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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Enfin, mon « apprêtage » avait pris fin. Je trépignais d'impatience car j'avais de nombreux sujets de conversations, certains capitaux, à aborder avec mon prince. Malgré ces affaires urgentes, dans une vanité purement terrestre, j'admirais une ultime fois mon reflet.

Amélie avait fait des merveilles. Je savais que les humains en étaient capables mais aujourd'hui j'en témoignais réellement. Elle m'avait enveloppé d'une étoffe vaporeuse d'un vert profond, d'un vert qui me rappelait une étendue de conifères. Amélia venait de m'offrir un présent inestimable : celui d'arborer des couleurs. Plus encore ! Grâce à elle, mon apparence me semblait plus facile à accepter, moins fade, moins étrange. Par le moyen d'une natte soignée et parée de quelques perles émeraudes, d'une jolie robe et d'un peu de rose aux joues, ma dame de compagnie m'avait apporté quelque-chose de précieux : de l'assurance. Je me sentais plus puissante, plus en contrôle de ma nouvelle image. Et face aux nombreux défis qui m'attendaient, cela n'avait pas de prix.

Je me tournai vers mon amie qui attendait avec une excitation peu contenue mon verdict. Pour réponse, je jetai mes bras autour d'elle et la serrai contre mon cœur.

- Vous êtres fin prête pour affronter le roi et la cour, ma Dame, murmura-t-elle contre mon oreille. Mais, s'il-vous-plaît... restez sur vos gardes !

- Soen ?

Je sentis la vieille femme tressaillir contre moi, et instinctivement, j'augmentai la pression de mon étreinte. Pourtant, un instant plus tard, je reconnus la personne qui m'avait appelé et comment ne l'aurais-je pu ? Mon lien chantait haut et fort enfin nous voilà réunis enfin te revoilà.

- Neven ! M'exclamai-je joyeusement.

Je me précipitai vers lui, prête à l'embrasser lui aussi car après tout il faisait partie des miens, pourtant j'interrompis mon mouvement. Ses traits tirés, ses cernes profondes et son regard sombre me dissuadèrent de toute approche, au contraire, je me mis immédiatement sur mes gardes. Mon prince était nerveux, préoccupé.

- Est-ce que tout va bien ? Demandai-je avec précaution.

- Soen, soupira-t-il, aujourd'hui, tu vas rencontrer mon père, le roi.

Je clignai des paupières. Je ne compris pas pourquoi le fait que je rencontre une personne de sa famille, un des parents qui avait une si grande importance dans sa vie, puisse le mettre dans un tel état.

- Je sais, et cela me réjouit, Neven.

Son rire amer écorcha ma peau. Un mauvais pressentiment me tordit les entrailles, cela fit naître ma colère. J'étais une étoile ! Un être évoluant dans une autre dimension, constitué d'énergie pure et éternelle, aux pouvoirs incommensurables ! Je détenais la capacité de modifier mon essence pour prendre forme humaine, de visiter chaque monde parallèle de l'univers, et d'ailleurs j'en avais traversé un nombre incalculable lors de ma Chute... Pourtant, dans cette prison de chair, je devenais aussi inoffensive que de la poussière d'astre. Et je haïssais ce sentiment, cette horrible vulnérabilité.

- Voyons, mon Prince, ne soyez pas si pessimiste, vous allez effrayer Dame Soen, reprocha Amélia.

Un éclair indéfinissable éclaira les prunelles de mon protégé, si bref que je ne pus nommer l'émotion. Sa bouche s'étira en un rictus, une grotesque imitation de son sourire solaire.

- Bien entendu, toutes mes excuses.

Les coins de ses lèvres se soulevèrent un peu plus alors que son esprit se retirait loin, très loin, dans un coin barricadé de sa conscience. Je le voyais dans ses yeux car les étoiles d'or qui les parsemaient s'éteignaient les unes après les autres.

- Allons-y, Soen.

Je pris une profonde inspiration et, déterminée, je passai mon bras dans le sien. Le premier pas fut le plus dur, les autres parcourus naturellement. Je refusais de me laisser intimider par des titres prestigieux qui, en réalité, ne signifiaient rien.

Le silence pesait lourd, égoïstement j'aurais aimé qu'il m'offre une parole réconfortante pour me mettre à l'aise, voire même qu'il me complimente sur mon apparence... Après tout, je n'étais pas obligée de faire tous ces efforts pour m'adapter aux humains. Tout cela, c'était pour lui, pour me faire pardonner ma défection involontaire.

