Avant de dormir, une infirmière revient m'ausculter. Elle m'explique également que la lumière se ferme automatiquement à vingt-et-une heures et qu'elle s'allume le lendemain matin à huit heures précise. Je la questionne sur la suite des événements mais elle est « dans l'incapacité de répondre à mes questions », pour reprendre ses mots. Un petit coup d'œil à côté me fait remarquer qu'il se passe la même chose pour Alexandre comme si tout devait se passer de manière identique et symétrique pour nous deux. Une petite table de chevet est installée simultanément à côté de nos lits avec un réveil et une bouteille d'eau. Il est précisément vingt heures. Plus qu'une heure avant l'extinction des feux.

Comme des enfants lors d'une veillée, nous nous asseyons en tailleur face à face, toujours séparé par ce mur presque invisible. Nous comparons nos blessures de guerre aux bras. Alexandre écrit alors sur la vitre les mots « super-héros ? ». Je réponds alors de ce signe corporel qui signifie « pourquoi pas » puis nous rions. J'en oublie même le contexte de notre présence ici, comme si nos échanges étaient dû à une rencontre tout à fait hasardeuse lors d'une soirée organisé par un ami commun. Plutôt étrange comme sensation pour quelqu'un comme moi qui n'aime pas beaucoup échanger avec des inconnus, du moins, pas aussi facilement. Mais je vois sur le visage d'Alexandre, une gentillesse naturelle et je sais qu'il sera le seul sur lequel je pourrai compter si cela devait mal tourner. J'espère qu'on pourra très vite réellement se rencontrer.

Nous restons un moment là, sans vraiment rien se dire, juste en tant que présence pour l'autre. J'aperçois l'heure dans sa chambre. Plus que dix minutes. L'heure la plus courte de ma vie. J'ai envie de rester encore un peu, je ne veux pas dormir maintenant. J'aimerais passer la nuit à faire semblant de discuter avec Alexandre. Au moins discuter avec les yeux, ce que nous faisons très bien depuis tout à l'heure. Son regard dit tellement de chose à la fois : « n'ai pas peur », « je suis là », « tu veux bien aller boire un verre avec moi ? ». Il me rassure. J'ai même pensé à un moment que je n'aimerais jamais entendre sa voix pour ne pas être déçue par des mots. Son regard me suffit. Plus que trois minutes. Il pose sa main sur la vitre puis je superpose la mienne sur la sienne. « Bonne nuit » disaient nos lèvres et « Restes encore un peu » disaient nos cœurs. Avec la même intention, nous déplaçons nos lits de sorte à ce qu'ils soient parallèles. Une fois sous les couvertures, j'ai à peine eu le temps de le regarder une dernière fois que la lumière s'éteint.

L'obscurité est de retour mais mon sourire ne s'efface pas. Demain quand j'ouvrirai les yeux, il sera là. Je me mets alors à repenser à cette capacité que l'on a à dialoguer sans parler. Moi qui rêve de devenir ténor du barreau, j'ai surtout l'habitude de la grande éloquence et je ne connais pas toutes les significations du dialogue corporel. Mais Alexandre, j'arrive à le comprendre. Peut-être parce que je sais que je n'ai pas d'autre choix. Or, je sens que c'est spécial. J'ai pour habitude d'associer les moments de ma vie à la musique. Les paroles d'une chanson me viennent alors : «Dans chacun de ses gestes un aveu, un secret dans chaque attitude», Tout était dit de Jean-Jacques Goldman. Je l'ai chanté lors de notre premier concert avec le groupe. Je me mets alors à la chuchoter et je finis par m'endormir au rythme de cette mélodie qui berce mon âme.