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Chapitre 2

1321 - Guillaume et Thibault

Après le déjeuner, Maître Mérance convoqua Guillaume et Thibault.

Dans la cour du monastère , il y avait grande agitation. Frère Constant emmenait à la forge de Champagnole, une mule chargée de bêches, de râteaux et de fourches qui devaient être réparés, tandis que des moines se regroupaient pour aller au Couvent de Pontarlier, prendre livraison d'une tapisserie abîmée que les soeurs avaient ravaudée : Le Christ au Mont des Oliviers.

Les deux garçons trouvèrent un chemin parmi toutes les robes de bure et montèrent les quelques marches qui menaient à la salle d'étude. Devant les pupitres, des moines faisaient leur travail de copistes et les quatre chandelles allumées faisaient briller les quatre tonsures des religieux penchés sur les Saintes Ecritures. Du fond de la salle, Maître Mérance les appela. Il avait à la main, deux parchemins :

- " Voici les dix mots pour l'exercice dont je vous ai parlé. Vous composerez chacun un récit champêtre, une histoire. Thibault, il s'agit d'une simple narration, laissez de côté votre imagination ! Vous avez jusqu'à demain, tout votre temps, pour écrire. "

Les deux apprentis remercièrent et filèrent, trop contents d'échapper aux sempiternelles prières. Ils prirent connaissance de la liste calligraphiée parfaitement par la main de leur maître. C'étaient les dix mêmes mots. Guillaume trouva vite comment les assembler et voici ce qu'il rédigea :

Selon la légende, un roi riche et puissant avait droit de chasse sur ses terres. Les serfs s'en désolaient car les chevaux du monarque et de sa suite, en poursuivant un renard ce jour-ci puis un cerf, le lendemain, saccageaient irrémédiablement les récoltes. Que la saison donne de beaux épis ou qu'ils soient pourris par les pluies, qu'importe ! De toute façon, battant les champs et les forêts pour ses chasses destructrices, le roi méprisait leur peine, détruisait le fruit de leur travail et c'est toujours famines et privations qui les attendaient, au bout du compte. Un vent de révolte soufflait sur les campagnes.

La légende raconte, qu'un jeune paysan voulant protéger le champ qu'il venait de semer, se rebella contre le roi : avec de grands gestes, il freina l'équipage et dès qu'il le put, il désarçonna le souverain, qui tomba de sa monture. Son bel habit ourlé de fourrure fut maculé de boue. Les chevaliers qui l'accompagnaient, outrés, maitrisèrent le cheval, le tenant par son harnais. Chacun redoutait la condamnation du roi, dès qu'on l'eut relevé. Elle ne se fit pas attendre ! C'est sur le champ que l'on fit pendre le pauvre diable qui avait osé défier sa majesté. Depuis ce jour, aucun vilain ne tenta de s'opposer au souverain.

Quand il lut ce récit, Thibault le trouva très réussi et c'est avec un petit sourire au coin des yeux, qu'il tendit ensuite à Guillaume ce qu'il avait écrit :

La légende du Roi des Serfs.

Un vilain fut élu : Roi des Serfs, par ses frères

Qui voulaient ainsi, saluer son savoir-faire :

Il savait oeuvrer des semailles jusqu'aux moissons,

Réussir la récolte, quelque soit la saison.

Son travail fini, il partait dans la forêt,

Pour parler au vent et composer des sonnets.

Des renards, il caressait la douce fourrure

Il rêvait, chantait et courait l'aventure.

Un beau jour, il quitta la boue et les labours

Pour dire ses vers et ses poèmes, à la Cour.

Car c'était un cheval libre quoiqu'il advienne,

Qui ne supportait ni le harnais, ni les rênes.

Quand Guillaume eut fini de lire, il était consterné :

- "Tu ne peux pas rendre ce parchemin à Maître Mérance ! Le premier quatrain va bien, mais ensuite notre maître sera très en colère de te voir prendre tant de libertés ! Thibault, on ne nous demandait qu'un simple récit champêtre...

- Je savais bien que tu ne me comprendrais pas ! Qu'y puis-je, si ma vraie nature ressort toujours de mes écritures ? Et pourquoi empêcher mon esprit créatif de s'exprimer ?

- Parce que nous devons obéissance et qu'on pourrait te priver de manger pendant deux jours, si tu t'entêtes à produire des histoires qui vont sans cesse contre la morale ! Comment veux-tu que notre maître tolère "cheval libre", "rêver, chanter, courir l'aventure "! Veux-tu que je t'aide à reprendre ton travail d'écriture ?

Mais Thibault, bien sûr, refusait de changer une virgule et quand , le lendemain, ils se présentèrent devant leur précepteur Guillaume, désespéré, n'avait pas réussi à convaincre son compagnon de modifier son texte.

La punition tomba tel un couperet, on s'en doute et elle fut plus dure qu'ils ne l'imaginaient : Thibault fut mis quatre jours au pain sec et à l'eau dans une cave obscure, sans une fenêtre, ni même un soupirail, avec juste une couverture de laine pour se protéger du froid et peut-être des rats.

Le sort était cruel en 1321, pour un coeur épris de liberté, pour un jeune homme inspiré qui ne voulait pas suivre, le chemin qu'on lui traçait...

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Dans ce chapitre -ci , j'ai utilisé les 15 mots de Loune (merci Loune) : forge, mule, tapisserie et 2 fois " légende, roi, serf, récolte, saison, forêt, vent, fourrure, boue, harnais" et parchemin, laine.

Dans le chapitre suivant, nous verrons ce qu'il adviendra du pauvre Thibault, dans son cachot...