J'étais une jeune étoile appartenant à une jeune constellation, donc pas aussi expérimentée que certaines de mes sœurs. Ma décision de venir sur les terres de Valandil ne fut pas anodine. Cela avait été ma toute première Chute. Mes souvenirs fragmentés me permettaient de conclure que je m'étais perdue dans la multitude de mondes à ma portée, j'avais tracé des sillons de feu et de glace dans des cieux étranges, superbes, terrifiants... Mais qui n'étaient que des détours, distractions de ma véritable destination. Résultat : vingt ans de retard. Une éternité pour un humain, et encore plus pour un enfant qui m'attendait avec impatience.

Malgré tout cela, l'important était que désormais je me trouvais à ses côtés. Et pour m'arracher à lui, il faudrait m'affronter... Lorsque menacée, une étoile pouvait produire une énergie destructrice. Je déconseillais fortement quiconque tenterait de faire de moi une ennemie. Même si je me sentais vulnérable actuellement, je savais que très vite je trouverai mes repères.

Neven était mon protégé, mon lié, et je ne souhaitais qu'avoir l 'occasion de lui offrir tout l'amour maternel dont il avait manqué. Pour cela, il fallait déjà qu'il m'autorise à franchir les barrières épaisses autour de son cœur. Je ne pouvais pas lui reprocher de se protéger ainsi mais il était vital pour notre relation future qu'il réalise que rien de tout ce cirque n'était réellement de ma faute.

Je ne pourrais pas porter le fardeau de cette triste erreur pour le restant de mon existence.

Je l'observai du coin de l'œil, attristée par ses traits sévères. Je ravalai un soupir de dépit. Je devais m'armer de patience et entreprendre la laborieuse tâche de l'apprivoiser. Un jour à la fois. Je ne comptais pas le quitter de sitôt.

Nous avions arpenté une enfilade de couloirs magnifiquement ornés lorsque trois personnes nous joignirent. Immédiatement je me souvins d'eux, particulièrement de la femme. Cyan, si ma mémoire ne me trompait pas. Elle n'avait pas changé d'un iota, je me demandais même si elle s'était changée car elle portait les mêmes vêtements poussiéreux de la veille.

Ses compagnons, eux, avaient fait un effort vestimentaire : Elijah arborait une armure rutilante, sa barbe grisonnante soigneusement taillé. Malheureusement il devait s'être aspergé de parfum, ce qui me provoqua un haut-le-cœur. Lazuli, qui dégageait un charisme surprenant dans sa combinaison de cuir noir, plissa le nez et éternua.

Cela n'échappa pas à l'attention de Neven même s'il continua de marcher à grandes foulées.

- Bon sang, Elijah ! Tu t'es roulé dans un champs de driilas ? Demanda-t-il, écœuré.

Le colosse changea de teinte, vira au rouge soutenu. Je m'enchantais toujours de cette réaction traduisant l'embarras parce que j'adorais la couleur. Je le dévisageais avec fascination et comptais sur mon prince pour qu'il me guide et m'écarte de tous obstacles.

- Driilas ? Chuchotai-je à Lazuli qui marchait à mes côtés.

- Une petit fleur très répandue dans la région.

Je hochai la tête, reconnaissante. J'avais tellement à apprendre....

Cyan se rapprocha d'Elijah pour le renifler de plus près, je retins un sourire. Le pauvre, même le bout de ses oreilles devenait écarlate.

- Elijah, mon très cher général... susurra Cyan d'un ton légèrement maléfique. Ne serait-ce pas le parfum d'Anathéa, à tout hasard ?

Hum. Désormais, le géant possédait des touches de mauve... Je n'étais pas sûre que cela soit bon signe. Le pas de Neven ralentit sensiblement, il tourna une tête incrédule vers son ami.

- Anathéa ? Celle à qui tu as juré de ne plus adresser la parole ? L'Anathéa que tu as livré à la milice pour racolage public ?

- Elle m'avait contrariée, marmonna l'homme plus âgé.

La conversation me dépassait complètement, pourtant les gloussements à peine réprimés de Cyan m'apprirent qu'il y avait matière à rire. L'expression seule d'Elijah était hilarante.

- Tu ne peux pas arrêter des citoyens d'Ondétoile seulement parce que leurs plaisanteries te vexent, s'exaspéra Neven.

- Des plaisanteries ? J'aurais dû l'inculper d'outrage à noblesse !

- Elijah... Elle t'a simplement demandé si ton poids provoquait des douleurs dorsales à Zinuda. Pas de quoi la jeter aux cachots durant trois jours.

Je m'étranglai presque avec ma salive, tentant désespérément de contrôler mon rire alors que les deux hommes se chamaillaient, oublieux du reste du monde.

