Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12

POISONS ET ANTIDOTES

L'Amatoxine

Composé toxique présent chez plusieurs genres de champignons, dont, le plus connu d'entre eux : l'amanite phalloïde.

Le foie et les reins sont les principaux organes touchés en cas d'absorption par l'appareil digestif, car ils sont les premiers à rentrer en contact avec l'amatoxine.

Le danger majeur avec cette toxine est le temps de latence entre son ingestion et ses premiers effets néfastes sur l'organisme. On note une moyenne de douze heures avant l'apparition des premiers symptômes.

- Dictionnaire Médical, Médecine et Sciences Associées, par J. De Saisieux (1957).

*** 

Ehsan fendit la foule de jeunes femmes, fonçant droit sur Shahin.

Il était allongé lascivement sur un sofa débordant de coussins, hypnotisé par le spectacle d'une grande blonde qui se pavanait ridiculement en exposant ses deux gros atouts sous le nez du prince, qui l'admirait la bave aux lèvres.

Et que j'agite mon voile par-ci et que je trémousse ma fesse par-là !

Ehsan leva les yeux au ciel.

L'intrusion soudaine d'Ehsan et de sa dague au sein du patio fit hurler les concubines qui se trouvaient là. La cacophonie de leurs voix donnait au harem des allures de bassecour.

Les musiciennes s'interrompirent subitement, fuyant la scène de peur que la folle furieuse qui venait d'apparaître ne les prenne pour cible.

Shahin bondit de sa couche au son des cris de terreur. Lorsqu'il reconnut le visage familier de sa servante, il ouvrit de grands yeux surpris.

Qu'est-ce qui lui prend ?

Ehsan fut interrompue dans son élan lorsque la favorite lui barra la route, les bras tendus de chaque côté pour l'empêcher de s'approcher du prince. Certes, cette dame possédait un rang mille fois supérieur au sien, mais elle était la seule ici à connaître le possible empoisonnement de l'héritier, et donc la seule à comprendre le danger que cette situation représentait. Elle n'était décidément pas d'humeur à supporter pareilles stupidités.

« Si tu veux sa vie, tu devras d'abord me passer sur le corps ! » s'écria Dame Hengameh d'une voix tremblotante.

Un sourire charmant fleurit sur les lèvres d'Ehsan et elle s'inclina dans une rapide courbette.

« Avec plaisir, Madame. »

Ses plus vieux instincts se réveillèrent, la petite fille battante et gaillarde qu'elle était autrefois resurgit. Affirmant ses appuis, elle prit de l'élan et écrasa son poing sur le visage terrorisé de la concubine. Cette dernière s'étala sur le sol, sonnée par le coup, le nez ensanglanté. Un rictus satisfait étira les lèvres d'Ehsan : la voie était libre. Elle capta le regard confus du prince. Il semblait partagé entre l'envie d'appeler ses gardes à son secours et la curiosité d'observer la suite des événements. Peut-être trouvait-il les combats de femmes divertissant ?

Vicelard...

Reprenant ses esprits, la concubine se redressa avec maladresse, ce qui tira le prince de son état d'hébétement.

Que vient-il de se passer exactement ?

« Mais tu es folle ! s'écria-t-il. Qu'est-ce qu'il te prend ? »

Hengameh essuya son nez en sang et jura :

« Petite peste ! Si tu crois pouvoir t'en tirer comme ça ! »

Elle se précipita droit sur Ehsan, qui brandit son poignard en avant, prête à en découdre. A l'ultime seconde, Shahin retint sa concubine par le bras, manquant de la faire tomber.

« Si pour avoir votre attention, je suis obligée d'égorger toutes les dindes de votre harem, croyez bien, Votre Altesse, que je le ferais ! »

La menace sembla refréner les ardeurs de la favorite. L'angoisse enserra la gorge d'Eshan. Pourquoi ne comprenait-il pas qu'ils manquaient de temps ? Elle ne pouvait pas révéler ses doutes devant toutes ces femmes...

« EHSAN ! J'ai dit : ' Qu'est-ce qu'il te prend ?' ! »

Le prince semblait perdre patience et cela tombait bien, car elle aussi.

Elle s'avança davantage, le pas assuré mais le cœur battant à tout rompre. La respiration courte, elle sentait des gouttes de sueur dévaler son dos. Elle s'arrêta à quelques enjambées du prince, et à cette distance, elle pouvait clairement voir les jambes de Dame Hengameh trembler.

