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tome 1, Chapitre 4 « 1541 - Pauline et Gilles. » tome 1, Chapitre 4

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Chapitre 4

1541- Pauline et Gilles.

En 1541, j'étais deux fois centenaire ! Je dépassais de vingt pieds mes congénères. J'étais le plus grand sapin de la forêt de la Joux. Celle-ci, par contre, rapetissait comme peau de chagrin.

On entendait dans les frondaisons, la hache et la scie des bûcherons. Depuis des décennies, les arbres finissaient, un à un, en bois de chauffage, en meubles ou en poutres de charpente. Le bruit de la cognée nous terrorisait et le grincement de la scie maniée par deux hommes, l'un tirant, l'autre poussant et inversement, était un supplice. Alors, au bout de toute une journée, le tronc martyrisé s'affalait de tout son long, faisant vibrer le sol et le tréfonds de nos coeurs.

Des dizaines d'hectares de forêt avaient ainsi disparus. Les hommes étaient de plus en plus nombreux, avec à leur tête, un roi nommé François et il prônait "La Renaissance". Nous rigolions doucement, en silence, nous les sapins, les ifs et les charmes ; en ce printemps 1541, les humains semblaient découvrir ce que nous connaissions depuis que le monde est monde : la Nature qui renait, la Nature source d'équilibre, d'inspiration et de paix.

Les cloches du monastère sonnaient toujours mais elles rythmaient moins les jours. Le Dieu des humains paraissait moins puissant et ce n'est plus les moines qui venaient nous rendre visite, mais de jeunes damoiseaux accompagnés de leur belle. La forêt était domestiquée. De Champagnole à ma clairière, il y avait maintenant plus de prés à traverser que d'espaces boisés et il nous était parfois difficile de communiquer, tant étaient larges, les allées cavalières.

En effet, savez-vous que par leurs racines qui s'étendent, sous la terre, comme des tentacules, que complètent les filaments microscopiques des champignons, tel un immense réseau informatique, les arbres peuvent communiquer et s'entraider ? Les hêtres vivent en famille. Le cèdre lui, est plus solitaire. Dans le clan des bouleaux, quand l'un est en souffrance, ses voisins lui apportent nutriments et réconfort. Et chacun veille sur les jeunes pousses de la génération suivante. A mon pied pousse un petit sapin ébouriffé que j'encourage comme mon héritier. Bientôt, je ne serai que du bois mort et il pourra me succéder. Quand je tomberai sous les coups de hache ou lors d'une tempête, c'est tout une part de mémoire, celle des hommes et de leurs ancêtres, qui disparaitra avec moi. C'est Guillaume qui ainsi sombrera dans l'oubli une seconde fois et son fils, Martin qui venait jouer près de moi. Et le fils de son fils, moine celui-là, qui chantait des "Avé Maria" dans la forêt, d'une si belle voix. C'est Louis qui venait me lire ses histoires et Benoit, botaniste autant que nouvelliste ! Ses récits ne parlaient que de fleurs, d'étamines jaune citron et de feuillages vert olive ! Un poète à sa façon, comme Thibault bien sûr, que j'oubliais de citer !

Depuis peu, c'étaient des demoiselles qui venaient en forêt, montant les selles de leurs chevaux, en amazone. Un banc de pierre avait été installé dans ma clairière et il n'était pas rare, aux beaux jours, d'y voir une brodeuse assise. D'autres maniaient la quenouille, filaient la laine à la navette, enroulaient des pelotes. D'autres encore apportaient un livre ! Les récits des écrivains pouvaient être, dorénavant, imprimés ! Comme les hommes faisaient des progrès !

Depuis plus d'un mois, je sers de point de rendez-vous ! Rendez-vous galant, s'entend ... Il est jeune, beau, les cheveux fous. Elle est fine dans ses robes de velours et ils se parlent d'amour. Bien sûr, ils n'osent pas se toucher, mais il lui fait sa cour. Pourtant un matin où ils venaient plus tôt, un animal, surpris, a bondi dans les hautes herbes. Je crois que c'était une belette. La demoiselle a sursauté, apeurée, se réfugiant contre son bien-aimé. Saisissant l'occasion et la taille de sa mie, il l'a retenue un moment, blottie contre lui.

C'est le roman éternel, celui de la vie où à la saison des amours, les fiancés murmurent à l'oreille de leur dulcinée, les mots qui émerveillent et la tête, font tourner. Mon écorce est trop rugueuse pour être gravée, mais à cette époque, sur des dizaines de troncs, des coeurs, ils ont dessinés, mêlant les lettres de leurs noms : Pauline & Gilles.

Pourtant quelques semaines plus tard, on entendait crier dans ma clairière, le ciel était si bleu ce jour-là, mais je voyais l'orage dans les yeux de la demoiselle. L'écho de sa gifle résonnait encore au fond des sous-bois, le jeune homme avait des manières qui ne lui plaisait pas.

Elle, si fine, à l'élégance de ballerine, était devenue l'espace d'un souffle de vent, une panthère indomptable, toutes griffes dehors, hurlant contre le malhabile qui voulait trop vite, de son corsage, dénouer les rubans. Elle lui tourna le dos et partit aussitôt et il resta là, la joue en feu, l'air piteux et le doux bruissement de nos feuillages ne parvint pas à le consoler.

Gilles revint les jours suivants et je l'observais essayant d'écrire un billet à sa Pauline, cherchant ses mots, hésitant.

En ma sève, qui est à l'arbre autant son sang que son âme, je me disais que si Thibault pouvait être là, il saurait bien lui souffler les mots. Mais voilà, le pauvre mit une semaine pour écrire quatre lignes ! Bien que curieux , son style maladroit semblait charmant mais quand il lut son doux billet à haute voix, mes frères sapins et moi, nous avions bien du mal à ne pas nous plier de rire :

Pauline, ma fleur, ma biche.

Quelle ne fut pas ma surprise de te voir si en colère !

Reviens avec moi contempler notre clairière.

Quitte ton air courroucé,

Redeviens ma bergère.

Pour toujours, nous pourrions, nous aimer Gilles

Il avait mis du coeur à l'ouvrage et repris maintes fois ses brouillons. Mais hélas, les mois passaient et jamais à deux, ils ne venaient.

Seul, il passait ses rages en saccageant les bosquets. Il brisait des branches, frappait les rochers, lançait au loin, les pommes de pin. Et le temps aidant, il maudit la belle qui se refusait et n'appelait plus son nom dans la forêt. Je crois même qu'il lui avait donner un surnom : Fleur d'épine ! et le lendemain, c'est au bras d'une autre qu'il vint, fine dans sa robe de lin.

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Merci à Sizel de m'avoir prêté ses mots : tentacule, olive, navette, velours, belette, éternel, maison, oreille, crier, ballerine, fleur, surprise, contempler, courroucé, ouvrage.

Au chapitre 5, nous passerons sûrement au siècle suivant !


Texte publié par Lisa D., 16 mars 2020 à 17h40
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