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J’ai sursauté quand le livre s’est ouvert. L’écriture qui en couvrait les pages m’était vaguement familière.

Cela faisait longtemps que je cherchais à en savoir plus sur ma grand-mère Célestine, que j’avais si peu connue. Elle était morte encore vaillante, fauchée par un buveur du dimanche midi alors qu’elle rentrait de l’anniversaire de mon oncle. C’était elle qui était au volant mais à l’inverse de ce que suggère l’expression « place du mort », pour une fois, c’est mon grand-père Marcel, assis à côté d’elle, qui a survécu. Ensuite, il a mis sous verrou quasiment toutes les pièces de sa maison, comme pour figer le souvenir de cette femme extraordinaire. Il avait recouvert les murs de photos d'elle et même d'une mèche de ses cheveux encadrée.

Tout ce que je me rappelle d'elle, à part quelques impressions fugaces, c'était un après-midi que nous avions passé ensemble. J'avais peut-être quatre ans. Son visage rond au menton pointu me souriait. Elle me paraissait infiniment vieille. Bien sûr, quand on est enfant tout adulte est antique et les ancêtres sont antédiluviens !

Elle m'aidait à tenir un crayon à papier pour faire les bons gestes sur mon dessin. Elle avait sorti du beau matériel, tout cela me paraissait magique et j'étais fière qu'elle m'accorde cette importance. Puis elle a lâché ma main. Mes doigts ont continué à exécuter des mouvements parfaits (à mes yeux de petite fille). Qu'est-ce que je représentais ? C'est devenu flou dans ma tête. Un élément du jardin sans doute.

Mon carnet était posé sur la table ronde, en métal, parsemée de petits trous que j'ai toujours pris pour des fleurs. Il y avait un pichet de limonade à côté, je pense que c'était Célestine qui l'avait faite car elle avait ce goût particulier que je n'ai jamais retrouvé ailleurs : une exponentielle de citron doux. Le soleil traversait mon verre en formant une tache plus lumineuse sur le canson. Je jouais avec les reflets et ma grand-mère riait. Je revois ses rides se plisser encore plus autour de ses yeux clairs, pétillants. J'entends le son, un rire de jeune fille. Depuis sa disparition, ce souvenir, c'était tout ce qui me restait d'elle.

Et voilà qu’il y a quelques mois mon grand-père est décédé à son tour, de sa belle mort, lui. J’ai ainsi enfin eu le trousseau de clés ! Mais j'ai commencé par dégager le jardin car les beaux jours allaient se terminer. La table de mon souvenir était complètement rouillée, je l'ai apportée à la déchetterie, avec ses chaises et un vieux hamac. Comme Marcel n'avait plus beaucoup d'aisance à se mouvoir ces dernières années, les plantes avaient poussé en toute anarchie. J'ai pris rendez-vous avec un paysagiste pour qu’il sème un gazon à la place.

Puis je me suis attaquée à l'intérieur. Les premiers jours à fureter librement dans la maison, je n’ai trouvé que des choses banales, si l’on peut dire. Des articles de journaux sur des exploits que Célestine avait faits dans sa prime jeunesse : elle était par exemple l’une des premières femmes à avoir obtenu le permis de conduire. Elle avait donné des récitals de musique et participé à des expositions d'art. Elle avait réussi des ascensions difficiles en alpinisme, remporté des tournois de tennis à envergure régionale, aidé au déchiffrement de certaines écritures anciennes… Les gens avaient du temps à l’époque !

J'ai ensuite dégagé pièce après pièce, mettant de côté les éléments qui me rappelaient quelque chose ou qui semblaient avoir de la valeur, jetant ou donnant le reste. D'abord le vestibule, un petit espace éclairé par des vitraux colorés qui encadraient la porte d'entrée. Il était encombré d'un porte-manteau, d'un banc, d'une console étroite et de quelques bibelots. J’avais plutôt des souvenirs d’adulte ici. Des piécettes étaient restées dans le vide poche, sans-doute la monnaie de la dernière baguette de pain achetée par Papy.

Trois portes s'ouvraient vers l'intérieur : à gauche la cuisine, qui donnait elle-même sur un cellier. Au milieu le salon, prolongé par un bureau qui servait surtout à recueillir les nombreux livres de mes grands-parents. À droite leur chambre à coucher, d'où l'on accédait à la salle de bain. J'ai décidé de changer de stratégie et de m'attaquer d'abord aux pièces du fond : le cellier me paraissait le plus urgent. J'ai fait migrer ce qui pouvait l'être vers mon frigo. Dans la foulée j'ai finalement débarrassé toute la cuisine. J’ai gardé quelques couverts en argent ciselé qui m’avaient toujours fascinée. Et puis la bonbonnière en cuivre dans laquelle je venais piocher des « petits pimousses » à l’heure du goûter.