Ehsan resserra davantage sa prise sur le manche du poignard, ses doigts s'enfoncèrent un peu plus dans le cuir du manche lustré par l'usage.

Elle planta son regard dans celui du prince et sans ciller, glissa le tranchant de la lame sur sa propre paume.

Les dents serrées, elle ravala un cri de souffrance. La douleur aiguë se propagea dans tout son bras, lui tirant quelques larmes. La fraîcheur de la dague fut remplacée par la chaleur poisseuse du sang qui coulait entre ses doigts.

Alors que l'instant précédent Shahin s'apprêtait à dégainer son arme, son expression se métamorphosa, stupéfaite et inquiète.

« Ehsan ! »

Il bondit en avant, désirant s'approcher de la servante mais sa concubine le saisit par le vêtement pour l'en empêcher.

Au même moment, Ehsan vacilla. N'arrivant plus à trouver son équilibre, elle s'écroula au sol. La vue de tout ce sang la rendait nauséeuse.

Il ne comprenait pas ce qui avait pu pousser la jeune femme à se mutiler de la sorte. Son cœur se serrait, il voulait s'approcher d'elle, l'inspecter minutieusement, mais Hengameh faisait toujours résistance. Agacé, il s'empara brusquement de son poignet et la fit lâcher le pan de son manteau. Enfin libre, il s'avança précautionneusement, attentif à ne pas réveiller le fauve en Ehsan qui semblait tout juste s'assagir.

Il s'accroupit et dévisagea la jeune femme, encore hagarde par la douleur.

« Ehsan, répéta-t-il calmement cette fois. Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ? »

Ravalant un haut-le-cœur, elle détourna son attention du sang qui dévalait son bras puis elle planta ses yeux mordorés dans ceux du prince. Peut-être était-ce la peur que ses craintes deviennent réalités ou bien la douleur qui irradiait dans tout son bras, mais les larmes coulaient en abondance sur ses joues.

« Votre Altesse, regardez ! »

Elle lui tendit sa paume blessée.

« C'est ainsi que doit couler le sang... Je prends le pari, au risque de ma vie, que le vôtre ne s'écoule pas ainsi. »

Elle délirait assurément. Elle avait perdu l'esprit, il ne voyait aucune autre explication.

« Tu as bu, c'est ça ? » la questionna-t-il en la secouant par les épaules.

Shahin pria les dieux que ce fut bien le cas, sans quoi, il s'en voudrait éternellement d'avoir placé sa confiance dans une folle furieuse.

Dis « oui », dis « oui » !

Ehsan, l'air grave, lui tendit le poignard en guise de réponse.

« S'il vous plaît, entaillez-vous la main. »

Tous les espoirs du prince s'anéantirent en cette seule phrase. Elle était cinglée !

« INSOLENTE ! »

La voix de Hengameh fit écho dans tout le sérail, mais Ehsan, bien trop concentrée sur la réaction du prince, n'entendait que son propre souffle. Elle comprit qu'il n'allait pas répondre à sa demande. Il était à mille lieues d'imaginer ses intentions.

Elle retint son souffle. Elle misa sur ce coup de théâtre pour que le prince la prenne au sérieux. Ils n'avaient plus beaucoup de temps.

Ehsan savait pertinemment que cela avait pris des jours pour qu'un empoisonnement ne soit suspecté pour le jeune Gilgamesh, et il était hors de question que cela prenne autant de temps pour son maître.

Connaissant ses talents de guerrier, elle devrait agir vite.

Feignant un malaise, elle profita que l'attention du prince soit détournée de son poignard pour lui entailler la main à son tour.

« AAH ! »

Shahin remarqua sa paume ensanglantée et foudroya Ehsan du regard. Mais ses yeux étaient braqués sur la blessure dont elle était l'auteure.

Le sang coulait à nouveau mais cette fois-ci, il semblait moins dense, plus liquide et plus abondant.

Elle compara sa plaie à la sienne. Elle paraissait moins profonde, et pourtant elle saignait davantage. Un frisson glacial la secoua... ses doutes se concrétisaient.

Morte de peur, elle sentit les veines de son visage se vider une à une, ôtant toute couleur à son teint d'ordinaire si doré. Sa crainte se lisait dans ses prunelles. Et alors que Shahin tentait de canaliser sa colère, il comprit que quelque chose n'allait pas. Tout compte fait, elle n'était peut-être pas si folle que ça.

