C’était le slogan tant accrocheur qui avait fait rêver Judith durant des années. Jusqu’à ce qu’on lui implante lors de sa 21ème année le fameux implant neuronal, faisant d’elle une citoyenne de ce monde. Un monde aseptisé, robotisé, déshumanisé qui depuis offrait certes une certaine forme de sécurité aux gens, mais qui les privaient des choses les plus simples, comme une conversation de vive voix, un échange avec une autre personne.
Depuis l’invention des implants neuronaux et l’ouverture de la base de données mondiale. L’humanité n’était plus qu’un détail, privilégiant les données informatiques aux vrais contacts humains. Plus personne ne prenait le temps d’ouvrir un livre, d’écrire un petit mot. Tout s’envoyait via l’implant, tout se téléchargeait et se partageait à la vitesse de la lumière, ou plus précisément à la vitesse du débit que vous pouviez vous acheter. Seul les plus riches pouvaient s’offrirent le haut-débit. Mais cette richesse les vidait de leur âme. Une âme que Judith tentait de préserver, malgré son poste dans un des laboratoires les plus huppés de la 3ème couronne.
Issue d’un milieu ouvrier, la jeune femme n’oubliait pas ses origines modestes et malgré un parcours sans-fautes qui l’avait propulsé dans les strates les plus hautes de la société, elle avait toujours conservé cette réserve face aux nouvelles technologies. Elle était l’une des seules employées du laboratoire à ne pas avoir son androïde, préférant de loin les échanges avec Laurine, son assistante.
La chercheuse était partagée entre l'anxiété de ce qu'elle allait faire aujourd'hui et l'excitation qui résulterait de son rendez-vous. Elle poussa, avec un sourire crispé, la porte donnant sur l'une de ses petites boutiques du centre : très chic, très neutre aussi, tout à l'image des hautes strates de la société. À peine avait-elle passé le scan d'entrée qu'un androïde l'invita à le suivre dans une grande salle où plusieurs personnes étaient déjà installées. Elle s'assit dans un fauteuil pareil à ceux des dentistes d'une époque lointaine où les gens avaient encore à faire à des humains pour leur prodiguer des soins médicaux. Dès que sa tête toucha le fauteuil, des sangles s'enroulèrent autour de ses chevilles et des poignets puis un casque biométrique se posa sur sa tête et elle fut connectée via son implant, au centre de commandement de Remember, une entreprise spécialisée dans la mémoire. Après quelques échanges électroniques avec un employé, ce dernier lui demanda de se détendre et de se concentrer sur sa requête. Elle souffla un bon coup puis une violente douleur lui foudroya le crâne, arcboutant son corps sur le fauteuil qui la retenait prisonnière.
Le processus ne dura pas plus de deux minutes, mais il lui fallut une bonne heure pour qu'elle s'en remette et puisse poser un pied par terre sans avoir le tournis. Ce petit tour en boutique l'avait délesté de la moitié de son salaire mensuel, elle rentra chez elle le cœur léger, mais avec un bon mal de tête. Les souvenirs sont une richesse que tout le monde voudrait garder en mémoire le plus longtemps possible. Cela n’avait pas de prix et Judith n’hésitait pas une seconde à dépenser des fortunes. C’était le seul luxe qu’elle s’autorisait durant les fêtes de fin d’année. Souffrir le martyr durant quelques secondes n’étaient pas grand-chose comparé à la joie que procurait un souvenir heureux. En règle générale, se souvenir était parfois douloureux et souvent les mauvais souvenirs restaient bien ancrés en nous, contrairement aux moments joyeux qui semblaient s’effacer plus rapidement. Judith avait malheureusement fait ce constat et c’est pourquoi depuis son implantation, elle avait économisé pour s’offrir ce luxe.
A peine rentrée chez elle, un coursier lui apporta le cadeau qu’elle s’était offert quelques heures auparavant. Elle lui arracha presque le paquet des mains et referma la porte en vitesse avant de s’installer au pied de son sapin. Elle déchira le colis plastifié avec empressement et ses yeux brillèrent lorsqu’elle découvrit son contenu. Elle sortit avec soin, comme un petit animal fragile, une magnifique boule de Noël translucide qui s’anima dès qu’elle effleura l’interrupteur. Elle vit renaitre entre ses mains les images d’une des plus beaux Noël de son enfance, lorsque ses parents et ses frères et sœurs étaient réunis autour du sapin au matin de Noël. Après avoir contemplé ce petit film d’une dizaine de minutes, elle se leva et accrocha son énième souvenir sur son joli sapin synthétique.
Elle contempla ces boules similaires et les effleura une à une, puis elle observa ces dizaines de sphères qui repassaient des moments forts de sa vie. Le sapin s’illumina des plus beaux souvenirs qu’elle gardait précieusement. Elle se servit un bon verre de vin, s’installa sur son canapé et se blottit dans une couverture tout en observant sa vie scintillée dans les branches de son sapin. Dans ce monde aseptisé, robotisé, déshumanisé, elle avait trouvé son équilibre, sa part de rêve. C’était ça, la magie de Noël.
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