Puis je me suis occupée du bureau. Un soir, en vidant l'une des bibliothèques, j’ai découvert une petite niche dans le mur, fermée par une porte de placard sans serrure. Quand j’ai ouvert, ça sentait un mélange de poussière, de vieille poudre de riz et de parfum passé. Il y avait une rose séchée dans un petit vase en métal émaillé, décoré d’un dessin de perroquet. L’objet avait été posé par-dessus un livre, comme pour l’empêcher de s’ouvrir tout seul. Effectivement, quand j’ai saisi le volume, il m’est arrivé dans les mains directement ouvert à peu près au milieu. Ce n’était pas un ouvrage imprimé, les pages étaient lignées et couvertes d’une écriture manuscrite, élégante, comme on la pratiquait au début du vingtième siècle.

J’ai commencé à lire. Ce n’était pas un journal intime, cela ressemblait plutôt à des mémoires. Un assemblage de mémoires de plusieurs époques. Ça pourrait sembler rébarbatif mais en fait, quelque chose me poussait à continuer, je tournais les pages sans m’en rendre compte et je ne sais pas du tout combien de temps s’est écoulé pendant ma lecture. Je suis bien consciente qu’il faut de nombreuses heures pour avaler un volume aussi gros que celui que j’avais dans les mains, mais j’étais complètement plongée dedans et la lumière dehors ne semblait pas décliner. Je n’entendais plus les secondes s’égrener à la vieille horloge du salon.

C’était un voyage dans les temps anciens, hors du cours normal. Je voulais continuer, je voulais savoir si c’était ma grand-mère qui avait écrit cela et comment elle avait eu vent de toutes ces aventures. À un moment, en lisant un chapitre où les recettes étranges et formules pseudo-magiques s’accumulaient, j’ai ressenti de la lassitude. Je me suis rendue à la fin de l’ouvrage pour voir s’il y avait une signature. Non, il y avait juste cette phrase « Maintenant que tu sais, c’est à toi d’appliquer ces arts pour reprendre le flambeau et transmettre à ton tour les mystères à la suivante. ». Frustrée de ne pas trouver la réponse à ma question, j’ai refermé le livre et l’ai reposé dans sa cache.

Je suis rentrée chez moi, de toute façon j’avais encore plusieurs semaines pour vider la maison. Une odeur de rose un peu poudrée semblait m’accompagner. Ça me chatouillait les narines, j’essayais de ne pas y prêter attention ; ce n’était pas très fort, juste permanent. Je sais que normalement on s’habitue rapidement à une fragrance et qu’on ne la sent plus – c’est pour ça que beaucoup de gens sont trop parfumés et gênent leur entourage sans s’en rendre compte. Moi c’était l’inverse : j’ai demandé à mon voisin de palier de respirer dans mon cou mais il n’a rien noté, alors que c’était très prégnant pour moi. Finalement ça faisait une entrée en matière pour qu’il m’invite à dîner chez lui. C’était la première fois qu’on s’adressait vraiment la parole. Je n’avais jamais remarqué jusque-là qu’il pouvait être séduisant. À vrai dire je n’étais pas intéressée par l’idée de rencontrer quelqu’un.

Le repas s’est déroulé de manière très plaisante, je me suis sentie étonnamment à l’aise, moi qui suis d’une timidité naturelle. Après le dessert tout s’est enchaîné très vite et je me suis réveillée au matin à ses côtés, entre des draps de lin écru, baignés de la lumière dorée qui filtrait entre les rideaux. Je me sentais légère et forte à la fois, prête à dévorer la vie, pas du tout le genre d’impression poisseuse dont j’avais l’habitude après mes coups d’un soir...

Nous nous sommes revus plusieurs fois et c’était toujours aussi charmant. J’ai commencé à envisager une relation sérieuse, ça ne me ressemblait pourtant pas. L’idée me perturbait alors j’évitais d’y penser. Je continuais à m’occuper des affaires de mes grands-parents dès que mon emploi m’en laissait le loisir. Comme Vincent, mon voisin, travaillait tard, j’avançais dans mes explorations jusqu’à ce qu’il soit l’heure de dîner et je le retrouvais directement, chez lui ou parfois au restaurant.