La servante regarda autour d'elle, paniquée. Son acte lui coûterait probablement la vie, mais actuellement ce n'était pas la sienne qui l'inquiétait. Elle remarqua un voile de danse coloré qui jonchait le sol et s'en empara prestement. Elle s'empressa de bander la main de l'héritier et le bandage de fortune s'imbiba rapidement de sang.

Énormément de questions traversaient sans doute son esprit, mais ils devaient se dépêcher de rentrer à son palais afin de lui expliquer la situation. Ehsan murmura :

« Je ne crois pas que ce que j'ai à vous dire concerne les femmes de ce harem. Mais croyez-moi, Votre Altesse, l'affaire est plus qu'urgente. »

Sa voix tremblante laissait transparaître la profondeur de son angoisse.

Bien qu'il ne sût pas de quoi il en retournait, Shahin ne remit pas en doute ses paroles. Il lui avait donné sa confiance, désormais, il se devait de la croire.

Ehsan, bien qu'encore écœurée par la vue du sang, trouva la force de se relever. Sans un regard pour les femmes du sérail, encore abasourdies par les événements, ils quittèrent ensemble le gynécée.

***

« Pour la dixième fois, Général, je vous dis de ne pas vous inquiéter ! » rassura Benyamin, ravalant son exaspération.

Zakaria arpentait nerveusement le haut des marches. Plusieurs pièces de théâtre où figuraient une femme armée lui revenaient en mémoire, malheureusement, aucune d'entre elles ne possédaient de fin heureuse... Un hasard ?

« Très bien et dans ce cas, à quoi va lui servir le poignard ? » s'écria-t-il.

Benyamin se frotta l'arrière du crâne et se racla la gorge. A vrai dire, il n'en savait rien.

« Général, rassurez-vous, Ehsan est de loin la femme la plus douce que je connaisse. Elle est incapable de blesser Son Altesse ! »

Les portes s'ouvrirent subitement.

Zakaria remarqua immédiatement la main bandée de Shahin, dégoulinante d'un liquide rouge. Furieux, il foudroya l'eunuque du regard.

« 'Incapable de blesser Son Altesse', hein ? »

Benyamin porta immédiatement son regard sur Ehsan. La mine pâle, la main en sang, elle semblait dans un sale état.

Les deux hommes se précipitèrent vers les blessés.

« Que lui avez-vous fait ? » s'écrièrent-ils en chœur chacun à l'autre.

Shahin leva la main pour calmer la tension. Il n'était pas d'humeur à s'expliquer, son seul désir était d'obtenir des réponses.

« Parlons de tout cela dans mes appartements. »

Alors que le prince s'apprêtait à repartir, il fut secoué par une violente quinte de toux qui l'obligea à s'arrêter le temps de retrouver son souffle. Du coin de l'œil, il surprit les œillades soucieuses que Zakaria et la servante échangèrent.

Arrivés aux appartements princiers, les portes fermées derrière eux, Shahin saisit fermement Ehsan par les épaules.

« Maintenant, est-ce que tu peux m'expliquer ce que tout cela signifie ? »

La jeune femme se hâta de se prosterner et débita à toute vitesse :

« Votre Altesse, j'ai peur que la reine ne vous ait empoisonné. Il faut que vous appeliez un médecin au plus vite !

- Empoisonné ? » répéta-t-il, hébété.

Zakaria le détourna d'Ehsan, attirant l'attention de son ami sur lui.

« Shahin ! Tu n'as plus le temps de te poser des questions. Avant d'enquêter sur le pourquoi du comment, il faut que tu te fasses soigner, et vite ! Si ta servante a vu juste, cela ne présage rien de bon. Tu sais bien que plus un poison met de temps à agir après son ingestion, plus il est mortel ! »

Benyamin, qui apprenait la nouvelle en même temps que le contaminé, réprima un cri de surprise et regarda Ehsan avec interrogation. Le frémissement de ses doigts ou la façon dont elle tripotait inlassablement sa natte étaient des indices qui laissaient deviner son intérêt sincère pour la santé du prince. Et même si lui aussi se sentait tendu, il ne percevait pas ce qui rendait son amie d'enfance si loyale envers lui. Certes, leur destin serait une fois de plus réexaminé si le prince venait à mourir, mais avait-elle peur à ce point de se retrouver de nouveau dans les rues d'Antarxes pour l'aider au péril de sa propre vie ?

Les minutes filaient à toute allure et la jeune femme sentait son cœur battre de plus en plus fort. Ils ne pouvaient se permettre de perdre plus de temps en discussion inutile. Attrapant la manche de Benyamin, elle approcha sa bouche de son oreille.

« Ben, je t'en supplie, va vite trouver un médecin ! »

Leur proximité soudaine le fit frémir, mais l'intérêt grandissant d'Ehsan pour le prince lui pinçait le cœur. Pourtant son amour le rendait incapable d'agir contre la volonté de la jeune femme : il se précipita dehors.

« ARRÊTEZ ! »

La voix rauque du prince sembla ricocher sur les longs pans de mosaïque. Zakaria interdit le passage au jeune eunuque. Son regard était froid, dénué d'expression. Devenu véritable machine de guerre, il n'avait plus qu'un but : obéir aux ordres de son supérieur.

« Non ! Personne ne doit l'apprendre ! » s'écria Shahin, s'étouffant à moitié en tentant de réprimer un nouvel accès de toux violent.

Ehsan se retourna immédiatement vers le prince. Ce dernier était rouge vif et les veines de son visage saillaient par le manque d'oxygène.

« Votre Altesse, vous ne comprenez pas qu'il est déjà en train d'agir ! Ce poison est peut-être celui qui a tué votre frère ! Vous ne pouvez pas vous soigner seul cette fois-ci ! »

La mention du défunt sembla assombrir davantage les yeux noirs de l'héritier. Les mâchoires serrées par la sensation qui brûlait son œsophage, il parla entre ses dents.

« Au contraire, je comprends parfaitement. »

Il s'adressa ensuite à son frère d'arme.

« Zak, il faut que tu te rendes secrètement à Al-Shênaz et que tu reviennes avec celui qu'on appelle « Le Sage ». »

Le prince fit une pause et s'assit fébrilement sur un sofa en toile tissée.

« Cet homme était le médecin de mon frère... »

Etait-ce elle ou sa voix s'était cassé à ce mot ? Ehsan n'osait imaginer combien cet épisode de sa vie avait dû être traumatisant.

« Il est le seul qui ait cru en l'hypothèse d'un empoisonnement, poursuivit-il. Il a été chassé du palais par mon père pour incompétence... Mais c'est le seul en qui j'ai réellement confiance. »

Zakaria baissa sa garde car il voyait que Benyamin ne tentait plus de sortir et se rapprocha de Shahin. L'anxiété se lisait dans son regard.

« Al-Shênaz est à minimum dix heures d'Antarxes, à condition que le trajet s'effectue avec très peu d'arrêts et au triple galop... Rares sont les chevaux qui sont capables d'endurer pareil effort ! Et combien même si j'y arrive, poursuivit-il, haletant ; déjà une vingtaine d'heures se ser... »

La main levée du prince vint interrompre son laïus, un air grave gagnait son visage. Shahin était parfaitement conscient de ce que cela impliquait, mais il savait que sa confiance ne pouvait être donnée aux hommes qui avaient fermé les yeux sur le cas de son aîné.

Prenant appui sur ses jambes, il se releva du divan sur lequel il s'était assis quelques secondes auparavant et se rapprocha de son ami. Une fois encore il s'apprêtait à l'envoyer au front, seul garant de sa survie, dans une mission impossible.

Zakaria n'avait pas besoin d'ordre, il le lisait dans son regard. Alors qu'il s'apprêtait à frapper sa poitrine de son poing, dans un traditionnel salut militaire, Shahin vint claquer son torse contre le sien en une embrassade virile. Il sentait naître au fond de lui une nouvelle gêne, mais il se retenait : Zak devait partir le cœur confiant.

« J'ai foi en toi, mon frère. » chuchota-t-il à son oreille.

Une violente brûlure prenait possession de sa trachée. Il défit son étreinte, espérant camoufler le tremblement qui s'emparait de son corps.

Le général d'infanterie adressa un ultime regard à son compagnon d'arme et fonça en direction des écuries.

Le prince se retourna vers Ehsan et Benyamin. Sa vision se brouilla et tout autour de lui tangua sauvagement. Il s'appuya au mur tandis qu'Ehsan se précipitait, trop tard, dans sa direction.

« Votre Altesse ! Allongez-vous, je vous en prie... »

Le soutenant, elle le guida jusqu'à son lit où elle l'aida à s'allonger. Un marathon pour la survie commençait et elle le savait. Les prochaines heures allaient être longues, dures et douloureuses.

Il va vivre. J'en fais la promesse


Texte publié par Sali, 26 mai 2020 à 14h05
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1173 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Pélagie
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés