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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

Lorsque j'ouvris les yeux pour la première fois, le monde était blanc et froid.

Un paysage saupoudré de neige m'entourait jusqu'à perte de vue, parsemé de quelques arbres rachitiques et gris. Un vent glacial tempêtait en hurlant une question lancinante dont j'ignorais la réponse.

Qui es-tu ? D'où viens-tu, étrangère ?

Je fouillai dans les éclats éparpillés de ma mémoire, en vain. Toutes mes tentatives pour saisir l'un d'entre eux se soldaient par un échec, me laissant impuissante face à cette mosaïque inatteignable. Des instincts familiers mais oubliés me répétaient que je n'appartenais pas à cet endroit, que ma présence ici était une aberration et que j'étais seule, isolée dans un univers dangereux et inhospitalier.

Un sanglot de détresse m'échappa, résonna dans le silence sépulcral et la seule réponse que j'obtins fut le hurlement lointain d'un loup. Son hantise tristesse résonna dans mon être et mon cœur vibra d'un identique chant de pertes et de lamentations.

Un frisson parcourut mon enveloppe de chair, lourde et grossière comparée à ma forme antérieure, et... Ceci ne pouvait pas être mon corps. Non, il y avait erreur car moi j'étais... moi, j'étais...

Dans mon esprit morcelé, un éclair de lucidité.

Il fut un temps où j'étais lumière incandescente,

Il fut un temps où j'étais énergie pure.

Jadis, je fus étoile.

Car moi, j'étais étoile. J'appartenais au ciel nocturne, à l'apesanteur d'une étendue de ténèbres immortelles et à l'harmonie muette de mes sœurs chatoyantes. Non pas au sol dur, à l'atmosphère écrasante et au chaos ambiant.

La panique m'envahit, devint omniprésente, et elle était si forte qu'elle m'empêcha de respirer, m'obligeant à porter une main à ma gorge où se trouvait ce nœud qui bloquait mon air. Des larmes chaudes s'échappèrent de mes yeux, gouttèrent sur mes tempes et disparurent dans ma chevelure tandis que je restais là, étendue sur une terre solide et inconnue. Je ne sais combien de temps je restai allongée, assez pour que mes larmes gèlent et deviennent perles de givre. Assez pour que mon chagrin s'écoule, pour que le deuil d'une existence oubliée s'apaise et pour que la raison me revienne.

Dans un soupir las, je fis mouvoir ces membres qui, malgré leur étrangeté, m'appartenaient à un niveau des plus primaires. Tout d'abord, je contractai les muscles de mon ventre et poussai sur mes mains et je me retrouvai soudainement assise. Un vertige me saisit puis disparut rapidement. J'observai ce corps nu d'une pâleur luminescente, intriguée par ses lignes, ses courbes et ses angles. Des traces de terre et de poussière, qui provenaient sans doute du petit cratère créé par ma Chute, parsemaient ma peau et j'admirais le contraste de texture et de couleur. Décidant de me mettre debout, je bougeai cette fois mes jambes puis mes bras puis l'entièreté de cette forme étrange qui me laissait ébahie face à un tel mélange de complexité et de fluidité, émerveillée de découvrir sa puissance cachée.

Vacillante, je restai immobile quelques instants pour essayer de retrouver mon équilibre, ce que je fis instinctivement. J'avançai d'un pas maladroit qui manqua de me précipiter au sol. Les dents serrées par l'effort et la concentration, je m'entraînai à marcher en rond jusqu'à ce que ma démarche me paraisse assurée. Pourtant, mes genoux rencontrèrent le sol violemment un instant plus tard alors que j'essayais de gravir le talus.

La douleur était une expérience des plus désagréables, découvris-je. Elle me tira immédiatement une larme et un glapissement surprenant. Ma peau était écorchée au point d'impact et une substance chaude d'une couleur vive coulait jusqu'à ma cheville. Du sang, me rappelai-je en apportant une goutte sur ma langue. Immédiatement, je sentis mon visage se tordre en une grimace. Le goût était ferreux et douceâtre, en un mot : écœurant. En revanche, le rouge, je le trouvai magnifique. Dans un panorama tricolore : blanc, brun et gris, c'était une nuance unique et nouvelle.

N'ayant nulle part où aller, une mémoire effacée, j'hésitais quand à la suite de mes actions. Que pouvais-je faire à part continuer ma route jusqu'à rencontrer une âme charitable ? Une fois encore, la panique tenta de me submerger, mais je la repoussai fermement.

Je ne céderais pas à la peur mais surmonterais chaque épreuve sur mon chemin, car même si je me trouvais enveloppée de chair, mon essence restait étoile.

J'étais étoile, alors pure, puissante et séculaire.

