claire accorde une caresse à Mr. Foxy et dans ses iris clairs, il semble à Lily voir un ordre passer. Imperceptiblement, l'animal hoche sa petite tête. Puis elle s'éloigne et sort de la chambre. Lily songe qu'elle a probablement imaginé tout cela. Elle est décidément vraiment à fleur de peau ces derniers temps...

Comme le lui a conseillé sa mère, elle appelle Mandy pour lui raconter ce qui s'arrive. Sa copine la traite de tous les noms — depuis le début d'année, elle essaie de la raisonner, de l'empêcher de se disputer avec Olivia. Elles se sont même fâchées pendant toute une semaine. Un record pour les deux jeunes filles qui se connaissent depuis la maternelle. Mandy fond en larmes en apprenant que Lily est renvoyée du lycée et que ses parents ont pris la décision de l'envoyer en pensionnat. Lily ravale sa tristesse et tente de consoler son amie alors qu'elle est elle-même aux trente-sixièmes dessous, lui promettant qu'elle fera tout son possible pour pouvoir très vite la contacter.

Elle prépare sa valise tout en discutant de tout et de rien. Les deux adolescentes essaient de rendre les choses plus faciles en parlant des vêtements que Lily va emporter, des garçons que la jeune fille rencontrera. Puis, Mandy terrifie Lily en suggérant qu'elle devra peut-être endosser un uniforme. Lily frissonne, depuis qu'elle est en âge de choisir ses habits, elle n'a jamais plus rien porté qu'on lui ait imposé. Elle peut passer des heures dans les magasins de loisirs créatifs à trouver le ruban ou la pièce de dentelle qui lui permettra de personnaliser elle-même son style.

***

Claire garde les yeux ouverts bien après qu'Anthony, son mari, se soit endormi à ses côtés. Cela fait des mois qu'elle lutte âprement pour que sa fille rejoigne l'Académie Jennas. Depuis qu'elle a perçu la faille dans le sortilège et que Lily a commencé à montrer les premiers signes d'un changement de comportement, elle a doucement essayé de convaincre Anthony.

L'Académie Jennas est l'école privée dans laquelle elle a elle-même étudié du collège au lycée. On y dispense une excellente éducation et le cadre y est strict. De plus — mais cela, Anthony ne le sait pas puisqu'il n'a pas connaissance de la nature profonde de sa femme — Lily pourra y apprendre à maîtriser ses pouvoirs latents. Claire ne pensait pas être un jour confrontée à cette difficulté, lorsque, à la naissance, les filles ont été testées par une envoyée du Conclave, elles n'ont pas manifesté de grandes prédispositions à la magie. Bien sûr, ce genre de choses peut évoluer avec le temps, mais Claire croit que c'est le traumatisme de la perte de sa sœur qui a tout déclenché. L'hypersensibilité de Lily tient un rôle important dans ses problèmes actuels. Enfant, cette émotivité exacerbée avait obligé Claire et Anthony à consulter une psychologue, car ils n'arrivaient pas du tout à aider leur fillette dont les sentiments jouaient aux montagnes russes. Le quotidien à la maison devenait compliqué entre les crises de pleurs et de cris qui survenaient pour un oui ou pour un non. Lily était généralement une enfant douce et rêveuse.

Elle avait toujours manifesté une sensibilité élevée vis-à-vis de choses qui relevaient de l'habituel. Une musique écoutée trop forte la faisait fondre en larme, la couture de ses chaussettes dérangeait sa marche, une étiquette trop épaisse se révélait une torture insoutenable. Plus tard, le brouhaha constant de la classe perturbait ses facultés d'apprentissages. Divers rendez-vous chez des spécialistes avaient permis d'aplanir les soucis et de comprendre comment l'aider à gérer ses émotions.

Claire redoutait la puberté de sa fille, l'explosion d'hormones qui arriverait immanquablement et la cruauté des adolescents entre eux menacerait de troubler l'équilibre durement gagné pendant de longues années. Mais au-delà des problèmes normaux d'une jeune de quinze ans, Lily se retrouvait confrontée à la naissance de pouvoirs dont elle n'avait pas connaissance et qui lui échappaient.

Sa mère a noté depuis plusieurs semaines un comportement étrange, un détachement vis-à-vis de Mandy, sa meilleure amie également, mais elle n'a compris que trop tard ce qu'il en est. L'enchantement qui empêche les pouvoirs de sa fille de se manifester s'était fissuré. Les émotions intenses les activent sans que Lily puisse les contrôler. Or, la jeune fille vit dans un constant tiraillement de sentiments extrêmes. C'est à la fois sa faiblesse et sa force.

