Silence.
Pâle, c’est à peine s’il distingue son visage du tissu de son kimono écru. Les sourcils épilés, les cheveux largement relevés et attachés derrière la nuque en un invraisemblable chignon, elle ressemble presque à une poupée Bunraku.
Silence.
Mutique, elle pose sur le binkake un objet oblong enveloppé dans du papier de riz. Silencieux, il en suit chacun des mouvements, chacun empreint d’une gravité, d’une pesanteur presque irréaliste, comme si d’invisibles marionnettistes assujettissaient ses membres.
Silence.
Insensiblement, elle relève la tête, sans saccade sans accro ; mouvement lisse et fluide. Son menton dessine une courbe dans l’espace ; son regard passant de l’horizon au sien ; dans ses yeux couleur eau, le vide.
Silence.
Il n’ose baisser le regard, découvrir l’objet de son attention. La manche relevée de son kimono dévoile un poignet couleur nacre ; il frissonne.
Silence.
Adossé au mur de briques, le cadavre le nargue ; ses lèvres étirées e un sardonique sourire.
Silence.
Tatoué sur son poignet
Silence.
Les lèvres pincées, son corps s’étrécit soudain. Elle n’est plus qu’un visage émergeant d’un halo de blancheur ; son kimono s’est refermé sur elle. À pas menus, elle se recule, à moins que ce ne fût les murs qui s’éloignassent, l’entraînant dans leur sillage.
Silence.
La face ricanante, le masque du mort danse devant ses yeux. Dans sa poitrine, son cœur cesse de battre et son souffle devient autre.
Silence.
Il caresse du bout des doigts, la lame bleutée. À la surface, il devine son visage ; masque de bois peint. Dans sa main, la vision de sa figure lui renvoie l’écho de son ego dissous.
Silence.
Au fond de la pièce, un panneau de papier glisse, actionné par la marionnette humaine à au regard vide.
Silence.
De l’index, le corps étendu pointe l’infini.
Silence.
Centre de l’attention, point d’attraction des regards, il se sent devenir double ; il se sent devenir trouble. Une ombre s’agite sur le côté, à moins que ce ne fût son imagination. Un doigt posé sur les lèvres, elle se retire ; c’est à peine s’il perçoit le son de la feutrine sur le tatami.
Silence.
Posé sur le binkake, au levant du tentô, une boîte en bois de cèdre. Laquée, une main anonyme néanmoins habile y a incrusté de minuscules émaux, agencés en un singulier paysage ; au-dessus duquel volent des oies sauvages.
Silence.
Du bout des doigts, il en effleure la surface, mais suspend aussitôt son geste. Un homme lui fait face, maigre, le teint crayeux, ses lèvres ne sont qu’un trait écarlate dessiné à la hâte sur son visage. Tout sourire, sa main dextre, raide, se déploie. Tatoué au creux de la paume, une succession de traits pleins et de lignes brisées.
Silence.
Silence.
Son membre se referme cependant que sa main senestre s’ouvre lentement, semblable au papillon qui s’arrache à sa prison de chair.
Silence.
Le tatouage danse devant ses yeux.
Silence.
Dans sa poitrine, son cœur hoquette ; sous ses pieds, un gouffre s’ouvre et l’engloutit.
Silence.
Kagami sensei est là. En position du lotus, les paupières mi-closes, il semble absent. Silencieux, ses lèvres s’entrouvrent, mais aucun son n’en sort. Devant lui, une ombre, stoïque, se raidit, s’incline puis se retire.
Silence.
Agenouillé, le silence est devenu assourdissant. De silhouettes, ils sont devenus ombres. D’ombres, ils sont devenus impression.
Silence.
Sa main affermit son étreinte sur la garde, cependant qu’il pose la lame sur la nuque de bois.
Silence.
Il tremble. Toc fait son cœur arrêté. Toc fait son cœur repartit. Superposée à sa vision, une ombre sinistre aux orbites vides l’observe, cependant que le tentô entame la chair.
Silence.
Un sourire peint sur les lèvres, elle savoure la détresse, la terreur de son détenteur. La lame bute ; ce n’est plus une poupée de bois et de tissu, mais un être de chair et de matière.
Silence.
Sa main s’ouvre ; il ne peut accomplir le geste. Englué dans le temps, il contemple la chute ; de l’autre côté, quelqu’un se lève, le sabre au clair. Que peut-il faire ?
Silence.
La lame est tombée par terre avec un bruit clair. Dans sa paume, il a encore l’horrible sensation ; la mollesse, la tendresse… la tendresse de la chair et du sang.
Silence.
Sous ses yeux, la tête décapitée de la poupée kokeshi gît, inerte. Au creux de ses mains dépossédées, il sent encore le poids de sa faute, de sa honte.
Silence.
Perdu, les ténèbres l’engloutissent. Glacial, Kagemi sensei l’observe.
Silence.
Il est seul ; un sabre a tranché la tête de la poupée.
Silence.
*rupture
**kyouwa : harmonie
***kǎn : l’insondable
****zhōng fú : la vérité intérieure
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