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Défis des Conteurs - La déposition
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- Mercredi 16 Octobre 2018, Savigneux, milieu d’après-midi. -

C’étaient les premières lignes que j’avais couchées sur mon rapport en vue de la déposition que j’allais recevoir cette fois-ci. Prendre les dépositions, c’était ma tâche dans ce commissariat ligérien. Les victimes passaient d’abord par l’accueil, ce même service d’accueil qui m’appelait juste avant que la ou les victimes n’arrivent dans mon bureau, me laissant tout juste le temps de pencher ces quelques mots afin de dater la prise de la déposition.

Ce jour-là, un jeune homme, d’une vingtaine d’années à l’œil, pénétra mon petit bureau. Il ne dit pas un mot, je l’invitais donc, dans ce même silence, à prendre place en face de moi, sur l’une des deux chaises en bois disponibles. Alors qu’il s’installait, je remarquais qu’il transpirait légèrement, d’ailleurs, il essuya quelques gouttes de sueur juste avant de briser le silence :

— B-b-bo-bonjour.

Avant de répondre, je n’ai pas pu m’empêcher d’esquisser un sourire. En trois années de métiers, j’en avais pris des dépositions, mais la déposition d’un bègue, ça, c’était ma première. Je me raclais donc la gorge avant de répondre :

— Jeune homme bonjour. Je me présente, brigadière Delaine, c’est moi qui suis en charge de votre déposition. Si vous avez du mal à en parler, ce qui peut tout à fait être compréhensible selon la raison qui vous pousse à être ici, sachez que je suis tenue de retranscrire au mot près ce que vous me direz ayant un lien direct avec votre déposition.

— M-M-M-Merci.

— Je vous en prie, allez-y, je vous écoute.

— C-c-c-c’était ce matin, je-je-je-j’allais p-pr-prendre mon pain et-et-et-et là, j-j-je-j-j-je me suis-suis fait voler m-mon portefeuille.

Étant donné qu’il venait de marquer un temps d’arrêt, j’en profitais pour m’engouffrer dedans et de répéter les mots que j’inscrivais sur la déposition :

— Donc, ce matin en allant chercher votre pain, vous vous êtes fait voler votre portefeuille. Très bien, ce n’est pas très grave, mais vous avez bien fait de venir ici. Avez-vous vu votre agresseur ?

— O-oui i-i-il…

— Pouvez-vous me le décrire ?

— O-o-o-oui, i-i-il…

— Splendide, je vous écoute.

Je ne compris pas pourquoi, mais le jeune homme me lança un regard noir. Il inspira grandement, avala un peu de salive et repris :

— I-i-i-i-l était g-g-g-grand et-et-et-et âgé. I-i-i-i-i….

— Grand et âgé, très bien, je note, plus de détail peut-être ?

Il frappa du point sur l’accoudoir.

— Beh enfin monsieur ? Vous allez bien ?

— C-c-c-c’est vous là ! V-v-v-v…

— Comment ça moi ?

Il serra les dents et se leva en criant :

— V-v-v-vous me c-c-cou-couper tout l’temps !

La boulette. Combien de fois lui avais-je coupé la parole depuis le début ? Je ne saurais le dire, du coup, pour calmer le jeu, je me raclais la gorge et repris :

— Pardon, ce n’était pas mon intention, vraiment. Pour me faire pardonner, puis-je vous offrir un café ?

Le bègue se calma et se rassit en hochant la tête.

— A la bonne heure ! Court ou long et avec ou sans sucre ?

— C-c-court a-a-a-a-avec deu-deu-deux sucres s-s-‘il-s’il vous plaît.

— Je reviens dans cinq minutes, détendez-vous.

Je sortais du bureau. Intérieurement, je dois l’admettre, j’étais hilare. Arrivée à la salle de pause, je faisais donc couler deux cafés, un pour le bègue et un pour moi. C’est là que Jordan m’a interpellé :

— Déjà finie avec la déposition ?

— J’en suis loin, le gars est bègue, ça a pris cinq minutes pour qu’il me dise qu’il s’était fait titrer son portefeuille ce matin et là, j’attends qu’il me donne une description physique de voleur.

— Un bègue ? Ah ah ah, tu dois t’amuser toi ! Et du coup, tu lui paies le café ?

— Ouais, apparemment, je l’ai coupé alors qu’il parlait, mais je ne m’en suis pas rendu compte. C’est pas classe donc je m’excuse tu vois.

— C’te blague ! – dit-il en riant – Et bah bonne chance Julie, tu vas en avoir besoin.

Je retournais donc à mon bureau, pour la déposition de cet illustre inconnu. D’ailleurs, ne pas connaître son nom me faisait faute pour la déposition. En entrant, je lui donnais son café et repris place derrière mon bureau. Il était seize heures trente.

— Dites-moi jeune homme, je ne vous ai pas encore demandé, mais quel est votre nom ?

— J-j-je m’a-m’a-m-m’appelle Thé-Thé-T-T-Théophile Garnier.

Je notais son nom sur la déposition.

— Parfait Théophile, du coup dites-moi, à quoi ressemblait votre voleur.

Il commença par finir son café, puis il inspira un bon coup et me regarda droit dans les yeux, comme pour me dire qu’il allait réussir à tout sortir simplement. Et là, alors que je m’attendais à mordre ma langue pour ne pas rire à gorge déployer, il me tendit un morceau de papier :

— T-t-te-tenez, t-t-tout est dessus.

