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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Le vent claque. Violent. Glacial. À l’image de la gifle que tu assènes à l’importun persuadé que tu ne pousserais qu’un cri surpris et outré tandis qu’il te caressait les fesses en passant près de toi. Mais il ignore que tu n’es pas comme les autres femmes à jouer les filles choquées sans agir. Tu n’as fait aucun bruit, laissant ton corps exprimer ta haine envers ce geste inapproprié, un flot de mauvais souvenirs ressortant dans le regard de l’ivrogne. Pervers. Mauvais. Persuadé que tout lui est permis. Tu ne bouges pas quand ton amant ordonne à ses deux soldats de mettre le malotru à genoux. Tu ne détournes pas les yeux quand celui avec qui tu partages ta couche sort son arme et la braque sur la tête de l’impoli. Tu ne prends pas la défense du pauvre alors qu’il supplie pour sa vie, réclame pitié et pardon. Il est saoul, il n’a pas réfléchi, il ne recommencera pas.

— Я в этом убежден. 1

Tu ne cilles pas quand le tir à bout touchant fait exploser le crâne dans une gerbe de sang.

Il neige.

La flaque sera absorbée et dissimulée par les flocons.

— Pouvons-nous y aller, любовь ?

— Je n’attendais que vous, très cher.

Vous ignorez les gardes venus emporter le cadavre. Tu ne sais pas où il sera balancé, sans doute dans une ruelle malfamée de Berne, et tu t’en moques. Ce mal élevé sera totalement oublié d’ici quelques heures, lorsque tu auras à la main une coupe d’un champagne hors de prix spécialement acheté pour cette occasion. La main passée autour du bras de ton militaire, vous gravissez les marches avec lenteur, devant supporter les exclamations appréciatives du couple devant vous. Les monuments sont beaux, à n’en point douter, mais le froid passe à travers ton manteau de fourrure, gelant ta nuque, tes bras. Tes jambes et tes pieds ne sont pas non plus épargnés. Malheureusement, tu dois prendre ton mal en patience et accepter ce rythme lent que tu exècres. Tu as passé tellement de temps à trottiner, courir, user de grands pas pour aller toujours plus vite que tu as du mal à dissimuler ton impatience et ta frustration. Isaaki Baranov, c’est l’identité de ton amant, ne semble pas du tout gêné à l’idée de prendre son temps. Tu en connais la raison. C’est quelques minutes de plus qu’il peut passer en ton unique compagnie avant de devoir te partager avec le reste des membres de votre Ordre. Oh, il sait qu’après cette soirée mondaine, il pourra pleinement profiter de toi durant trois jours avant de revenir en U.R.S.S., mais bon. Il est amoureux. Et tu ne peux que continuer à jouer la comédie. En haut des marches, tu reconnais ce vieux général fétichiste des pieds accompagné de son épouse. Juste en la regardant, tu la devines apprécier plus que de raison la bonne nourriture bien saucée. Il t’offre un baise-main, vous vous échangez des politesses et tu mens en annonçant être ravie de rencontrer sa compagne. En vérité, tu t’en moques. Tu échanges un très court regard avec le vieil homme et tu peux aisément noter sa mine soulagée. Tu garderas le secret de vos moments. Bien que ton Colonel soit déjà au courant – tu lui as d’ailleurs fait promettre de ne pas faire d’esclandre et de te laisser manipuler ce fossile.

Après avoir donné vos cartons d’invitation, vous entrez tous les quatre dans le bâtiment. L’intérieur est entièrement de marbre et le sol pourvu d’un large tapis rouge ponceau et de fils d’or. Les lustres de cristal illuminent les pièces et tu peux déjà entendre les musiciens. Des virtuoses. Les serveurs se baladent silencieusement, proposant parfois une coupe de champagne ou un hors-d’œuvre lorsqu’ils remarquent une main vide depuis bien trop longtemps. Un employé propose de t’aider à te délester de ton manteau et tu acceptes avec politesse et presque timidité. Ce n’est pas ton univers. Tout ce faste, toutes ces richesses. Tous ces gens qui disent servir Hydra, mais qui ne font que profiter de cette opportunité pour s’enrichir encore et encore. Les vrais fidèles sont ceux qui agissent réellement, qui ne se complaisent pas dans tout ce luxe injurieux. La soirée n’a même pas commencé que tu te sens déjà insultée et dégoûtée.