Et, je le décidais, ma lumière allait illuminer le monde des hommes.

*

Le premier jour de mon voyage, ma détermination brûla haut et fort. Le froid me parut aussi glacial que le vide entre les astres mais j'étais résistante, sans doute plus qu'un humain typique.

Je traversai vastes plaines et douces collines. Je franchis ruisseaux et contournai un lac.

Lorsque le ciel se para de mauve, d'or et de feu, sa beauté flamboyante pansa mon cœur solitaire.

Lorsque le ciel se para de diamants étincelants, son inaccessibilité fendit mon cœur solitaire.

Cette nuit-là, je pleurai sous le regard lointain de mes sœurs.

*

Le deuxième jour de mon voyage, la peine pesa lourd sur ma poitrine. Le froid fut un compagnon bienvenu, reflet de mon état d'esprit et de mon chagrin.

J'observai longtemps la lisière épaisse d'une forêt dont je ne voyais pas la fin, et dans un soupir, j'y pénétrai.

Je frôlai des arbres si noueux qu'ils semblaient avoir vu le commencement du monde. Même si le silence régnait dans les bois, il regorgeait de bruits et c'était une contradiction des plus étonnantes. Le son de mes pas sur la neige, le vent qui mugissait, le grattement d'un rongeur invisible... L'ensemble formait une mélodie à l'écho sauvage qui résonnait dans mon cœur.

Cette nuit-là, je m'endormis le fantôme d'un sourire sur les lèvres.

*

Le troisième jour de mon voyage, la faim tenailla vicieusement mon estomac. Le froid fut présent, et je commençai à croire qu'il le serait toujours.

La forêt était dense, un véritable labyrinthe de végétaux. Le ciel restait d'un gris morne.

J'appréciais les odeurs, concept nouveau dont je me délectais. Un ensemble de frais revigorant, d'apesanteur et de brillance m'emplissait les poumons, bouquet de senteurs à l'image des bois.

Je grignotai une plante spongieuse dans l'espoir qu'elle comble mon appétit.

Cette nuit-là, je la passai prises de terribles vomissements.

*

Le quatrième jour de mon voyage, je ne connus que la souffrance. Des décharges douloureuses parcouraient mes membres, un étau enserrait mes tempes, des nausées brûlaient ma trachée et ma vision était troublée.

Vers midi, mes jambes me lâchèrent, et j'observai passivement les heures défiler.

Le soleil m'offrit quelques timides rayons, et en réponse, le scintillement de ma peau s'affirma, se reflétant sur neige et glace, qui en retour, me renvoyèrent mon propre éclat.

L'espace d'une poignée de respirations, je devins le centre d'un univers de lumière.

Cette nuit-là, mon sommeil fut profond et réparateur.

*

Le cinquième jour de mon voyage, le soulagement se retrouva dans la grâce de mes mouvements. Le froid ne m'atteignait plus et la faim, bien que présente, facilement ignorée.

Le ciel d'un bleu tendre était un baume pour mon âme et le soleil réchauffait agréablement mon épiderme.

Je trouvai finalement de la beauté dans la forêt. Ce qui m'avait semblé n'être qu'un amas de végétaux morts et rabougris devenait émouvant dans son dépouillement, les branches des arbres rehaussées par la multitude de stalactites accrochant les timides rayons du soleil. Ce monde qui me paraissait hostile quelques jours plus tôt m'offrait désormais un cadeau bouleversant de charme et de pureté et tout doucement, je me mis à l'aimer.

Cette nuit-là, pour la première fois, je rêvai.

*

Le sixième jour de mon voyage, le découragement me guetta. Même si le froid s'était adouci et que les bois semblaient plus verts et accueillants, la solitude m'étreignit une fois de plus.

Le ciel redevenu gris morose pleurait des flocons de neige ressemblant à des fleurs de givre, chacun unique et d'une délicatesse exquise.

Je me demandais pourquoi avoir quitté le velours de l'espace pour arpenter ces terres désertes. Durant mes longues heures de marche quelques réminiscences fugaces avaient daigné refaire surface des confins de mon esprit. Je me rappelais désormais une partie de ma Chute : les différentes dimensions que j'avais visitées, dont une où les étoiles n'étaient que des corps célestes sans conscience. Cette dimension, je l'avais traversée à la vitesse de la lumière, mon essence frissonnant face à ce tombeau désolant.

Mes sœurs me manquaient cruellement, surtout mes étoiles-jumelles qui constituaient ma constellation, celles dont j'étais incapable de me souvenir et que je ne parvenais pas à repérer dans l'obscurité chatoyante.

Cette nuit-là, je ne dormis pas, les yeux rivés sur elles.

