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tome 1, Chapitre 9 « 1900 - Félix et Jeannette » tome 1, Chapitre 9

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Chapitre 9

1900 - Félix et Jeannette

" Eloignez vous de la bordure du quai, s'il vous plait !

Les voyageurs pour Pontarlier : en voiture !"

Le train desservira les gares de Morez, Champagnole et la Rivière-Drugeon !"

Elle traversait la forêt de la Joux, la nouvelle ligne de chemin de fer ! Une grande travée déboisée la coupait d'ouest en est. Le sifflet strident des locomotives à vapeur nous faisait frémir et le panache de fumée noirâtre nous faisait tousser .... enfin presque !

Sur la route, le soir, c'étaient les phares des automobiles qui éclairaient l'orée du bois comme en plein jour. Du bruit, des fumées, des escarbilles, ce monde devenait fou !

A la nouvelle gare de Champagnole, en ce printemps 1900, Félix et Jeannette descendirent sur le quai, une valise dans une main, un grand sac dans l'autre. Pour la première fois, ils voyageaient en train. On leur avait dit qu'à trente kilomètres à l'heure, la vitesse vous chamboulait le coeur ! mais tout s'était bien passé. Avec son canotier sur la tête et ses petites lunettes, Félix avait un sourire satisfait. Sa jeune épouse à son bras, il comptait s'installer ici. Il avait décroché un emploi dans une des nombreuses imprimeries de la vallée. Il savait ranger les petites lettres sur leurs tablettes de bois et passer le rouleau d'encre pour imprimer les journaux qui au début de ce siècle, informaient les braves gens.

C'en était fini de la noblesse. Le monde se partageait entre haute ou petite bourgeoisie et les roturiers qui devenaient petit à petit, la classe ouvrière.

Félix demanda son chemin en sortant de la gare. On lui indiqua une belle allée de platanes, ensuite il fallait tourner au garde-barrière, franchir les rails et puis aller tout droit au centre-ville. Jeannette trottinait dans ses bottines avec des "talons- bobine" à la mode de 1900, malgré le poids de ses bagages , trop contente de venir vivre ici. Elle imaginait déjà la petite maison que la grand-mère de Félix, décédée l'année dernière, leur avait laissée en héritage. Ils firent une halte à la quincaillerie où on devait les renseigner et leur donner les clés puis ils repartirent sur la Grand'rue, la plus animée de Champagnole. Des charrettes manquaient de les bousculer, il fallait éviter le crottin des chevaux, le klaxon d'une belle De Dion-Bouton les fit sursauter et ils se plaquèrent contre le mur, pour la laisser passer. La poussière leur piquait les yeux car si dans les grandes villes, le goudron faisait son apparition, les rues d'ici restaient sableuses, caillouteuses et par endroit, mal pavées.

Ils finirent par arriver de l'autre côté du bourg, au 4 sente des lavoirs. La maison basse donnait sur une pauvre cour. La moitié du toit était de tôle, les volets en piteux état. Félix posa ses bagages pour ouvrir la porte de bois puis tentant de cacher sa déception, sourit à Jeannette et lui proposa de suivre la tradition. C'est ainsi qu'il la porta dans ses bras pour franchir le seuil de leur nouvelle maison.

Un an plus tard, on entendait brailler un nouveau-né, Pierre il s'appelait. La cour était plantée de lauriers, de capucines, les volets bleus comme les tuiles rendaient l'endroit chaleureux. Félix, Jeannette et leur bébé faisaient bien sûr des balades en forêt. Dans la clairière une large souche leur servait pour changer les langes de Pierre. Le sapin ébouriffé était trop vieux, les bûcherons l'avaient coupé. Il n'a donc pas vu ce monde changer à si vive allure. Une époque était révolue. Après la Révolution du 14 juillet 1789, en arrivait une autre dans ce pays : la Révolution industrielle.

Je suis un bel épicéa, bien dense et bien vert, déjà grand et majestueusement posé sur l'autre côté de la clairière. Je suis habitué aux mouvements et au rythme trépidant de cette ère, aux bruits des scieries qui débitent les sapins, mes frères, aux wagons de marchandises qui emportent les planches ; la Loue se repose et aussi ses bateaux. Pour tout ce modernisme, les hommes "vont au charbon " et on dit que dans le nord, ils travaillent dur comme mineurs de fond. Car elle est curieuse cette destinée qui, apportant le progrès et le confort aux hommes, les condamne à un labeur de damnés.

