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tome 1, Chapitre 13 « La fin d'une époque - fin partie I » tome 1, Chapitre 13

Je n’aurais pas dû la fixer ainsi. Pourtant, la vue de son corps inerte, maculé de sang, me donnait envie de la scruter dans les moindres détails et de goûter le fluide qui tombait sur le parquet. Anja finit par me taper l’épaule, me ramenant à la réalité avant que d’autres pensées sombres ne m’accaparent.

— Il faut tenir les parents à l’écart, déclara-t-elle, des trémolos dans la voix. Redescendons.

J’obéis, tout en cherchant un moyen d’effacer les traces de mon crime. Tandis qu’Anja alertait Misha de la situation, je savourai la félicité qui m’envahissait. En tuant Ludmila, j’avais la sensation d’avoir effectué le meilleur choix.

Une fois dans le salon, elle tira le rideau afin de vérifier que les parents n’avaient rien remarqué.

— J’ai l’habitude d’utiliser le silencieux, expliquai-je.

— Moi non, grommela-t-elle. Tu n’aurais pas dû…

— Arrête, Anja. J’ai fait ce qui était nécessaire, alors que tu n’aurais jamais eu le courage de passer à l’acte.

Elle ne répondit rien, à ma grande satisfaction. J’avais raison et elle le savait. De nous trois, j’étais la meilleure et je n’osai imaginer ce qu’il se serait produit si je n’avais pas été là. Je m’assis tranquillement sur le sofa pour consulter mes messages. Rien de neuf, à l’exception d’un texto de Dimitrije.

— Dunstan, où est Dunstan ? s’affola Anja.

Je me relevai d’un bond, avant de constater que notre collègue ne se trouvait plus devant la maison. Les parents de Ludmila balayaient la rue du regard d’un air hébété.

— Nous… Nous ne savons pas ce qu’il s’est passé, expliqua la mère lorsque nous les rejoignîmes. Une ombre a surgi dans la rue, et nous avons eu à peine le temps de comprendre que votre ami la poursuivait, une arme à la main. J’ignorais que vous étiez venus armés, d’ailleurs…

J’échangeai un regard avec Anja, tout en dissimulant ma colère. J’avais bien répété à cet idiot de ne prendre aucune initiative sans mon aval. J’essayai de le joindre sur sa montre-portable, mais l’appel tomba aussitôt sur messagerie.

— Il n’a peut-être plus de batterie, suggéra ma collègue.

Tout était désert autour de nous. Je crus voir des volets s’ouvrir lentement, mais personne ne passa la tête. Maintenant, ou nous restions à occuper les parents de Ludmila, ou nous cherchions Dunstan. L’un comme l’autre, les risques étaient grands. Nous ne pouvions pas nous permettre de les laisser découvrir leur fille morte, car notre responsabilité serait engagée.

— Par où sont-ils partis ? demandai-je.

— Vers la sortie de la ville, je crois.

J’acquiesçai, en me souvenant que la direction indiquée par la mère correspondait au cimetière. Si l’après-midi battait son plein, il pouvait très bien croiser un vampir. Les buveurs de sang ne brûlaient pas au soleil, ils s’affaiblissaient seulement au contact des rayons. Rien ne les empêcherait de sortir de leurs tombes s’ils sentaient un peu de chair fraîche.

J’ordonnai à Anja de récupérer les armes. Puisque notre couverture n’avait pas encore sauté, nous pouvions fuir sans qu’il n’établisse le lien avec l’Agencija. De toute façon, la vie de Dunstan valait mieux qu’un problème de réputation. Misha résoudrait les problèmes, comme toujours.

Nous fonçâmes vers la sortie de la ville. Les parents nous observèrent sans comprendre, mais dès l’instant où ils furent hors de notre champ de vision, je brandis le pistolet que j’avais utilisé pour tuer Ludmila. Anja jeta en vitesse notre mallette dans la voiture, puis m’imita. Elle se plaça derrière moi, le corps tremblant.