— Défroncez votre nez, любовь, ou ils vont se vexer et ce n’est pas votre but de ce soir.

— Et quel est mon but, très cher ? interroges-tu en te forçant à relâcher les muscles de ton visage.

— Profiter d’une excellente coupe de champagne, séduire la foule avec votre charme et votre intelligence, et trouver plusieurs mécènes qui n’hésiteront pas à se ruiner pour financer votre recherche.

Tu esquisses un sourire calculateur.

C’est tout à fait dans tes cordes.

Isaaki te présente à de nombreuses personnes. Militaires. Nantis. Chanteurs. Chanteuses. Acteurs. Actrices. Des artistes de tout horizon. Des hommes et des femmes politiques. Des millionnaires. Des milliardaires. Des nobles. Des bourgeois. Des hommes d’affaires. Des médecins, des chirurgiens. Ce lieu regorge de personnages importants, de personnes de renom. Et toi, pauvre scientifique, tu as l’impression de faire tache dans cet univers luxueux. Toi qui es issue d’un milieu modeste où il a fallu te battre pour obtenir ce que tu voulais. Ce que tu désirais. Études. Considération. Respect. Mais ce n’était pas suffisant. Tu voulais toucher une branche de la médecine. Ouvrir une porte que l’on t’a refermée au nez sous prétexte que tu n’es qu’une femme. Une femme ne peut décemment pas réclamer pareil métier. Elle ne peut être aussi intelligente. Ce serait une insulte aux propriétaires de pénis. Mais Schmidt est arrivé avec une pince Monseigneur, des armes à feu et un tank. La porte a été défoncée avec toute sa subtilité et le surnommé Crâne Rouge t’a offert sur un plateau d’argent, ce travail que tu convoitais depuis tant d’années, forcée de ronger ton frein et contrainte de te contenter de cet « honorable » statut qu’est infirmière. Les anges blancs. Les anges souillés. De sang. De tripes. De sperme.

Tu reçois baise-main des hommes, bise des femmes. Sourires intéressés et hypocrites sont le lot de ta soirée, mais tu ne te sépares pas de ton assurance et de ta verve, même alors que ton soldat a été appelé ailleurs. Tu réponds aux questions, tu souris, tu rougis, tu te pâmes. Tu charmes. On te complimente. On souhaite en savoir plus sur toi. C’est la première fois qu’ils te voient. Tu ne caches pas tes origines, ton histoire. Tu considères avoir été sauvée par votre feu leader. Ils ne dissimulent pas leur admiration. Ce n’est pas tout le monde qui peut se vanter d’avoir pu côtoyer ou juste rencontrer le créateur de votre Ordre. Normal, réponds-tu. C’est un homme d’action, de terrain. On ne gagne pas la guerre avec des courbettes et des politesses. Ils acquiescent. Ils sont forcés d’acquiescer.

— M’accorderiez-vous cette danse, madame ?

