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tome 1, Chapitre 4 « Joey » tome 1, Chapitre 4

Une fois rentré à la maison, mon père cria :

— Samaël !

Je ne l’avais pas entendu. À ce moment-là, moi, je jouais avec les chiens dans le pré. C'est ma mère qui lui dit où me trouver :

— Chéri ! Samaël est avec les chiens. Qui est cet homme ?

Arthur se présenta :

— Mon nom est Malory. Thomas Malory. Je viens du village voisin suite à la demande de notre père afin d'expier mon péché.

Mon père lui mit une grande claque dans le dos :

— Allons, allons, vous resterez bien crécher ce soir ?

— Oui très cher, bien sûr...

— Vous m'en voyez ravir mon vieux ! Samaël ! Bon dieu ! Qui m’a pondu un gosse pareil ?! beugla-t-il de nouveau en passant la tête par la fenêtre.

Les deux hommes se rendirent dans le pré et me découvrirent allongé dans l'herbe humide, en train de rire, un grand Saint Bernard me léchant la face et pleins d'autres chiens courant autour de nous. Mon père gueula :

— A la niche !

Les chiens détalèrent. Je me relevais, il me cria :

— Samaël, répond quand on t'appelle !

— Pardon père.

Il souffla, donna une troisième grande tape dans le dos d'Arthur et dit :

— Bref ! Je te présente monsieur Malory, il a des choses à te dire.

Je hochais de la tête, Arthur me dévisageait, une main dans son dos, le frottant dû à la douleur induite par mon père.

— T’a tué le cochon ?

— …

— Si tu me dis qu’il est encore en vie…

— Jean, jean l’a tué.

— Ca c’est mon fiston ! Bon bah restez pas là, rentrez donc à l’intérieur pour discuter. Samaël, tu demanderas à ta mère de servir un verre à notre invité.

Sur ces mots, mon père nous délaissa, impatient de voir où en était mon frère avec cette histoire de saucisson. Monsieur Malory et moi, nous retournions dans la maison où mes sœurs s’étaient faites embaucher pour préparer le souper. Nous nous installions donc à table et ma mère nous donna une cruche remplie à moitié d’eau, restant de ce midi, et deux bocks en bois. Il prit la parole :

— Je suis venu pour te demander quelque chose... As-tu, as-tu déjà souhaité la mort de quelqu’un ?

Ma mère, qui était là, l’interpellait :

— Qu'est-ce que vous racontez à mon fils, malotrus !

— Pardon madame mais je dois savoir.

Elle fulmina bien des mots à demi-voix, mais se retournait aux fourneaux pour finir le souper. Mes deux sœurs avaient à ce stade déjà mis la table et étaient parties chercher nos grands-parents.

— Du coup, -il se racla la gorge- tu n’as jamais tué quoi que ce soit, mais as-tu déjà souhaité que quelqu’un meure ?

— Comment peut-on souhaiter la mort de quelqu’un ? demandais-je désabusé.

— J'aurais une dernière question : Penses-tu que les êtres malades, qui ne peuvent pas mourir, mais qui aujourd’hui souffrent le martyr, ou encore les personnes âgées qui n'attendent plus rien de la vie, penses-tu que ces êtres-là sont heureux ?

Il m’avait posé cette question avec un ton grave, fixant mes yeux des siens sans jamais ciller, avec cette question, c’était comme si l’odeur de l’air et de la cuisine de ma mère s’étaient changé pour une plus fade et froide. Ma mère s’était même retournée vers nous. Mes grands-parents, qui étaient arrivés entre-temps, nous écoutaient sans bruit. J’inspirais calmement, tout en soutenant le regard inquisiteur de cet homme que je ne connaissais pas puis lui répondit en essayant d’imiter son ton :

— Non. Mais la faucheuse viendra les chercher, quand il sera l’heure. C’est comme ça qu’elle l'a toujours fait. Vous êtes bizarre monsieur...

Arthur à cette réponde s’était ébouriffé les cheveux. Il but une grande rasade d’eau, se leva en s’excusant de devoir s’éclipser deux ou trois minutes le temps d’uriner et sortit.

—Fais attention à ce que tu dis Sam’. me dit ma mère en posant le plat sur table.

—Il me fait peur mère.

—T’inquiètes pas. Je suis là et ton père n’est pas loin.

A l’extérieur, quand Perceval vit Arthur sortir de la maison seul, il ne put s’empêcher d’aller à sa rencontre. Arrivé à sa hauteur, il chuchota pour que personne d’autre ne l’entende :

—Tout se passe bien sir ?

—J’ai trouvé la nouvelle mort. répondit-il d’un ton solennel.

—Vous êtes sûr sir ?

