Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 3 « En suivant Thibault ... » tome 1, Chapitre 3

x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!

Chapitre 3

En suivant Thibault

Nous avions laissé Thibault au fond de son cachot et le voici sur la route de Champagnole, à nuit tombée, tout chamboulé, un voile de larmes dans les yeux :

- "Qu'ai-je fait, Mon Dieu !

Mon Dieu ! Comment ai-je pu trahir ainsi Guillaume ! Je suis un infâme promis pour l'éternité aux souffrances des Enfers ! "

C'est ainsi que tournaient dans sa tête tandis qu'il avançait au hasard, sur le chemin caillouteux baigné d'un rayon de lune, toutes les pensées amères qui le torturaient.

Il faut dire, qu'une ou deux heures plus tôt, son fidèle ami Guillaume était venu le secourir, peiné de le voir enfermé avec si peu à manger. Enfreignant la règle, au milieu de la nuit, muni d'une chandelle, il avait pénétré dans les cuisines endormies pour prendre une demie-miche de pain et trois belles pommes dont il avait rempli un sac de toile. Puis, après avoir descendu l'escalier de pierre, il avait fait glisser les trois lourdes targettes de la porte de la cave.

Réveillé par ce bruit inattendu, Thibault avait vu la lueur du bonheur éclairer tout l'espace !

Bien sûr, il serra Guillaume dans ses bras et c'est dès ce moment-là qu'il vit, face à lui, la porte restée ouverte sur la liberté....

Bien sûr, ils échangèrent nouvelles et victuailles, mais très vite Guillaume, rassuré, disait :

- " Maintenant, Thibault, il faut que je m'en aille..."

Alors, perfidement et il en pleure encore de honte, Thibault sous un faux prétexte l'avait retenu. Puis n'y tenant plus, grisé du parfum de la liberté, il s'était rué vers la porte entre-baillée et l'avait refermée derrière lui en tirant, la mort dans l'âme, une des trois targettes. Cette nuit-là, c'est Guillaume qui se retrouvait prisonnier ! Thibault savait que son ami l'aurait empêché de partir, il savait aussi que demain les moines comprendraient la méprise. Mais son ami risquait alors d'être puni à son tour, pour sa désobéissance. Des larmes sincères diluaient la crasse sur ses joues, l'appel de la liberté avait été si fort ! Comment y résister ! Et c'est pour cet élan vers un autre avenir, pour cette si forte envie de vivre, qu'à présent, encore, il avançait au prix d'âpres efforts pour s'éloigner au plus vite de son ancienne vie et ne pas risquer d'être retrouvé.

Dans son amertume, il pleurait aussi son écritoire et sa plume, qu'évidemment il n'avait pas pu emporter :

- " Ah ! Le malheur est sur moi ! A quoi me sert d'être libre d'écrire, moi qui n'est plus ni encre, ni parchemin ! C'est qu'il se rit bien de moi, le diable, le Malin !

Mais tout en marchant et en se lamentant, Thibault avait bien parcouru huit lieues et quand l'aube éclaira l'horizon d'une teinte écarlate , à ses tourments vinrent s'en ajouter d'autres : il n'avait jamais quitter son village, il ne connaissait aucune contrée alentour et il redoutait de savoir ce que lui réservait ce paysage. En ces temps reculés, où le savoir se refusait encore aux hommes, on pensait que la Terre était plate. Si la cime des arbres pointait vers le Ciel et le paradis, mal définies, étaient les limites des Enfers. Prendre la route était une terrible aventure, le danger guettait à chaque carrefour, brigands de grands chemins, bêtes féroces ou créatures malfaisantes...

Un Dieu tout-puissant eut sans doute pitié de lui. Faut-il si durement le punir, celui qui souhaite ardemment un meilleur avenir ? Car une cloche se fit entendre, tintement discret, mais si familier que, tout à coup, la plaine s'en trouva égayée. Thibault se sentit sauvé ! Mais en même temps, se dit-il, comment rejoindre une communauté sans avoir à tout expliquer.... ? Toujours marchant, toujours songeur, il passa près d'un endroit du chemin, fait de glaise boueuse où les pattes d'un oiseau avait laissé très nettes, des empreintes ayant la forme d'un "Y" avec un petit trait supplémentaire. Ceci lui donna une idée. Il trouva une pierre plate et un morceau de bois fin, lissa la terre comme la surface plane d'un parchemin et put commencer à écrire. Quel apaisement que de pouvoir confier à l'écriture, toutes ses blessures. Si absorbé par son affaire, il n'entendit pas le cliquetis des sabots, le pas tranquille d'un cheval qui s'approchait. Il traça avec émerveillement :

Moi, Thibault, apprenti- écr...