Incrédule, j’attrapais le morceau de papier. Je commençais donc à lire à haute voix ce qu’il avait inscrit dessus, dans une des calligraphies les plus belles qui m’ait été donné à lire, et ce, même encore aujourd’hui :

— Grand, environ deux mètres, probablement dans les quarante-cinq ans, les cheveux court, portant un hoodie, je ne suis pas sûr de la prononciation de ce vêtement, mais bref. Donc, vêtu d’un hoodie noir avec un groupe de métal dessus, dommage que vous n’ayez pas le nom du groupe, avec un jean brut et des baskets puma aux pieds. Le visage fin, une barbe de trois jours, une boucle d’oreille, à l’oreille droite, des yeux noisette, une haleine pestilentielle et des dents jaunes. C’est bien ça ?

Il hocha la tête en signe de réponse. Toujours interdite, je rentrais donc cette description physique de l’individu dans la déposition, mais ne pu m’empêcher en le faisant de lui demander :

— C’est quoi un hoodie ?

— C-c-c-c’est un-un-un-un sweat à-à-à-à-à-à-à capuche.

— Ah ! Bah pourquoi vous n’avez pas écrit ça directement ?

— P-p-p-parce que le-le-le-l-l-le nom e-e-e-exact c’est hoo-hoo-hoo-hoodie.

— Vous m’en direz tant. Bon, j’ai la description physique, l’objet dérobé et votre nom. Pourriez-vous me donner l’heure approximative du délit et le contenu de votre portefeuille ?

A peine avais-je prononcé ces mots, que je les regrettais déjà. Même lui, il était au bout, je voyais ses yeux devenir humide d’ici.

— Vous savez quoi, pour l’heure, on va mettre dix heures, c’est bien dix heures. Du coup, pour le contenu de votre portefeuille ?

Il hocha la tête avant de souffler un coup et de reprendre :

— M-m-m-es c-c-c-cartes d’identité, b-b-b-b-b-bancaire, v-v-v-v-v-vitale, d-d-d-d-d’assurance m-m-maladie…

Pendant qu’il énumérait, avec une difficulté sans pareille, le contenu de son portefeuille, j’étais prise de rictus que je cachais en toussant, tout en inscrivant les objets volés. Dix-sept heures. L’énumération était finie. Pour la déposition, j’avais tout. Je récapitulais donc tout depuis le début et finit par cette question :

— Pas de liquide ? Que des cartes et des tickets ?

Il fit une moue et répondit :

— J-j-j-‘avais du li-l-li-liquide si.

— Il me faut tout, même si c’est approximatif.

Il avala sa salive une nouvelle fois.

— Un verre d’eau ?

Il hocha la tête. Je reprenais donc son gobelet dans lequel il avait bu son café et parti chercher de l’eau. Je croisais une nouvelle foi Jordan :

— ça y est, c’est fini avec le bègue ?

— C’est bientôt la fin. Me manque quelques détails et le lieu de… Il me manque le lieu, oh bordel ça va prendre dix ans ça encore.

— MDR, allez bonne chance, t’oublieras pas de fermer la boutique en partant hein !

C’était livide que je retournais donc dans le bureau ou Théophile m’attendais, avec dans les mains, un nouveau papier portant son écriture. Il souriait l’air penaud, je crois que je lui ai alors rendu le même sourire. Je lui donnais son verre d’eau, prenais son papier et inscrivais le contenu de sa monnaie, qui était étonnement précise. Sur le papier, figurait également d’autres informations, telles que la banque où il était, la couleur de chacune de ses cartes... Après avoir tout complété, je joignais mes mains, coudes sur le bureau et lui dit :

— On a bientôt fini, mais il me manque une information cruciale pour notre enquête, si enquête il y a. Où s’est déroulée cette scène ?

Théophile avait l’air exténué. Il resserra le point et me répondit avec son tic incontrôlable. Une fois la déposition finie, singée de sa main, et numérisée, je le raccompagnais à la porte. Une foi sortie, je lui dis :

— Théophile, je ne te garantis rien pour ton portefeuille, des larcins comme ça, il y en a énormément, mais on en retrouve bien moins. Tu as fait les oppositions nécessaires pour tes différentes cartes ?

Il me répondit que non. Je savais d’avance qu’on ne rechercherait pas son portefeuille, en tout cas pas en tant que tâche principale, et que le taux de chance pour le retrouver était très maigre. Le profil robot était la seule chose qui nous intéressait ici et par chance, il était étoffé. Avec un peu de chance, on pourrait l’identifier dans la rue et l’arrêter pour un autre délit. Quelque part prise d’affection pour ce jeune homme, je lui dis :

— Je m’en occuperais pour toi demain à la première heure, ça fait parti de mes tâches d’aider les concitoyens.

C’était le minimum que je pouvais concrètement faire pour ce jeune homme et dans ses yeux, le simple fait de lire sa gratitude m’allait comme remerciement. Je pris congé de lui et fermai le poste.

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Merci à Lisa D. de m'avoir proposé ce premier thème des défis des Conteurs.

A toi de jouer, cher lecteur, et de m'imposer un prochain thème !

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Texte publié par Yumon, 4 avril 2020 à 22h25
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