—Le gosse que j’ai rencontré, Samaël, n’a jamais tué quelque chose de vivant, il doit avoir dans les seize ans et il n’a jamais pris la vie, ne serait-ce que d’un poulet. Il n’a jamais souhaité la mort de personne et s’en remet davantage à la faucheuse qu’à Dieu lui-même pour mettre fin aux jours des vivants en temps et en heures. Allez chercher la faux Perceval.

— Bien sir. A vos ordre sir.

Perceval repartit en bombant le torse, il ne restait à Arthur que d’attendre le retour de Perceval tout en me convainquant d’endosser le rôle de la mort.

Quand il revint dans la maison, les chiens étaient là, invariablement attirés par l’odeur des boudins frais que mon père avait ramenés. Jean s’était lavé, tout le monde était présent. Ma mère l’observait l’œil mauvais et mon père jouait aux osselets avec mes sœurs.

—Je ne vous ai pas demandé… osais-je dire en brisant le silence. Pourquoi vous me demandez tout ça monsieur ?

— Samaël... Mon crime... Que je dois expier… Je... J'ai tué une personne.

Ma mère claqua sa louche sur la table ce qui nous fit tous sursauté. Arthur pesait ses mots et suait à grosses gouttes. Il continuait son discours en étant sur la défensive.

— Mais, je n’ai pas tué n’importe qui. Tu me disais que la faucheuse viendrait s’occuper des vivants quand leur heure serait venue. Mais la faucheuse, c’est moi qui l’ai tué... La preuve que j'ai, c'est justement que les gens et les animaux ne meurent plus de manière naturelle. C'est ma faute...

Ces mots qu’avait prononcés cet inconnu avaient résonné en nous tous comme un coup de tonnerre. Ma mère, qui était d’un naturel sanguin vous l’aurez compris, s’élança et lui assainit une grande claque qui le fit s'effondrer au sol. Elle criait sur cet homme comme s’il avait s’agit de l’un de ses propres rejetons, ce qui ne manqua pas de m’effrayer :

— C'est à cause de vous ?! Et vous pensez que lui parler vous permettra d'expier votre péché ?!

On frappa à la porte, ma mère trop occupée à enguirlander notre invité me gueula :

— Samaël la porte ! Et vous osez discutailler à mon fils ?!

J'ouvris et je reculais. Un homme en armure entra dans la pièce. Au cliquetis de métal, ma mère s’était retournée intriguée et prête à hurler se stoppait net. Rouge de colère elle fit néanmoins une révérence, le chevalier à première vue surprit de ne pas trouver du regard quelqu’un ou quelque chose demanda hésitant :

— Messire ?

Notre invité se relevait alors :

— Ici, Perceval.

Ma mère contemplait à tour de rôle les deux personnes. Toutes les autres personnes, chiens compris observaient interdit cette scène incroyable : un chevalier dénommé Perceval était dans la demeure et avait demandé à voir un Roi.

Arthur fouilla dans son sac de lin, en extirpait sa couronne dont il s’affublait tandis que Perceval lui tendait son épée. Il s’en armait et reprit en s’adressant à nous :

— Je m'excuse de vous avoir dupé, Je suis Arthur Pendragon, Roi de Bretagne. mais maintenant, j'en ai la certitude, la personne que j'ai cherchée, c'est toi Samaël.

— Alors c’est vous… Enchanté jeune homme. dit le chevalier en s’agenouillant dans ma direction.

— Que lui voulez-vous exactement mon roi ? demanda timidement mon père qui peinait à saisir la situation.

Arthur s'agenouilla à son tour devant moi et déclarait en me fixant dans les yeux :

— Je veux qu'il devienne la grande faucheuse elle-même.

Remettant mes esprits en place, je répondis bégayant :

— Je... Je ne peux pas tuer...

— Je le sais Samaël, je te demande l'impossible. Cependant, tu es le seul qui saura accorder la mort à ceux qui l’attende avec impatience.

— Je... Je...

Arthur me tenait par les épaules et continuait :

— Tu es juste et bon, tu ne veux pas faire le mal. Zéro n'en faisait pas non plus et tout le monde la respectait. Tu ne seras pas le mal, mais celui qui apporte la délivrance à ceux qui la mérite.

— Je refuse ! Les gens continuent de mourir ! Ce que vous dites n'est que billevesées ! s’écriait ma mère des larmes lui obstruant la vue.

Arthur se redressa.

— Ma chère, les gens ne meurent plus de manière naturelle, seulement par la main d'autrui. Le peuple, que dis-je, le monde a besoin de votre fils.

Ma mère reculait d'un pas, mon père la rattrapait et enchaînait :

— Samaël est peut-être inutile et efféminé, mais je refuse qu'il joue la mort !