Claire se retourne dans son lit. Elle ne peut détruire les barrières du sortilège, elle n'en a pas le droit. Une fois à l'Académie, il s'affadira de lui-même jusqu'à s'effacer complètement, libérant tout le potentiel d'Ombeline. Et Claire devine celui-ci formidable, son instinct ne l'a jamais trahie. Elle-même n'a pas hérité d'impressionnantes capacités, mais les sorcières de sa famille ont toutes été notables. Soupirant, la femme se lève, lisse sa robe de nuit en satin blanc et s'approche de la fenêtre. La lune ronde et argentée éclaire doucement la chambre. Le danger entoure sa fille comme un vêtement moulant. Elle espère simplement qu'être à l'Académie la sortira de ce mauvais pas. Du tiroir de sa coiffeuse, elle extrait une petite boite en bois sombre. Cet objet est dans la lignée depuis... toujours. Elle a prévu de l'offrir à Lily le jour de ses seize ans. Une tradition ancestrale qui n'aurait pas eu d'autre sens que de transmettre un bijou de famille à son enfant. Mais cet acte prend une profondeur complètement différente si Lily est destinée à être une sorcière. Claire ouvre la boite d'un geste habile et extrait le collier de son écrin. Elle a elle-même cessé de le porter depuis qu'elle a renoncé à la magie pour vivre auprès de son amour mortel. Le bijou est intact et ne nécessite même pas d'être poli. Le métal gris joliment ornementé resplendit. D'une pression légère, elle divise le cœur en deux parties. Il révèle une pierre iridescente, le véritable trésor de sa famille.

Lorsque ses longs doigts déliés l'effleurent, il semble luire davantage.

***

Ombeline s'éveille aux premières lueurs de l'aube, comme à son habitude. Elle est tout habillée, on a tiré sur elle sa grosse couette, et elle tient encore son téléphone au creux de sa main. Mandy et elle ont discuté jusque tard dans la nuit, ni l'une ni l'autre ne pouvant se résoudre à raccrocher. Mr. Foxy, le furet à la couleur rousse vive et au museau blanc — nuances qui lui ont valu son nom — est pelotonné contre sa petite maîtresse, il émet un couinement léger lorsqu'elle bouge, mais n'ouvre pas un œil. L'animal, lui, n'est jamais debout aux premières lueurs de l'aube. Cette si menue boule de poils sommeille la plus grosse part de la journée et a une forte tendance à ne se réveiller que quand le soleil commence à caresser sa fourrure, dardant ses rayons sur le lit de Lily. Elle vérifie une ultime fois sa valise. Puis elle regarde autour d'elle, espérant n'avoir rien oublié. Enfin, une fois prête, elle enfouit son nez dans le pelage de Mr. Foxy, lui aussi va lui manquer. Le furet ouvre un œil paresseux, lui lèche la figure et se rendort aussitôt. Lily esquisse un sourire à cette petite habitude, malgré son cœur au bord des lèvres et descend dévorer son petit déjeuner. Le dernier avant longtemps dans la maison de son enfance.

Elle a presque terminé et consulte les nouveaux clichés de Mandy sur instagram — celle-ci a promis de tout lui prendre en photo, ainsi, elle ne ratera rien malgré son absence — quand papa arrive dans la cuisine. Sans dire un mot, il serre sa fille dans ses bras et emporte les bagages qu'il dépose dans la voiture avant de revenir boire son café. Maman apparaît quelques minutes après, un petit coffret ouvragé dans les mains qu'elle pousse devant Ombeline. La jeune fille la regarde, surprise. Le moment ne parait pas se prêter aux cadeaux. Elle croise l'air réprobateur de son père, il semble penser comme elle. Mais Claire lui adresse un sourire d'encouragement.

— Je voulais te l'offrir pour ton anniversaire, le jour de tes seize ans, comme ma mère l'avait fait, mais... j'aimerais que tu l'aies avec toi.

Curieuse, Lily ouvre la boite et découvre un médaillon ouvragé en forme de cœur. Le métal, blanc froid, est travaillé comme de la dentelle. Le bijou se sépare lorsqu'on appuie sur un petit poussoir pour révéler une pierre aux couleurs de l'arc-en-ciel, qui semble luire doucement dans la lueur du matin.

— C'est un porte-bonheur que les femmes de la famille se transmettent de génération en génération... la voix de Claire se brise. Ombeline remarque que ses yeux sont remplis de larmes.

Elle fait un grand sourire à celle-ci. Elle passe le médaillon autour de son cou, le métal lui parait se réchauffer au contact de sa peau, mais Lily ignore la sensation et assure à sa mère qu'elle ne le quittera pas.

Son père a un soupir mélodramatique et sa maman renifle de manière peu féminine en essuyant les perles salées sur ses joues avant de la pousser gentiment vers la porte.


Texte publié par JenniferDaina, 24 juillet 2020 à 08h32
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