- "Et bien, que fais-tu là, le nez contre terre ? "

Thibault en fut surpris et vite se releva. Il avait piètre allure : le visage barbouillé de noir, sur les épaules, sa couverture, à ses pieds, point de chaussures... L'homme qui le dévisageait, par contre, avait un bel habit et une épée, à son côté, étincelait. Il se pencha et commença à lire :

- Ah ça mais ! Tu ne payes pas de mine, mais tu as un trésor dans les mains...

- C'est que je ne suis encore, qu'apprenti-écrivain... dit doucement Thibault, n'osant regarder l'homme qui lui parlait de haut.

- Viens avec moi et peut-être que les choses tourneront mieux pour toi. Allez, Grenadine, en route !

Et c'est un curieux cortège qui traversa la campagne, un homme sur son cheval marchant tranquillement et un traine-misère le suivant pas à pas. Thibault se disait qu'un homme qui appelle sa jument "Grenadine" ne pouvait pas être mauvais et comme il ne savait où aller, se laisser ainsi guider était pour l'instant, la meilleure chose à faire... Il prit ainsi la route de l'exil, tantôt à pied, tantôt en haut d'une charrette de foin, toujours en suivant Grenadine et ils arrivèrent dans une seigneurie. Des paysans cultivaient les terres autour d'un magnifique château. Ceux-là portaient des fagots, ceux-ci des sacs de farine, plus loin tournaient les ailes du moulin. On traversa bientôt des jardins et le cheval s'arrêta au bord d'une prairie où une mère et ses enfants étendaient le linge :

- Dame Gauriette, pourriez-vous loger ce jeune écrivaillon et pour quelques temps lui offrir le couvert ?

- Comme il vous plaira Messire Gontran, dit la femme en esquissant un léger salut de la tête. En peu de temps, elle fit le bilan : donner un bain à ce manant, laver ses vêtements et lui aménager une paillasse, tout cela s'ajouterait à sa longue journée de labeur, mais la Dame avait bon coeur, Thibault s'en rendrait vite compte la semaine durant et c'est ainsi qu'il atterrit au château de Dramelay , à une grande distance de son ami Guillaume qui occupait encore, ses pensées et ses regrets.

Une semaine plus tard, il avait ses entrées au château. Messire Gontran, Duc de Dramelay lui avait fait donné plume, encre et parchemins de belle qualité et ses tâches étaient variées. Il devait noter les lettres qu'on lui dictait mais aussi de longs inventaires, la liste du mobilier, le compte-rendu mensuel des stocks alimentaires dont celui des denrées rares comme les épices ou les herbes médicinales... On était loin des lais bien tournés et des poèmes, mais Messire Gontran était un homme bon et Thibault voulait bien le servir pour, peut-être à la prochaine saison, espérer accéder à un rôle moins domestique. Il gardait au coeur, le désir d'être un grand poète et bien des années plus tard, son voeu le plus cher se réalisa.

Quand Thibault approcha de ses quarante années et qu'il était donc un vieillard, en ces temps ancestraux, ses écrits avaient circulé dans toute la province. Il faisait le renom du château puisque le seigneur des lieux, mort depuis longtemps, lui avait donné comme nom : Thibault de Dramelay. Nombreux sont les poèmes signés de sa plume. Certains parlent d'amertume. Car même s'il s'est élevé, Thibault n'a pas oublié que tout a commencé en trahissant Guillaume. Cette plaie ne s'est jamais refermée. Il n'a jamais revu son ami et quand, les jours de pluie, il repense à ses jeunes années, dans la clairière bordée de sapins, renait en lui une joie mêlée de chagrin. Ce doux souvenir douloureux, il l'exprime, dans son poème le plus connu : Fleur d'épine.

Thibault de Dramelay est mort, un matin de septembre, au Château. Paix à son âme.

x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!x!

Ce sont les 15 mots proposés par Codan qui parsèment ce texte, au fur et à mesure. Merci Codan : voile, lueur, parfum, écarlate, grenadine, exil, jardin, cheval, mère, distance, épices, saison, poète, pluie, château.

Si l'histoire de Thibault est terminée, dans le chapitre suivant, nous verrons que la mémoire des arbres traverse l'histoire durant des années et même des siècles, bien plus que le temps de nos petites vies de mortels...


Texte publié par Lisa D., 16 mars 2020 à 10h06
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 3 « En suivant Thibault ... » tome 1, Chapitre 3
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés