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tome 1, Chapitre 2 « Somnium » tome 1, Chapitre 2

La porte coulissante du hangar se refermait sur nous dans un bruit d'abattoir, engloutissant la lueur matinale. Les contours de l'encadrement vomissaient encore de minces faisceaux de grisaille ; ils venaient peindre des traits sur les visages de mes camarades. Je les voyais tous autant qu'ils étaient, et ils me faisaient peur. Leur bouche disloquée pendait vers le vide. La sueur leur coulait dans les yeux. Leur respiration saccadée bouffait le silence.

Une poignée de poussière tourbillonnait à la lisière de l'ombre, juste sous notre nez. Quelqu'un s'avançait. Il était de taille moyenne, chauve, ses lunettes de soleil remontées sur son crâne brillant. Il portait un t-shirt gris sous une veste en jean sans manche et une longue barre de fer, posée contre son épaule droite. De la poche gauche de son pantalon dépassait le manche d'un couteau de cuisine. Il nous jaugea avec un petit sourire goguenard.

— Ma spécialité, à moi, c'est de couper les pieds, lâcha-t-il soudain.

Son visage devint impassible, neutre comme de la pierre. Il releva seulement son menton comme pour nous mettre au défi. Il se mit à donner des coups du plat de la main sur la barre cylindrique, feignant l'indécision.

— Alors, surtout, ne vous gênez pas pour hésiter.

Le sourire joueur revint sur ses lèvres. Il faisait les cent pas parmi nous.

Cette dernière phrase n'avait aucun sens à mes yeux. Cherchait-il quelque chose, croyait-il pouvoir nous soutirer des informations ? Je ne savais rien, je ne comprenais pas. Un froid polaire descendit progressivement sur moi.

L'homme me frôla en s'engageant dans nos rangs disparates. Nous étions de pauvres statues frêles et brûlantes de fièvre, des pions disposés sur un échiquier en attente d'être brisés puis jetés sur le côté. Au fond de moi je le pressentais. Le tintement grave de la barre résonnait quelque part derrière-moi et m'assaillait les tympans. Sous la sueur je tentai de localiser le monstre, de reproduire son cheminement parmi nous. Je percevais le bruit caressant de ses pas sur le sol. Toujours derrière. Quelque part. J'étais raide, tétanisée, le moindre de mes muscles tendu et paralysé de peur. Je ne pouvais pas bouger.

Soudain, un vieillard à mes côtés s'affaissa au sol, dans un soupir. Un filet rouge glissa sur le col de sa chemise couleur neige, et jusque dans ses cheveux où il avait passé ses doigts, dans un soubresaut, avant de tomber immobile.

Je n'avais rien vu, rien entendu. Mais je savais que c'était lui, l'homme à la barre de fer, c'était sa main qui avait frappé. Je ne pris pas la peine de me pencher. Le vieux était mort, mort, dans le silence le plus complet.

Alors l'homme dégaina son lourd couteau et se précipita sur une fille choisie au hasard, jeune, la maintenant plaquée sous lui par les épaules. Ils tombèrent par terre. Tout le monde se recula contre les murs et dans les moindres recoins, le suppliant, lui criant d'avoir pitié. Mais trop tard.

Je tombai en arrière sous le coup de l'horreur, alors que l'assassin aux mains rouges marchait à pas mesurés vers moi, en riant, couvrant le bruit des cris et des pleurs autour de lui. Il ne faut pas rester ici, pensai-je à toute allure, à peine consciente de l'agitation et du vacarme ambiants. Il ne faut pas…

Je m'étais mise à hoqueter, à hurler, implorer. L'assassin avançait toujours, imperturbable. Bientôt quelqu'un se précipita vers lui. L'un des nôtres, un homme qui pleurait à larmes chaudes et nerveuses. Il serrait une grosse pierre dans sa main. Je savais ce qui allait se passer. Il fallait faire l'effort surhumain de détourner le regard, vite, de ne plus voir ce qu'il y avait juste devant moi.

Il faut… il faut que…

L'homme armé pleurait toujours. Il donna un grand coup de pierre sur le crâne lisse du meurtrier. Un geyser de sang épais s'éleva dans l'air et m'éclaboussa la joue.

Tout s'éteignit dans un bruit sourd et mat.

Il faut que je me réveille…

Elle ouvrit les yeux. Le visage à moitié mangé par l'oreiller et une narine agglutinée, sa respiration sifflait à n'en plus finir. La tête lui tournait lorsqu'elle se redressa pour reprendre son souffle. Elle vacilla d'avant en arrière afin de pouvoir se stabiliser.

Il était une heure vingt-cinq, son réveil projetait l'heure contre le mur. En observant la fenêtre elle remarqua, avec une pointe de surprise encore diffuse entre sommeil et réalité, qu'elle avait laissé les volets ouverts la veille, et la fenêtre pas tout à fait fermée. Elle ne s'en souvenait plus. Dans l'espoir d'attirer ne serait-ce qu'une petite brise, peut-être ? Malheureusement elle n'avait attiré que les insectes.

Et les cauchemars.

Son cœur semblait avoir pris un ascenseur jusqu'à ses tempes et cognait, cognait à tout rompre, déformant sa vision par à-coups. Elle chercha l'interrupteur de sa lampe de chevet à tâtons. Elle n'en pouvait plus de rester dans l'obscurité, et tendit le bras – sans tout de suite remarquer la lourdeur qui le ralentissait.

Le clic libérateur jeta un cercle de lumière jaune autour d'elle, donnant un aspect incertain à la teinte de la peinture murale. Elle s'autorisa à respirer pleinement. Même si l'air n'avait rien de rafraîchissant... c'était mieux que rien.

Voilà des lustres qu'elle n'avait plus fait de cauchemar si effrayant… non. Pour faire bonne mesure elle voulut repousser son drap. Une curieuse pression la retint au niveau des avant-bras. Et de la nuque. Intriguée, elle baissa les yeux. De longs fils à la texture froide étaient enroulés sur sa peau et la serraient au point de la blanchir par endroits.

Elle tenta d'agripper ces curieux tubes, qui lui faisaient mal, pour les arracher.

— Négatif, fit soudain une voix qui semblait tomber du plafond, ou bien remonter des profondeurs.

Elle sursauta et tomba de sa couche avec un cri de surprise et de douleur pures. Où était-elle ? Rêvait-elle encore ? Elle n'eut pas le temps de se relever qu'un singulier crépitement rampa le long des murs.

— Incube, reprit le timbre sonore et profondément masculin de la voix.

Le crépitement disparut.

Elle essaya de tourner la tête. Mais deux mains puissantes et recourbées telles des pattes d'araignées s'étaient soudain emparées de ses mâchoires. Elles creusaient la peau de ses joues en la tirant brutalement vers le haut. Un bruit métallique rugit sous elle ; quelque chose qui s'effondrait. Des éclats de voix atténués furent jetés à travers l'air comme une poignée d'échardes.

Elle se retrouva à genoux en train de suffoquer, une main plaquée contre la bouche. Elle ne put pratiquement rien voir de son agresseur. Il n'y avait qu'un petit détail, dont elle se souviendrait longtemps : il avait le bout des doigts recouvert d'un bandage sale.

L'être qui la tenait grogna sous la résistance qu'elle opposait. Elle aperçut la ligne effilée et brillante d'une aiguille de seringue. Elle hurla le plus fort qu'elle put, espérant traverser la paroi de chair et d'os qui lui obstruait maintenant la gorge toute entière. L'aiguille pénétra son cou.

Elle se tut dans un soupir et tomba évanouie.


Texte publié par Jamreo, 19 janvier 2014 à 12h23
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