Tout est allé très bien pendant trois semaines puis il y a eu un problème. Nous avions pourtant pris nos précautions, à croire que ce n’est pas fiable à cent pourcents. J’avais du retard et ça m’angoissait. Déjà que je ne m’envisageais pas avec un homme, un enfant serait pire que tout ! Une solution m’a traversé l’esprit. Quelqu’un de sensé serait allé voir son médecin, je sais, mais sur le moment je n’y ai absolument pas pensé. C’était comme si mon monde était devenu clos.

Je suis retournée dans la bibliothèque de ma grand-mère, j’ai rouvert la petite porte secrète et repris la lecture du livre étrange. Parmi toutes les recettes et formules magiques qu’il contenait, il y aurait sans-doute quelque chose pour me soulager ! Oui, voilà, sur cette page : « faire venir le sang ». Les ingrédients étaient étranges mais pas difficiles à dénicher, le plus étonnant était la mention d’un cheveu d’aïeule. Je n'ai pas eu trop de difficultés à retrouver le cadre qui contenait la mèche de Célestine parmi ceux que j'avais entassés dans un carton.

Je suis rentrée chez moi et j’ai concocté la mixture. Il fallait ensuite tracer un grand cercle à la craie, sur le plancher, avec des traits en travers et quelques dessins précis à reproduire. Ensuite je devais me placer au centre, avec neuf bougies allumées autour de moi. Et enfin boire le mélange en récitant un poème en latin.

Aussitôt le remède avalé, je me suis sentie rayonnante, un peu comme lors de ma première soirée avec Vincent. Le lendemain, il y avait des traces de sang sur le coton de mon protège-slip. J'ai remercié mentalement le grimoire et je n'y ai plus pensé.

Pendant trois mois, je me suis concentrée sur le déménagement des affaires de mes grands-parents que je voulais garder. J'ai tout trié et rangé dans des boîtes en carton, que j'ai étiquetées et emportées chez moi. J'avais un petit cagibi dans mon appartement où j’entassais des objets depuis des années. Je ne savais plus ce qu’il y avait dedans : ils ne devaient pas m’être très utiles. Ce fut l'occasion de m’en débarrasser. J'ai placé les trésors de mon héritage à la place. Tout ce qu’il me restait de Célestine et Marcel tenait désormais dans quelques mètres-cubes.

Le notaire qui a procédé à la vente de la maison n’arrêtait pas de reluquer mes seins d’un drôle d’air, ça m’a énervée mais je n’ai pas osé le lui dire. Par contre je m’en suis plainte à Vincent, dans la soirée. Il s’est mis à me regarder bizarrement lui aussi.

— Tu ne vas pas t’y mettre ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Eh bien, ils sont très pleins, je trouve, et ton ventre aussi ! Tu ne serais pas...

— Qu’est-ce que tu racontes ? Tout est normal dans mon cycle !

— On va vérifier quand-même.

Le lendemain, il m’apportait un test de grossesse. D’abord j’ai crié, vexée qu’il ne me fasse pas confiance. Puis quand j’ai vu le résultat positif, je me suis sentie bête. Et embarrassée. Il était trop tard, légalement, pour avorter. Je me suis enfermée chez moi. L’angoisse me rendait folle. Qu’est-ce que j’allais faire d’un mioche ? Je n’avais pas de place pour ça dans ma vie, il y avait ma carrière, mes loisirs, ça prenait un temps fou et je ne voulais pas rogner dessus. Il y avait Vincent aussi maintenant. Pendant plusieurs jours, il a sonné à ma porte. Je faisais la morte, ne sortant que pour le boulot, en mode ninja. Tant pis pour le temps que j’étais censée lui consacrer. Enfin, quand il a menacé d’appeler les pompiers, j’ai ouvert.

Je voulais accoucher sous X et abandonner l’enfant. Lui, durant ces quelques jours, il avait réfléchi : il se voyait bien papa. Nous nous sommes disputés encore. Il est rentré dans son appartement en claquant la porte et s’est débrouillé pour qu’on ne se croise plus les jours suivants.

J’ai cru être soulagée de ne plus avoir à m’occuper de lui. Mais en fait, je me sentais comme vide, malgré mon ventre plein. J'ai tenté de me concentrer sur le classement de mes objets dans leur placard. Mes pensées n’étaient pas dociles et mes allées et venues me ramenaient sans-cesse sur le palier. La tristesse m'envahissait à chaque passage.