C’est un homme plus âgé que tu as pu rencontrer il y a quelques heures. Un producteur. Des rêves et des idées pleins la tête, mais d’une loyauté sans borne pour Hydra. C’est un homme que tu mettrais bien dans ton lit, rien que pour le plaisir de détruire cette coupe de cheveux bien trop parfaite à ton goût. La mode est à la gomina et tu as horreur de cela. Sa main ne porte pas de gant, son style est classique. Il est imberbe. Il est blond avec quelques taches de gris. Tu lui offres tes doigts et il te sourit. Sourire que tu lui rends. Que cette soirée de mensonge se termine bientôt. Vous êtes nombreux sur la piste de danse et il faut toute l’agilité des meneurs pour que vous ne vous cogniez pas, pour que les pieds ne soient pas meurtris. Le tien est doué. Il te tient fermement, colle son bassin contre le tien. Ses yeux noisette restent plantés dans les tiens, ne s’en éloignant que pour mieux distinguer et s’éloigner d’un obstacle à venir. En d’autres circonstances, son charme, son charisme, ses mots auraient pu t’atteindre, se planter dans ta cervelle, dans ton cœur, mais tu refuses de t’éloigner de ton objectif de la soirée, de ces souvenirs malsains que tu as du soi-disant sexe fort. Néanmoins, tu restes charmante, confiante, te laissant guider par ses pas, ses mains, son poids, par son corps tout entier.

— J’aimerais vous revoir, finit-il par te souffler avec son accent belge.

— Mon travail m’en empêche, réponds-tu.

— Ainsi que votre amant militaire ? Ne soyez pas surprise, depuis tout à l’heure, je le vois nous regarder. Il me déteste, termine-t-il dans un rire amusé.

Tu ne peux que l’accompagner. Tu as capté son regard. Effectivement. C’est vrai qu’il souhaitait plus que tout avoir ta première danse. Eh bien, il ne fallait pas te quitter pour de quelconques pintades artistiques. Tu ne te sens nullement désolée pour lui, pour aucun des deux. Tu ne les aimes pas, tu ne fais que les utiliser pour ton compte personnel. Après tout, n’est-ce pas lui qui, dans l’intimité de son lit, t’a fait savoir que cela faisait partie de ton travail de bien paraître ? N’est-ce pas qui, il y a à peine quelques heures, t’a rappelé ton pouvoir de séduction ? Le voilà empêtré dans ses informations et ta tendance au sadisme. Tu aimes faire mal. Pas physiquement. Tu es bien plus sournoise que cela.

— Il serait capable de vous tuer, fais-tu entre deux gausseries, aimant cette situation.

— Possessif ?

— Et sans aucun état d’âme.

— Diantre, mais comment ferez-vous pour obtenir des mécènes s’il ne vous laisse pas user de vos charmes à votre guise, madame ?

Il tape juste.

Tu décides de l’apprécier.

— Qui me conseilleriez-vous de séduire ?

Vos regards pétillent de malice. Si tu n’as pu trouver un nouvel amant, tu as trouvé en lui un partenaire de jeu tout à fait charmant et intéressant. Dommage que tu n’aies pu le rencontrer avant. Dommage qu’il n’ait pas pris la voie militaire. C’est lui que tu aurais choisi. Quel que soit son rang. Peut-être serait-il parvenu à te retirer un peu de cruauté. Néanmoins, votre situation actuelle ne te déplaît pas pour autant et te voilà à l’écouter sur des hommes âgés ou moins influents, puissants et que les rumeurs confirment comme infidèles, hommes à femmes ou des amateurs de science. Il y a tant à choisir. Il t’aidera avec plaisir. Après que tu te sois fait pardonner auprès d’Isaaki et que tu lui expliques votre plan. Il serait dommageable que le prénommé Liam Peeters perde la vie alors qu’il t’offre généreusement son aide avec deux humbles et simples choses en contrepartie.

— Et quelles sont-elles, grogne ton militaire, de plus en plus mécontent par la situation.

— La première est que personne n’attente à sa vie. La seconde est que je termine la soirée chez lui.

— Hors de question, claque-t-il en évitant avec la raideur d’un soldat un politicien malmenant son épouse.

— Très cher. Nous avons là un appui précieux qui peut nous aider à trouver des puissants mécènes pour mes recherches. Si notre section vient à manquer d’argent, tu sais ce qu’il risque d’arriver. Le veux-tu ?

— Bien sûr que non ! Son accent roule sous l’énervement. Je ne supporte pas l’idée que tu couches avec ce freluquet.

— Tu ne dis pourtant rien lorsque je le fais avec mon assistant.