Il n’y avait rien autour de nous : ni ombres ni Dunstan. Mon collègue était téméraire, mais assez intelligent pour ne pas s’enfoncer dans les bois ou le cimetière sans raison. Peut-être même avait-il rejoint la famille Pavlovic. J’hésitai à rebrousser chemin, à ne pas céder au pire, mais lorsque je dardai un regard vers l’entrée du cimetière, je discernai des traces de pas fraîches sur la terre.

— Reste collée à moi, murmurai-je à Anja.

Avant cela, j’activai la position de ma montre, au cas où un problème surgirait. Nous pénétrâmes à l’intérieur, prêtes à tirer au moindre bruit suspect.

— Dunstan ? appelai-je.

Aucune réponse. Plusieurs allées de tombes s’étendaient face à nous, la plupart recouvertes de mauvaises herbes. Certaines sépultures semblaient défoncées, signe qu’elles n’étaient pas entretenues depuis un moment. Les lieux s’arrêtaient à la lisière d’un bois, mais Dunstan ne se trouvait nulle part.

— Il ne s’est tout de même pas aventuré là-bas ? pesta Anja. Tout ça à cause d’une ombre…

— On s’avance jusqu’aux arbres, proposai-je. S’il n’est pas là, on sort et on parcoure la ville.

Je m’avançai sans attendre sa réponse, tout en fixant les tombes. Les vampiri étaient doués pour se dissimuler, aussi, ils ne laissaient aucune trace de leur passage. Impossible donc de se fier à l’apparence d’une sépulture ; défoncée ou non, le risque était le même. J’effleurai instinctivement la détente de mon pistolet, incapable de me raisonner.

Ce n’est qu’une hypothèse, ressaisis-toi.

La réputation de Medveđa me faisait voir des Cachés partout. Pourtant, je ne parvenais pas à me raisonner. Une peur glaciale s’immisçait en moi, plus pesante au fur et à mesure de notre avancée. À quelques mètres du bois, je stoppai net.

— Je m’arrête là, annonçai-je sans réfléchir.

— Il… il y a un problème ? s’épouvanta Anja.

— Mauvais pressentiment.

Le vent se leva, malmenant au passage les branches. Les feuilles crissèrent, et son souffle lugubre se transforma bientôt en plainte. J’entendis mon prénom et en voyant le visage d’Anja se décomposer, je devinai que je n’hallucinais pas.

— On se tire, obtempéra-t-elle.

Nous tournâmes les talons, le regard rivé vers le portail d’entrée. Quelque chose grinça derrière nous, suivi de bruits de pas. J’accélérai aussitôt, sans me retourner. Le vent s’amplifia et plaqua mes cheveux sur mon visage. J’eus à peine le temps de lâcher un juron qu’Anja disparut du paysage.

— ANJA !

Comment avait-elle pu se volatiliser ? Aucune ombre n’avait surgi ! Je pointai mon arbre, prête à tirer. Je me montrais rarement impulsive, mais je ne mourrais pas avant d’avoir retrouvé ma sœur.

Une silhouette se dessina soudain à quelques mètres de moi, recroquevillée. Au vu des vêtements élimés et de l’odeur rance, il ne s’agissait pas de mes collègues. Je discernai une pierre tombale ouverte, et la réalité s’imposa avec une telle force que je fus tétanisée. Mon corps ne répondait plus à mes injonctions, je demeurais prisonnière de la créature aux yeux d’argent. Les battements de mon cœur s’accélérèrent, mes poils se dressèrent sur ma peau. Je me morigénai de ne pas réussir à me libérer, de ne pas pouvoir appuyer sur la détente. Le vampir se mit debout, un sourire carnassier étiré sur ses lèvres.

Il ne ressemblait pas à Konstantin. Sa peau arborait une couleur violette, ses crocs luisaient malgré la lumière du jour. Sa silhouette était voûtée, même s’il semblait assez « jeune ». Il s’approcha de moi, l’intérêt gravé sur son visage. Mon souffle se coupa brièvement, et je rassemblai mes dernières forces pour tirer alors qu’il bondissait sur moi. La détonation me fit sursauter, mais le vampir fut éjecté en arrière. Je fonçai de nouveau vers le portail en priant pour qu’Anja ne se soit pas enfuie avec la voiture, mais quelque chose me projeta brutalement sur le côté. Je m’écrasai sur le sol en gémissant, tandis que mon pistolet se retrouva à l’autre bout du cimetière.