J'aimais voir mon protégé ainsi, avec cette lueur de malice qui faisait briller son regard. Je le préférais largement ainsi que lorsqu'il paraissait porter tout le poids de l'univers sur ses épaules. C'était comme ça qu'il devait être : insouciant, heureux...

- Elle l'avait mérité!

L'éclat de voix me ramena à la réalité. Elijah, maintenant presque bleu, agitait bras et mains dans tous les sens, passablement outré.

Adossée au mur, Cyan me fit un clin d'œil. Je m'approchai d'elle discrètement.

- Que signifie « racolage public » ? lui demandai-je tout bas.

Elle pouffa, sa cicatrice se tordant légèrement. Mon attention s'égara : je me demandais vraiment qui avais pu commettre une telle horreur à son égard... Peut-être un jour rassemblerai-je assez de courage pour la questionner à ce sujet.

- Du racolage, c'est quelqu'un qui vend ses charmes, qui offre des relations intimes en échange de l'argent.

- Oh.

J'en étais sûre, mes joues devaient sans aucun doute se parer du rouge que j'aimais tant.

- C'est ce qu'elle faisait ?

Cyan éclata de rire, un rire énorme qui emportait tout sur son passage, totalement surprenant de la part d'une si petite femme. Je ne pus m'empêcher de glousser.

- Cela fait des années qu'ils flirtent de cette manière. Plus ils sont perfides envers l'autre, plus cela montre la profondeur de leur attachement, apparemment.

Elle me fit signe de me rapprocher d'elle, je m'abaissai pour être à sa hauteur car notre différence de taille était considérable, et elle chuchota à mon oreille :

- Lazuli et moi avons un pari en cours depuis des années... Il vote que Eli craquera le premier pour enfin la demander en mariage ; moi je suis sûre que Anathéa prendra les devants.

Cela suffit pour que notre rire reprenne. Rire... Je me demandais comment pourrai-je décrire cette sensation merveilleuse à mes sœurs. Peut-être comme les frémissements d'une pluie d'étoiles filantes à travers le cosmos...

Un raclement de gorge brisa notre moment de camaraderie. Neven nous observait, un sourire franc aux lèvres, et un nœud dans ma poitrine se desserra.

- On ne vous dérange pas trop ? Se moqua t-il gentiment.

Elijah, lui, nous foudroya du regard, mais il cachait mal son amusement. Les fines lignes autour de sa bouche le trahissaient.

- Ne me jugez pas !

- Loin de moi cette idée, ricana Cyan.

J'aimais ce groupe d'amis, vraiment. Le verbe « aimer » me frustrait beaucoup car je le trouvais trop simple pour décrire ce jaillissement d'émotions qui m'emplissait. Dans ma forme antérieure cela aurait été si simple...

Spectacle de lumières d'une multitude

Ouverture vers l'infini

Onde pure partagée

Unité

Une douce caresse sur mon bras me fit sortir d'une bribe de ma mémoire. Le prince me scrutait avec tendresse, nettement plus détendu que tout à l'heure.

- Je suis heureux que tu sois là. Je ne te l'ai pas dit mais tu es magnifique. Cette robe te sied à merveille.

Sa déclaration me toucha au cœur, je portai une main à celui-ci pour le lui faire comprendre. Le lien ondoya entre nous, presque omniprésent.

- Voici donc l'objet de votre insolence et désobéissance, Votre Altesse.

Neven se tendit comme un arc et je l'imitai. Un homme se tenait devant nous, très maigre et moustachu, nous observant avec un mépris infini. Le noyau d'énergie au creux de mon être frémit.

- Gérarht, cracha presque mon prince. Lorsque j'aurais besoin de ton avis concernant mes affaires privées, je veillerai à te consulter. En attendant, hors de ma vue !

Absolument pas intimidé, l'homme avança d'un pas menaçant, presque nez à nez avec mon protégé, et mon essence s'agita.

- Sa Majesté vous a prohibé de partir à la recherche de cette abomination. Il vous a formellement interdit de même aborder le sujet en sa présence, et ce depuis votre petite enfance.

Gérarht brandit un doigt accusateur.

- Et lorsque l'entièreté de Valandil témoigne de la Chute d'une étoile, quelle est votre première action ? Persifla t-il. Trahir votre propre père ! Bafouer chacune des règles qu'il s'est efforcé de faire rentrer dans votre cervelle creuse !

Je peinais à respirer tant la pression à l'intérieur de mon corps prenait de l'ampleur et de la puissance. Neven découvrit ses dents en un sourire sanguinaire.