— Tu l’utilises. L’autre peut te séduire.

— Et quel avantage en tirerai-je ? Ce n’est qu’un producteur. Amour, ce n’est que pour une nuit. Lui et moi ne nous reverrons jamais. La Sibérie et la Belgique sont bien éloignées et il n’a aucun pouvoir lui permettant de venir me rendre visite. Et je n’ai aucune envie de m’éloigner de mon travail. Tu sais que cela m’a coûté ce voyage.

Le colonel Baranov grogne. Pour la forme. Contrarié par tes arguments. Il serre sa mâchoire et tu saisis que tu as gagné, qu’il a cédé. Il accepte votre plan, ses conditions. Il ne le tuera pas. Mais un accident peut très vite arriver, par inadvertance. Tu glousses, amusée. La discorde entre ces deux hommes te plaît. Très bien. Qu’ils s’entre-tuent. Les morts ne te dérangent pas. Ton gradé te fait un baise-main et c’est avec une raideur haineuse qu’il te conduit vers ce dandy blond dont les yeux pétillent de malice et de satisfaction lorsque tu glisses ton bras dans le creux de son coude. Avec un ton poli, il promet de te ramener lui-même le lendemain matin. Le russe ne répond rien, se contente de le fusiller du regard, de rêver de le voir mort. Puis, il fait demi-tour, sans doute pour se venger et trouver une demoiselle à séduire, à attirer dans son lit. Les gens de ce monde se moquent tellement de la virginité. Ce mot n’appartient qu’aux gens d’en bas. Ceux qu’on écrase, ceux qu’on ruine, ceux qu’on détruit. Tu t’éloignes de ces pensées, Liam te présente un politicien qui semble énervé. Après quelques pirouettes de séduction polie et de fausse timidité et admiration, le voilà charmé et t’expliquant sa dispute avec son ogresse d’épouse. Tout fonctionne à merveille. Tu instilles ton venin, tes mensonges, tes atouts dans tes mots, dans tes gestes, dans ton regard, par des touchers soi-disant involontaires. Aucune vulgarité. Tu as gagné quatre mécènes sur cinq. Le dernier n’a pu répondre à l’affirmative. Il est présent à cette soirée parce qu’il fait partie des murs de cet Ordre, mais son entreprise est en faillite. Même s’il le désire fortement, il n’a pas les moyens financiers de te soutenir. Tu as brillamment su dissimuler ta déception. Cependant, tu finis par rencontrer une difficulté, un obstacle dont tu vas avoir du mal à surmonter. La personne suivante que le producteur te fait rencontrer est une femme. Belle. Intelligente. Riche. Puissante. Elle te voit arriver et tu peux deviner d’avance que ta démarche chaloupée ne lui fait aucun effet. Évidemment. Il va falloir que tu te montrer bien plus rusée, que tu changes de stratégies. Tu te retrouves bloquée. Tu sais séduire un homme, pas convaincre une femme.

— Inutile de vous présenter, mademoiselle Fox, attaque-t-elle d’entrée de jeu avec un accent anglais parfait. Vous êtes l’attraction de la soirée.

— Madame de Musy…, commence le belge.

— J’ai dit inutile, monsieur Peeters. Je sais parfaitement quel est votre but à tous les deux et il est hors de question pour moi de fournir ne serait-ce qu’une seule pièce à cette vipère.

Vipère…

Venant d’une veuve noire…

— Madame… essayes-tu d’une voix douce, apaisante.

— Oh, ce n’est pas nécessaire de m’amadouer avec votre soutien féminin, etc. Par votre seule et unique faute, notre éminent et ami Arnim Zola a dû trahir ses plus profondes convictions et travailler pour ces américains. Si Crâne Rouge ne s’était pas entêté à vous prendre sous son aile, nul doute qu’il aurait tout fait pour le délivrer.

Sa haine est visible, presque palpable et elle semble se retenir tant bien que mal de déverser sur toi sa coupe de champagne ainsi que de te lacérer le visage avec ses ongles parfaitement manucurés et vernis.