Arthur se retournait vers Perceval en lui demandant « de l’installer ». Alors le chevalier s’approchait de la table et commença à empiler quelques couverts pour se faire de la place. Arthur continuait :

— Samaël, le fardeau que je t'incombe est immense, je le sais et j'en suis navré, mais toi seul pourras le faire bien.

Ma mère reprit :

— Et pourquoi vous ne le faites pas par vous-même ?

— Je ne le peux, mes mains sont pleines de sang. Je ne tuerais que mes ennemis et viendrais peut-être à tuer des innocents pour que mon peuple soit le plus fort. Seul Samaël, vierge de tout crime, connaissant la vie telle qu'elle doit être vécue, peut le faire.

Mon grand-père avança et déclara :

— Mon roi, je suis désolé de vous dire cela, mais la mort ne pourra être Samaël, même s’il est juste et bon, il n'a pas ces pouvoirs...

Perceval avait déjà déposé sur la table un objet grand et large, empaqueté dans plusieurs couches de tissus. Arthur, tout en déballant l’objet me dit :

— Zéro m'a laissé ceci après sa mort. La faux de Zéro t'accordera les pouvoirs qu'elle eût quand elle était elle-même la mort.

A cet instant, je pris réellement peur. Mes parents étaient bouche-bée. Mon grand-père regardait l'objet en promenant au-dessus sa main sans pour autant la toucher disant :

— Alors, vous l'avez vraiment fait...

— Tu es au point de non-retour Samaël, ton destin se joue ici. Acceptes-tu la tâche que Zéro accomplissait ? m’intimait Arthur.

Je portais alors mon regard sur la faux. Moi qui n’avais jamais éprouvé d’émerveillement pour de tels outils, je me retrouvais le souffle coupé tant elle était belle. Je décrochais mon regard de la faux pour le porter sur ma mère, mon père, mes grand-mères, mes frères et mes sœurs. En dernier, je regardai mon grand-père. Ce dernier me regarda les yeux brillants et fatigués. Je regardais alors mes chiens, Joey, un labrador que nous avions depuis seize ans, me regardait et je compris dans ces yeux qu’il avait également compris. Joey attendait. Joey m’attendait. Des larmes coulaient lentement de mon visage, mais, je souriais, je regardais de nouveau mes parents, puis la faux, cette faux, d’un bois noir comme une nuit sans étoile, dégageait une douce chaleur. Mon être entier me criait de l’attraper.

— Zéro, l'ancienne mort, était une fille, elle devait à peu près avoir ton âge physique...

Je regardais Arthur sans vraiment comprendre. Comment la mort pouvait avoir mon âge physique ? Mon regard se portait alors une nouvelle fois et de manière instinctive sur mon grand-père puis Joey. Leurs yeux étaient semblables, luisant et fatigués. Ils avaient certainement compris ce qui allait se passer. Je regardais mes grands-mères qui étaient assises au fond de la salle, elles souriaient, des larmes coulant lentement sur leurs visages ridés. Je regardais mes parents, ma mère pleurait, mon père ne savait plus où il en était.

Si j’acceptais ce rôle, je pourrais sûrement continuer de vivre avec eux. Après tout, Arthur ne me l’avait pas interdit. J’attrapais alors la faux à pleines mains. Une grande cape noire, surmontée d'une capuche qui cachait mon visage, me revêtit quasiment instantanément et me réchauffa jusqu’aux os. La cape était vieille et rapiécée.

Aucun de mes chiens n'avait eu l'air surpris ou effrayé. Joey s'était même rapproché de moi les oreilles rabattues. Souriant, les larmes perlant telle une rivière sur mes joues, j’approchais instinctivement ma main droite devant lui. Je n’eus qu’à lui effleurer le front. Joey s'effondra. Ma mère se jetait alors dans les bras de mon père, refusant d’accepter la scène qui se déroulait sous ses yeux. Mon père bégayait des choses qui n’avaient aucun sens.

Perceval et Arthur m’observaient dans le respect.

Personne ne criait.

Aucun de mes autres chiens ne s’étaient alarmés. Je contournais alors la table en caressant les autres chiens et arriva devant mes grand-mères. Mon grand-père prit place aux côtés de sa femme qu’il embrassait une dernière fois et les trois m’adressèrent un regard fier et emplis d’émotion. Alors que des larmes perlaient sur mes joues, ma vision restait claire, je leur effleurais leur front, leur retirant leur âme. Ma mère s’était évité ce spectacle, mes frères et mes sœurs étaient à la fois effrayés et révulser par mes actes et mon père était sous le choc. Pourtant, depuis que j’avais empoigné la faux, personne n'avait rien dit.

Tous ressentaient des émotions qui se contredisaient, je portais alors un dernier regard sur Arthur et sans un mot, je disparus dans un sinistre craquement.


Texte publié par Yumon, 15 mars 2020 à 20h05
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