- Hors de ma vue, répéta-t-il. Crois-moi, tu ne souhaites pas que je demande à Lazuli de s'occuper de toi.

Ce dernier curait ses ongles distraitement avec la lame d'un poignard sortit de nulle part. Elijah, pour sa part, chantonnait tout bas une chanson dont les paroles ressemblaient suspicieusement à « tuez la bête, coupez sa tête, hachez ce qui reste » ou quelque-chose dans le même registre. Cela n'augurait rien de bon surtout lorsque je remarquai la façon dont Cyan le mesurait du regard, comme pour évaluer un gibier de choix.

Pour sa défense, Gérarht ne broncha pas. Au contraire, il ricana avec dédain.

- Vous êtes une déception pour ce royaume, Neven. Un moins-que-rien qui a tué sa propre mère, un lâche indigne de régn-...

Le poing de Neven s'écrasa sur le visage du serpent qui répandait son venin et le sang jaillit. Le blessé s'écroula mais le prince enroula ses doigts autour de son cou, le plaqua contre le mur. Un gémissement de douleur lui échappa.

- Ne t'avise plus jamais de parler de ma mère, articula Neven d'une voix blanche. Tu n'es qu'un sycophante de mon père, facilement mis au rebut si l'envie m'en prend. Et en ce moment, j'en ai vraiment très envie.

- Mais je vous en prie, faite donc cela, gargouilla Gérarht. J'ai hâte d'être témoin de la réaction de votre père...

- Cela suffit, murmurai-je.

Ces mots qui sortaient de sa bouche comme des flèches enflammées étaient destinés à Neven, pourtant c'est dans mon cœur qu'elles fichaient leur pointe acérée. Pourquoi les humains ressentaient tellement de haine et de mépris au point de se consumer eux-même ?

Je tirai délicatement sur le lien qui m'unissait à Neven, tentai de l'amadouer, et il relâcha sa proie à contrecœur.

- Pour la dernière fois : hors de ma vue. Je dois voir le roi.

Gérarht, qui massait sa gorge où un bleu se formait déjà, toussota. D'un revers de la main, il essuya le sang qui maculait son visage et sourit avec malveillance.

- Bien entendu. Je ne voudrais manquer cela pour rien au mon-...

Un poignard se ficha à une respiration de son oreille, la lame vibrant légèrement sous la puissance du choc.

- Oups, annonça Lazuli d'un ton transpirant l'ennui.

Gérarht perdit toute couleur, devint blanc comme la neige.

- Bien, je vais vous l-laisser vaquer à v-vos occup-pations, bredouilla-t-il.

L'homme prit presque ses jambes à son cou mais je ne suivis pas sa fuite. J'étais trop occupée à dévisager Lazuli, la bouche ouverte. Un frisson me parcourut lorsque je croisai son regard froid. D'un mouvement fluide qui trahissait une grande pratique, il récupéra son arme et la fit disparaître habilement dans sa botte. Je ne pouvais pas décrocher mon attention de lui, je n'étais pas stupide au point d'offrir mon dos vulnérable à un prédateur.

Il me sembla que l'espace d'un clignement de paupières mes doigts s'illuminèrent dangereusement.

- Un jour, je trancherai la tête à cet ordure, articula Neven.

Je me tournai vivement vers lui. Il était parfaitement sérieux et cela m'ébranla profondément. Non, il ne pouvait pas être sanguinaire à ce point, il était mon protégé, qui était cet homme ? Face à cette pensée, je me secouais mentalement. Qui étais-je pour le juger, je ne le connaissais même pas !

- Neven...

Je ne sais pas ce que je voulais lui dire mais ma voix transpirait l'hésitation par son tremblement. Il me dévisagea, dût certainement constater mon choc face à ses paroles et son comportement violent, contraire à tout ce à quoi j'avais toujours connu.

Sa main vint effleurer gentiment la courbe de ma joue et je m'interdis de reculer.

- Ne préoccupe pas ta jolie tête avec ce qui vient de se passer, Soen. C'était sans importance.

J'ouvris la bouche pour protester, cela m'avait semblé au contraire être plutôt important, mais ses prunelles se durcirent devant ma tentative de rébellion. Mes mâchoires se refermèrent dans un claquement audible.

- Bien.

Sans autre commentaire il reprit sa marche, et un pas derrière lui, la tête baissée, je le suivis silencieusement.

De la bonne humeur qui avait régné quelques minutes auparavant, il ne restait rien.


Texte publié par Aileba, 10 mai 2020 à 16h04
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