*

Le septième jour de mon voyage, ma colère rugit. Le froid fut un lointain désagrément, noyé dans mon sang bouillonnant et mes foulées rageuses.

L'orage grondait.

Au détour d'un bosquet, je tombai nez-à-nez avec une louve. Les poils hérissés et les crocs découverts, elle eut un grognement rauque qui me prévenait de ne pas avancer plus. Derrière elle, trois petits louveteaux tremblants. Moi aussi, je retroussai ma lèvre supérieure sur mes dents et grondai pour la mettre en garde.

J'étais étoile, j'étais sauvage, j'étais prédatrice.

Je continuai ma route et elle poursuivit la sienne, pacifiquement. Je comprenais son besoin de protéger ses petits car moi aussi je...

Veille sur mon garçon.

Un morceau du puzzle venait de rejoindre sa place. J'étais ici-bas parce qu'un jour une femme, importante et chérie mais oubliée, m'avait demandé de l'aide. Une supplication si vibrante qu'elle avait ébranlé les fondations de mon être et que j'avais décidé de quitter le firmament pour le monde des hommes.

Mon existence trouvait enfin un but.

Cette nuit-là, j'écoutai le chant farouche et mélancolique des loups.

*

Le huitième jour de mon voyage, l'épuisement alourdit mon organisme. Le froid engourdissait mes extrémités, ma marche rendue lente et pataude.

Le vent me fouettait et sifflait, emportant dans une folle farandole des tourbillons de neige glacée. La tempête menaçait.

Un désir de vivre provenant de mes tripes me poussait à avancer, à ne pas m'arrêter. Mes muscles criaient grâce, mais je m'entêtais, me relevant chaque fois que je tombais. Dans le lieu secret de mon cœur, je souhaitais qu'une main tendue, une main amie, me vienne en aide et me trouve enfin, que je ne sois plus jamais seule.

Soudainement dans mon esprit, une présence étrangère. Une sensation indéfinissable de familiarité qui...

Fuis !

La voix retentit dans ma tête avec la force d'une supernova, me faisant tomber violemment, la respiration coupée.

Cache-toi !

La même voix féminine, moins forte mais tout aussi impérieuse. Indécise, ne sachant que faire ou que demander, ma fatigue décida pour moi.

Je perdis connaissance.

*

Le neuvième jour de mon voyage, ou était-ce le dixième ? Je ne savais combien de temps était passé. Ce sens primaire m'encourageait à ne pas cesser de bouger, quitte à ramper s'il le fallait. Le froid... Pourtant recouverte de givre, j'évoluais dans une douce chaleur qui m'attirait vers le noir.

La seule raison qui m'empêchait d'y céder, c'était cette impression qu'une multitude de minuscules éclairs rampaient sous ma peau et elle s'amplifiait de minute en minute, jusqu'à devenir un véritable ouragan électrique.

Je me recroquevillai dans une position fœtale et remplie à déborder de sensations et de sentiments, je me trouvai sur le point d'imploser jusqu'aux confins du cosmos. Je fermai les yeux afin de contrôler ma respiration, calmer le rythme erratique de mon cœur et surtout diminuer le miroitement de mon épiderme qui désormais resplendissait tel un astre pur et opalescent, brouillant les contours de mon corps.

Un roulement de tonnerre assourdissant. Puis un autre, et encore un autre et encore un autre et...

Ce n'était pas du tonnerre.

Je me redressai et perdis la capacité de respirer.

Ce que j'entendis était des battements d'ailes de bêtes tellement immenses qu'ils en faisaient vibrer le sol.

Là, distants mais s'approchant de plus en plus, trois drakhions. Fils du feu et du vent, gardiens impitoyables du ciel et compagnons immémoriaux des astres. Trois drakhions, l'un d'un bleu brillant, l'autre d'un gris qui se confondait à celui du ciel et le dernier d'un bronze flamboyant qui titillait ma mémoire car...

Je suis étoile, je suis constellation, je suis galaxie.

Je suis Univers.

Tout est lenteur, tout est sérénité, tout est silence.

Puis...

Forme et couleur et bruit.

Étranger.

Inconnu.

C'est écailles et ailes et flammes.

C'est agilité et vitesse et curiosité.

C'est proximité puis effleurement puis caresse.

Vivant.

Amical.

C'est invitation et malice et jeu.

C'est adieu.

C'est absence.

C'est souvenir précieux.

Je refis surface dans la réalité, tremblante de gratitude saupoudrée de joie parce qu'un jour un drakhion vola jusqu'à moi et brisa la douce monotonie de mon existence, me faisant goûter pour la première fois aux joies que je pouvais ressentir ici-bas.

Et ce même drakhion volait désormais rapidement et puissamment vers moi.


Texte publié par Aileba, 9 avril 2020 à 17h30
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