J'avais trouvé un vieux nécessaire à courrier dans le bureau de la maison de mes grands-parents. Dedans, il y avait une plume d'oie et de l'encre à moitié séchée dans un petit encrier en verre. En y versant de l’eau j’ai réussi à délayer assez pour y tremper la plume. J'ai tracé quelques mots sur un papier sergé qui accompagnait le matériel : « Vincent, j'ai réfléchi. Tu me manques. Tu as raison, fondons une famille ! Oublie notre dispute et viens me retrouver ! »

J'ai glissé la missive sous sa porte et j'ai attendu. Plusieurs jours ont passé. Rien. Une boule me nouait les entrailles. Je tournais en rond dans mon appartement, je n'arrivais plus à me concentrer sur rien. Au boulot, mon ventre avait été remarqué, il a fallu que je m'explique et une collègue a rempli les papiers pour moi. Mais elle a dû m’extorquer les informations car je n'étais pas là en esprit.

Toutes mes pensées servaient à échafauder des plans pour croiser Vincent dans les escaliers. J'avais beau me creuser les méninges, on aurait dit qu'il éventait tous mes stratagèmes, jamais je ne réussissais à le revoir. Un jour, je me suis fait porter pâle et j'ai passé la journée à l'affût derrière les boîtes aux lettres. Avait-il deviné mon intention ? Il était peut-être simplement, par malchance, en voyage d'affaires ce jour-là. Je l'ai imaginé sortir par la fenêtre et escalader le balcon pour se laisser glisser le long de la gouttière...

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point je m’étais attachée à lui. Malgré la présence fantomatique de mes grands-parents dans les cartons du cagibi, je me sentais incroyablement seule. C’était idiot car objectivement je l’étais moins qu’avant, avec le petit être qui grandissait en moi. Je ne m’expliquais pas ce sentiment, sauf à cause de liens amoureux.

Je suis donc allée fouiller une fois de plus dans le grimoire de Mamie, un peu honteuse cependant, à la recherche d'une recette pour faire revenir l'être aimé, comme l'indiquent les publicités de marabouts dans les boîtes aux lettres. Je n'ai pas eu besoin de feuilleter : le volume s'est encore une fois ouvert tout seul à la rubrique qu'il me fallait : « réunir ce qui est séparé ». Comme la dernière fois, une recette, un cercle à tracer au sol et une incantation.

Sauf que les ingrédients étaient moins évidents. Il a fallu que je me documente sur les plantes sauvages et que je trouve dans quelle forêt aller chercher, par exemple, la mandragore. Je croyais que ce n'était qu'une légende, la plante qui naît de la semence des pendus... J'ai dû me rendre jusqu'en Italie pour en dénicher une ! Fort heureusement, il n'y avait pas de potence à cet endroit, juste un bois d'oliviers très agréable à parcourir. C'est l'élément que je suis allée quérir le plus loin, mais ça n'a pas été le plus compliqué à dénicher.

L'histoire de la météorite m'a posé plus de problèmes. D'abord pour identifier à quel endroit il pouvait en être tombé une, qui n'aurait pas déjà été ramassée par les collectionneurs. Puis pour la réduire en poudre afin de l'incorporer au mélange. Pour ce qui est du clou de girofle et des autres épices, je me suis contentée du marchand en bas de la rue. J'ai récolté le reste dans le parc d'à côté et j'ai mis le tout à bouillir pendant très longtemps.

Quand tout a été prêt, j'ai fabriqué une petite poupée en fils de chanvre autour de laquelle j'ai noué un morceau de voilette. Je l’ai trempée dans mon mélange. Je suis entrée dans le cercle, que j'avais encore une fois dessiné avec tous ses détails. J'ai allumé les bougies, j’ai placé la figurine sur mon ventre et j'ai bu ce qu'il restait de la décoction. J'ai récité le poème en latin qui était donné par le grimoire. Il m'a alors semblé qu'un ouragan m'emportait : le vent sifflait à mes oreilles, tellement fort que j'ai cru que plus rien n'existait hormis ce long chant assourdissant ; peut-être était-ce cela, le commencement d'un univers ? Le plus étonnant c’était que le souffle paraissait se concentrer vers moi. La tornade centrée sur mon nombril me donnait un tel tournis que je me suis évanouie.