Jebem ti mater 1 ! hurlai-je.

Une ombre passa au-dessus de moi. J’agitai la jambe dans l’espoir vain de la blesser, mais je reçus un coup de pied dans le ventre qui me coupa la respiration. Un grognement suivit le choc, mais quelques secondes plus tard, quelque chose s’enfonça dans ma nuque et ce fut le trou noir.

***

— Svetlana ! Svetlana !

La voix me déchirait le crâne. Mes paupières étaient scellées et j’eus toutes les peines du monde à les ouvrir. J’avais plongé dans un trou béant, comme si l’on m’avait englouti vers les ténèbres. Une vive chaleur brûlait mon corps et lorsque je réussis enfin à bouger, je lâchai un hurlement.

— Svetlana ! cria une seconde personne.

Anja ? Dunstan ?

Je me remémorai les derniers souvenirs de notre expédition à Medveđa et réalisai que mes collègues allaient bien. J’aurais dû m’en réjouir, mais leurs voix criardes me filaient la migraine. Au prix d’un effort considérable, je réussis à ouvrir les paupières. Le délicat parfum d’Anja me chatouilla les narines et je salivai de plaisir.

— Svetlana, tu es vivante ! s’exclama Dunstan.

— Oh, tu nous as fichu une sacrée frayeur ! renchérit Anja en s’agenouillant près de moi. Figure-toi que les parents de Ludmila ont disparu, ils…

Je n’entendis pas la fin de sa phrase. Sa voix se transforma en gargouillement bizarre et la vue de ses douces veines me fit encore plus saliver. Son sang coulait à pleine vitesse, je l’écoutais battre. J’humectai mes lèvres, tandis qu’elle poursuivait son récit.

— Svetlana, l’interrompit Dunstan. Tu vas bien ?

J’acquiesçai, sans réellement comprendre le sens de sa question. J’avais froid, terriblement froid, au point de grelotter sous mon manteau. Mes mains couvertes de terre humide me grattaient. Pourtant, mon inconfort fut vite balayé par l’odeur du sang. J’avais faim, si faim. J’avais l’impression de ne pas m’être nourrie depuis des semaines et lorsque je fermai les paupières dans le vain espoir de m’échapper de là, l’odeur devint plus forte. Elle semblait si délicieuse…

— Elle ne t’écoute pas, grommela Dunstan. J’essaye de la porter, on quittera le village à pieds.

J’entendis mon collègue s’accroupir à son tour, et mes pensées s’embrumèrent. Le sang, je devais boire du sang. Mes doigts s’agrippèrent d’un mouvement à ses épaules et j’enfonçai mes dents dans sa pomme d’Adam. Il se débattit, mais ma poigne était trop ferme. Je le clouai à terre, sous les hurlements d’Anja dont les pas s’éloignèrent petit à petit de nous. Le goût du fluide vital me procura une félicité immense, comme s’il s’agissait du meilleur nectar au monde. Dunstan émit des gémissements, mais déjà, la lueur s’éteignait au fond de ses prunelles. Son dernier souffle s’échappa de ses lèvres et j’émis un grognement de plaisir quand son corps tomba sur le sol.

Je le lâchai, impressionnée par la force dont j’avais usé. J’entendis ensuite la respiration saccadée d’Anja, qui avait quitté le cimetière. Son parfum embaumait l’air chargé d’humidité, mais je sentis aussi sa transpiration. Tel un robot, je me relevai, puis partit à sa poursuite. Ma vue était plus nette, je discernai chaque détail, chaque goutte de pluie qui s’écrasaient contre mon visage, chaque feuillage, chaque morceau de terre. L’air fouettait mes joues, mais il était chaud, presque agréable.

En quelques secondes, je rattrapai Anja. Je bondis et la plaquai violemment sur la route. Elle lâcha sa montre-portable, où elle avait tenté de joindre Misha, et je mordis sa main, au point de l’arracher. Elle lâcha un hurlement à déchirer les tympans, mais le sang m’ôta une fois de plus toutes mes facultés.

1 : nique ta mère


Texte publié par Elia, 26 avril 2020 à 15h03
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