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tome 1, Chapitre 4 « Jubaku* » tome 1, Chapitre 4

Silence.

Agenouillé, les mains posées sur les cuisses, les paumes tournées vers le ciel, les yeux clos, il écoute le silence des lieux. Dans le lointain, un carillon à vent égrène ses notes aériennes, cependant qu’un souffle léger lui apporte des senteurs boisées qui lui rappelle le santal.

Silence.

Les lèvres pincées, Kagami sensei l’observe. Calme, presque détaché, c’est à peine si sa poitrine massive se soulève. Habillé d’un large kimono écru, il semble comme flotter à l’intérieur. Un instant, il se surprend à se demander si sa présence est réelle. Ses yeux, entrouverts, réduits à l’état de fente, comme tous les traits de son visage, sont pareils aux taches d’encre sur la feuille de papier de riz, presque irréels. Pourtant, il sent peser sur lui la sévérité de son regard.

Silence.

Autour de lui, des silhouettes aux contours flous, gribouillés, noircis, comme estompés par une main invisible, le fixent. Agenouillées, elles semblent immobiles, figées, statufiées par la présence austère de Kagami sensei.

Silence.

De l’index, il pointe l’occident.

Silence.

Des yeux, il suit la ligne ainsi tracée, jusqu’à une fenêtre de papier.

Silence.

De l’autre côté, une ombre s’avance — une femme devine-t-il —, puis s’agenouille, les bras tendus devant elle ; posé sur ses paumes un coffret en bois laqué.

Silence.

Ses lèvres s’entrouvrent.

Silence.

Kagami sensei, impassible, pose un doigt sur les siennes.

Silence.

La nuque douloureuse, il repose le cliché photographique. Troublé, il le regarde à nouveau ; l’étrange sensation a disparu. Les notes florales se sont évanouies, remplacées par l’odeur âcre du tabac froid. Le vent ne souffle plus et le carillon ne chante plus, à la place ce sont des éclats de voix et des sirènes stridentes ; il est dans son bureau, seul.

Silence.

Quelqu’un s’adresse à lui. Voûté, penché sur lui, des cheveux, raides, tombent sur le front, juste au-dessus d’une paire d’yeux cerclés par de grosses lunettes à écailles. Qui est-ce ? Ses lèvres bougent, mais aucun son n’en sort. Pourtant il n’est pas sourd, car il entend toujours les stridulations aigrelettes du téléphone dans le bureau à côté, ou encore les véhémentes et inutiles protestations d’un suspect.

Silence.

L’homme lui parle encore. Quelqu’un lui répond. Lui ? Un autre ? L’homme s’agite ; ses bras font des moulinets et sa mine devient chafouine. Les bras croisés sur sa poitrine, sa bouche demeure un instant ouverte, puis se referme, cependant que ses joues gonflent. Les yeux plissés, il le fixe un long moment.

Silence.

La photographie est là, posée en évidence sur le bureau, la figure de Kagami sensei entourée de rouge ; à côté une volumineuse enveloppe de papier kraft, d’où dépassent quelques feuillets. Kagami sensei ? Pourquoi lui donner ce titre ?

Silence.

Les yeux fermés, il prend une profonde inspiration. Le mort est là ; debout, face à lui. Sa face crayeuse contraste avec l’obscurité du mur sur lequel il s’appuie. Les paupières ouvertes, ses prunelles laiteuses le dévisagent ; ses lèvres s’étirent en un sourire sardonique. Dans sa main droite, il enserre toujours la plaquette de bois.

Silence.

Kagami sensei s’avance. Son regard va de lui à l’autre ; de l’autre à lui. En retrait, de nouveau les silhouettes, brouillonnes, comme crayonnées par une main maladroite ; le mors s’avance.

Silence.

De dos, Kagami sensei se retire et bientôt il se confondra avec les ombres qui l’entourent. Mais alors qu’il s’apprête à disparaître, il se retourne ; un doigt posé sur les lèvres.

Silence.

賞**

Silence.

Quelqu’un a glissé la plaquette de bois dans sa paume.

Silence.

Sato ! Sato !

Le nom revient à plusieurs reprises ; une main se pose sur son épaule. Surpris, il lève la tête ; une femme l’observe, inquiète ; il la connaît. Ses lèvres s’entrouvrent alors et laissent s’échapper des sons, des mots ; des mots pour dire l’apaisement, des mots pour rassurer. En face de lui, ses sourcils se froncent, elle demeure dubitative et des plis se forment autour de sa bouche.

Silence.

Il veut l’embrasser ; la rassurer.

Silence.

Immobile, elle tient d’une main la poignée de la porte : elle hésite. Ses lèvres s’ouvrent à nouveau ; elle se retourne et lui sourit.

Silence.

Sur le mur, un visage démesurément grossi s’adresse à lui ; sa voix monotone et monocorde emplit bientôt tout l’espace. Distrait, il allume une cigarette dont le bout rougeoie dans la pénombre ; de l’autre côté, l’homme poursuit son monologue.

Silence.

Champ arrière, la caméra se recule et filme un corps étendu sur une table en acier. Il tire sur sa cigarette ; un peu de cendre s’en échappe et tombe alors sur le sol. Une main s’incruste dans le champ ; un stylet entre les doigts.

Silence.

En fond, la voix poursuit ses explications, cependant qu’une douleur prend naissance à la base de sa nuque, pour mieux remonter vers ses tempes. Essoufflé, meurtri, sa vue se brouille et son champ de vision s’étrécit ; seul demeure l’ombre noire de la baguette sur le cou d’albâtre, avec en fond la vision d’une fenêtre de papier glacé sur laquelle s’étale le visage impassible du gourou.

Silence.

* Envoûtement

** Shou : prix (récompense prestigieuse)


Texte publié par Diogene, 13 juin 2020 à 22h31
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