À mon réveil, j'étais emplie d'une forte émotion d'amour. Quelque chose de quasiment insupportable dans son intensité, des larmes coulaient de mes yeux et mon cœur semblait mesurer plusieurs mètres de diamètre à l'intérieur de ma poitrine. Une pulsation de lumière dorée en émanait, je suis allée me contempler dans un miroir : cela ne se voyait pas.

Mon sentiment se portait vers mon ventre, sa jolie rondeur, la chaleur qu'il contenait et le petit être dont je sentais les mouvements de temps en temps. Il me portait aussi vers l'autre côté du palier. J'ai suivi l'impulsion qu'il me donnait et j'ai frappé chez Vincent. Il a écarquillé les yeux quand je suis entrée. Il est tombé à mes genoux, a posé sa tête contre moi et s'est mis à pleurer lui aussi. Il enlaçait mon bassin. Je l'ai relevé et nous sommes restés très longtemps dans les bras l'un de l'autre, savourant cette magie qui distillait entre nous trois.

Quelques jours plus tard, les premières contractions. Vincent m'accompagna à la maison de naissance, avec la ferme intention de me tenir la main jusqu'au bout. Je n'avais pas eu de préparation à l'accouchement à cause de mes aveuglements mais je savais que je ne voulais pas être allongée sur une table, à pousser vers le haut en dépit du bon sens. J'avais juste eu le temps de rencontrer les personnes qui y travaillaient et de vérifier que ma grossesse était compatible avec l'établissement.

La sage-femme m'aida à trouver une position qui me convenait. Mon compagnon semblait perplexe, cela ne correspondait pas aux quelques connaissances qu'il possédait sur la question. Elle lui proposa de me soutenir au niveau des épaules. J'aurais préféré qu'il continue à tenir ma main pour que je puisse lui broyer encore les phalanges à chaque salve de douleur traversant mon utérus. Je me contentai donc d'enfoncer mes ongles dans mes propres paumes. Elle lui demanda ensuite de me masser le bas du dos pour soulager les contractions.

Finalement, comme je poussais certains cris que j'imagine déchirants à ses oreilles, il se trouva mal. Notre praticienne l'installa sur un divan un peu plus loin, le cacha derrière un paravent et revint vers moi pour m'aider à m'accrocher aux lianes de suspension. Je ne m'en trouvai que mieux, ayant de nouveau quelque chose à torturer entre mes doigts. Je ne sais pas combien de temps l'épreuve dura, j'étais dans un état second, voire tiers. Je ne sais pas non plus si Vincent resta évanoui jusqu'à la fin ou s'il se fit discret pour ne pas avoir à revenir nous aider. Ce n'est pas important, si c'était le cas je lui pardonne.

Ce dont je suis certaine c'est qu'à la fin de tout, quand la tête de notre bébé m'apparut, à travers les brumes de mon esprit, il me sembla voir le visage de ma grand-mère, encadré de ses petites boucles châtain. Et je peux affirmer avec une conviction inébranlable que je vis les lèvres de cette petite fille nouvellement née remuer et prononcer ces mots : « Eh bien, ma fille, tu en as mis, du temps ! ».

Vincent, immédiatement sous le charme du bout de chou, ne fit pas de difficultés à ce que nous l'appelions Célestine.

Je me référai au grimoire aussitôt rentrée à la maison. Une conviction m’emplissait : le lien entre ce livre et la vie de ma petite. Il serait donc mon meilleur allié pour l’élever et l’instruire. À mesure que je le relisais, la compréhension se fit jour en moi : j’avais été la proie de sortilèges et de faux-sens. Quelle naïveté d’avoir pu croire que le livre qui m’avait poussée vers mon voisin m’aiderait à avorter !

Je saisissais à présent que « faire venir le sang » se référait au sang de mes ancêtres. Quant à « réunir » ce qui est séparé, cela se rapportait évidemment à l’âme de Célestine. C’est ainsi que je fus intégrée dans la grande lignée immortelle que constituait ma famille.

Je suis vieille désormais, et Vincent est parti depuis longtemps. Cela n’a pas d’importance, il n’était qu’un vecteur. Célestine et moi avons beaucoup étudié le grimoire tout au long de notre vie, nous y avons même ajouté quelques pages. Je sais que je n’ai plus longtemps à vivre mais la mort ne m’effraie pas, car elle ne sera que temporaire. Mon corps lourd et perclus m’excède. L’un des fils de Célestine va bientôt se marier. J’ai bon espoir de rendre mon dernier soupir avant que sa femme tombe enceinte...


Texte publié par Lilitor, 26 mars 2020 à 19h33
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