Félix verra bientôt les grosses rotatives remplacer le travail manuel. La mécanique des machines triomphaient et changeaient peu à peu chaque métier. Il allait au travail à vélo, et par les soirées d'hiver, il rentrait à la lueur des réverbères. La "fée électricité" illuminait le monde et nos troncs devenus poteaux, portaient de ville en ville, les fils électriques, puis à peine plus tard les fils téléphoniques. A la TSF, ancêtre de la radio, Jeannette écoutait les chansonnettes de l'époque "Viens poupoule , viens poupoule" ! Tandis que Félix posaient des 78 tours, ces premiers disques de cire, épais et lourds, sur son gramophone et par le pavillon en forme de large corne d'abondance, il savourait Bach, Mozart, Beethoven mais aussi après la musique des compositeurs d'avant, les musiciens du renouveau qui fréquentaient d'ailleurs les impressionnistes, Debussy et Satie. Ce début de siècle apportait les usines, les fumées mais en contrepartie, la musique entrait dans les foyers.

Félix commençait à écrire. A force d'imprimer les textes des autres, lui était venu l'envie d'essayer. Marguerite Duras écrira plus tard : "Ecrire, c'est savoir ce que l'on écrirait, si l'on écrivait ! ". Etonnamment, les premières pages qu'il noircissait étaient des contes pour enfants. Pour son petit Pierre âgé maintenant de quatre ans, mais peut-être aussi que pour l'ABC de son art, il lui semblait qu'écrire pour la jeunesse était approprié. Bien sûr en 1900, on écrivait sur du papier et il utilisait un porte-plume. Il avait une petite boite en carton, "Sergent Major" était écrit dessus. Il trempait la fine plume de métal dans un flacon d'encre en forme de cube ou avec un petit côté hexagonal...

" Petit Pierre mit ses bottes et son ciré, pour sortir dans la clairière, par un après-midi de février. Il adorait lever le nez en l'air pour admirer les sapins bleus et verts. La forêt était un sanctuaire, où l'on gardait cachés de grands mystères. Petit Pierre était toujours impressionné quand dans les allées forestières, il venait se promener. Il savait resté immobile pour observer les fourmis en long cortège et se faire tout petit pour voir passer les chevreuils ou les sangliers. La forêt est pleine de danger disait son père, ne va pas trop loin ! Mais Petit Pierre connaissait chaque sentier et la forêt l 'aimait bien. "

La fraîcheur de cette prose, si simple et si sincère, nous touchait et nous ravissait le coeur. Et c'était un plaisir quand Félix et Jeannette rejoignaient en toutes saisons la clairière, Pierre baguenaudant sur leurs talons. Il ramassait de petites brindilles pour pousser les scarabées, s'amusait d'une chenille et repartait avec un bouquet de jacinthes des bois. C'était un enfant solitaire, profond et émouvant tout à la fois. Parfois c'est lui qui soufflait des sujets à son père, qui bien sûr obéissait avec joie .

- "Papa, raconte la ferme, les vaches, le lait que nous sommes allés chercher. Dis, tu veux bien ? "

Et Félix prenait son porte-plume et regardant un instant le ciel, cherchant par quel mot débuter, il couchait alors, sur le papier, sans s'arrêter toute l'histoire qui doucement s'écoulait. Il racontait le pot au lait, la race montbéliarde, ces vaches marron et blanches de Franche-Comté, le nouveau tracteur qui était commandé tout comme les machines qui modernisaient les moissons. "C'est en forgeant que l'on devient forgeron ! " Ce vieil adage est vrai pour les apprentis-écrivains. Et au fil des années, Félix affinait son style et ses récits s'amélioraient. Il ne savait pas qu'une dizaine d'années plus tard, après une grande période de paix, la vie de Champagnole serait totalement bouleversée et qu'une terrible guerre serait déclarée...

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Merci à Yumon pour cette "liste spéciale 1900 ", qu'il a bien voulu nous concocter. Et j'ai suivi son conseil de pouvoir utiliser les mots dans l'ordre que je voulais. C'est vrai que cette liberté rend encore plus agréable l'écriture. Je pense que pour les chapitres suivants, c'est ainsi que je procéderai. Le conseil était précieux, merci. Voici sa liste précise :

vélo, sanctuaire, vaches, tôle, platanes, goudron, voiture (sens de wagon), automobile, phares, lettres, noirâtre, paix, panache, encre, mécanique.


Texte publié par Lisa D., 20 mars 2020 à 11h06
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