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tome 1, Chapitre 5 « 1678 - Pedro » tome 1, Chapitre 5

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Chapitre 5 -

1678 - Pedro.

- " Regarde comme nous serons bien ici ! Cette clairière n'est-elle pas jolie ? Mais c'est le paradis !!"

Ce matin là, en plein coeur de l'été, trois roulottes sont arrivées. Nous les avons vu s'installer et plusieurs hommes ont dételer les chevaux, après avoir placé leurs drôles de maisons autour d'un espace en forme de triangle. C'était un groupe de gitans, toujours allant par les chemins, car vous connaissez sans doute, la légende qui rappelle la nuit des temps :

Après le grand déluge, tous les hommes vivaient sur des bateaux. Pas de terre. Elles étaient toutes sous les eaux. Et puis, peu à peu, des îles, des contrées et puis des continents entiers ont émergé. Les hommes ont délaissé leur bateau pour se bâtir une maison. Mais pas les gitans. Ils ont mis des roues à leurs bateaux pour continuer à voyager. Et ils parcourent toujours les routes, depuis l'origine des temps.

Bien sûr, je ne connaissais pas cette histoire, ce sont mes aînés, les grands sapins qui me l'ont racontée. Je suis devenu un beau sapin bien que je reste ébouriffé !Le grand sapin deux fois centenaire est mort à près de 250 ans ! Il est tombé dans la poussière, un jour de trop grand vent. Il ne reste de lui, que son souvenir dans nos mémoires d'arbres et une souche tranchée nette, quand les bûcherons sont venus le débiter. Elle fait bien vingt pieds de large. Tôt le matin, les lapins viennent y prendre le premier soleil. Des oiseaux y posent parfois leurs pattes, fauvettes ou bergeronnettes et c'est maintenant Pedro qui s'y allonge de tout son long, mains jointes sous sa tête, regardant le bleu étincelant de ce beau ciel de juillet.

Pedro n'est pas un écrivain, mais c'est un poète. Il écrit peu, il retient tout par coeur. Il sait bien raconter les histoires, mais il compose surtout des chansons et cherche des accords sur sa guitare, comme on l'apprend très tôt, chez les gitans. Il a le teint plus foncé que tous les gens d'ici.

Il faut dire que les hommes de ce siècle, bougent sans cesse et courent en tous sens.! Le petit bourg de Champagnole n'est que peu de chose maintenant. Et bien rare celui qui vit son âge en restant dans son village. Pour nous peuple immobile, cette métamorphose est bien difficile à comprendre.

Par traité, Champagnole appartient maintenant à une province française : la Franche-Comté. De grands axes ont été tracés. Les calèches, les diligences traversent le pays. Il y a même des troupes de soldats, mousquets à l'épaule qui passent dans la forêt de la Joux, et un jour, on s'en souvient encore, vinrent les mousquetaires du Roi. Evidemment à Champagnole, un relais de Poste fut bâti et aussi, la grande hostellerie : "Le lion qui dort". Les voyageurs peuvent y laisser leurs montures fatiguées et repartirent le lendemain avec un attelage neuf ! Sur la grande voie qui va de Pontarlier à Lons le Saulnier en longeant la forêt, on voit passer des colporteurs, des commerçants et de longues charrettes chargées de troncs, car hélas on voit venir les prémices d'une industrie forestière ! Les hommes coupent à tour de bras de grands arbres, il exploite la forêt, mais pour l'instant, heureusement il n'y a que des bûcherons avec leur hache ou des scieurs de long. Prévoyants, ils plantent aussi des sapins pour les autres générations, qui disposeront ainsi de grands troncs, comme ceux destinés à devenir mâts des grands navires.

J'ai entendu des voyageurs faisant une halte dans ma clairière, raconter les vagues et les paysages de mer. J'ai rêvé avec eux, en écoutant ces récits de marins, j'ai imaginé les grandes voiles blanches, et le tronc de mes frères sapins servant une noble cause et promu " Grand 'mât" ou bien "mât de misaine ". Quel avenir glorieux, que de pouvoir sillonner les mers, sur un prestigieux trois-mâts du Roi Soleil !

Mais pour l'heure, il fait bon vivre aussi dans ma clairière, surtout au crépuscule quand Pedro prend sa guitare et improvise une sérénade devant le feu. Mille petites bêtes attirées par la lueur des flammes, volent deci, delà tantôt dans l'ombre, tantôt éclairées. Les femmes et les hommes qui l'accompagnent frappent des mains, en saccadé, et certaines gitanes à la robe rouge et ample, nous offrent une danse, le dos cambré, le visage tourné vers le ciel étoilé, leur longue chevelure noire doucement balancée, tapant le sol de petits pas serrés. A cette heure où commence la nuit, le peuple des grands bois s'est endormi, mais je soupçonne quelques renards d'observer la scène tapis sous les branches basses et ici c'est un groupe de corbeaux qui les regardent du haut d'un grand hêtre gris et je ne distingue aussi, que par instant, des trottinements de mulots ou de souris. Ce n'est que quand la musique s'arrêtera pour ne laisser à entendre que le joyeux crépitement du feu, que je remarquerai sous les feuillages, s'éloigner dignement la ramure d'un grand cerf qui jusque là, observait la scène de loin. Car la forêt sera toujours l'abri de toute une multitude de bêtes, petits ou grands animaux, qui contribuent au charme et à l'équilibre de nos grandes forêts....

Le lendemain matin, nous fûmes réveillés brutalement. Le vent se déchainait et le ciel de juillet était noir de nuages. Je vis les femmes renter en hâte les chemises et les robes qui séchaient sur des cordes. Mais je vis surtout mes frères sapins affronter le grand vent. Il faut dire que les arbres plantés en lisière de forêt sont plus résistants au vent, que les autres. Le sapin centenaire planté en première ligne, au bord de la clairière, faisait un écran à la rangée protégée derrière lui. Le vide qu'il laissait, nous rendait tristes mais aussi vulnérables. Nous n'étions pas habitués à prendre les rafales de plein fouet et il faudrait des années pour que nous nous renforcions devant ces vents si puissants. Par chance, aucun tronc ne chancela. Et bientôt on vit sortir des roulottes, la famille gitane qui ne constata que bien peu de dégâts. Par contre, ce ne sont pas des nuages noirs qui obscurcissaient le ciel, mais une fumée épaisse venant de Champagnole. Le village, fait de maisons de bois, était en train de brûler. Les vents avaient attisé les flammes. Avec de bien petits moyens, les habitants tentaient de maîtriser l'immense incendie, mais c'est quasiment tout le bourg qui était devenu brasier !

Les flammes nous font si peur, à nous les arbres. Il n'y a que le feu de camp de Pedro qui pour nous a du charme. Les gitans ont bientôt attelé leurs chevaux et la file des trois roulottes a quitté la clairière, pour reprendre la route. De loin j'ai vu cet ami aux cheveux noirs, dont nous garderons la mémoire, jeté un dernier regard vers les sapins, les sous-bois, la souche centenaire où il s'était souvent assis avec sa guitare. Lui aussi, doit garder dans son esprit, mille et un lieu magique qui jalonnent son parcours de gitan....


Texte publié par Lisa D., 17 mars 2020 à 11h10
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