— Vous avez tout à fait raison, fais-tu sans aucun sourire sur ton visage ou dans ta voix, le docteur Zola était quelqu’un d’important pour notre leader, mais il y a un détail que vous avez omis de dire ; Zola a sciemment et volontairement trahi notre Ordre. Je le sais. Après tout, comme vous venez de le dire, j’étais sous l’aile de Schmidt et il me parlait des informations de ses espions.

— Vous mentez, grogne-t-elle.

— Vraiment ? Je p-…

Tu n’auras jamais le temps de terminer ta phrase. Le grand fracas t’a coupé court dans tes explications. Les vitres explosent. Tout le monde exprime sa peur de différentes manières. La plupart laissent tomber leur coupe de champagne ou leur hors-d’œuvre sous la surprise. Les portes s’ouvrent violemment et tu comprends. Tu saisis cette langue que tu as entendue pendant si longtemps. Tu reconnais les armes, les tenues. Ce sont des américains. Que font-ils ici ? Ils ne devraient pas être là. Tu manques de perdre l’équilibre alors que le producteur belge te bouscule brusquement. Ta tête se tourne vers lui, spectatrice de sa chute, de ce sang qui coule de sa poitrine, de sa gorge et de sa bouche. Tu ne le vois pas choir au sol, on ne t’en laisse pas le temps. Ton bras est attrapé, tiré dans une direction que tu es obligée de suivre. Tu es silencieusement soulagée de reconnaître le large dos de ton militaire. Son bras entoure tes épaules, te guidant autoritairement parmi la foule paniquée. Hurlements. Tirs de fusil. Verres qui se brisent. Isaaki grogne ; une balle a atteint son épaule gauche. Le liquide rouge carmin coule sur ta peau nue. Tu t’inquiètes pour lui. Tu as peur pour vous deux. Il t’ordonne dans sa langue de lui faire aveuglément confiance et tu opines du chef sans aucune hésitation. Tes pas près des siens, tu pries pour que vous parveniez tous les deux à vous enfuir loin de cet endroit, loin de la Suisse. Tu pries pour que vous arriviez à retourner à votre bunker. Lui au bon soin des médecins, toi auprès de James. Tu refuses de mourir. Tu as beaucoup de choses à faire. Beaucoup de choses à accomplir. Schmidt l’a compris, l’a su.

— Fouillez partout ! Pas un ne doit manquer !

Cette voix. Elle te dit quelque chose. Féminine. Autoritaire. Pleine d’assurance. Tu n’oses pas regarder en arrière de crainte de vous ralentir. De peur qu’ils t’aperçoivent, te reconnaissent et donnent l’ordre de vous attraper coûte que coûte. Tu retiens avec difficulté un furieux juron contre cette robe. Pourquoi vous, femmes, êtes obligées de vous farcir la robe tandis que l’homme peut se mouvoir plus aisément dans un pantalon. Au diable l’esthétisme. L’utile avant l’agréable. Cependant, ce n’est pas le moment pour toi d’avoir ce genre de débat interne. Pas alors que vous courez dans les couloirs vide, vous cachant comme vous le pouvez dès que vous le pouvez lorsque vous entendez les voix de vos ennemis. Proches. Vous êtes tout proche de la sortie. Bientôt, vous allez pouvoir vous fondre dans la foule et vous enfuir loin d’ici. Vous oubliez immédiatement de prendre votre voiture. Elle doit sûrement être surveillée comme toutes les autres. De plus, Baranov n’est pas en état de foncer tête baissée dans une course-poursuite. Sa mission est de te protéger et de te ramener saine et sauve en U.R.S.S., dans votre bunker ; pas de jouer les suicidaires.

— Prend cette arme, любовь.

— Je n’ai jamais…, souffles-tu.

— Je sais et je souhaite que tu n’aies pas à le faire. Mais tu peux toujours les empêcher d’avancer. Je te fais confiance.

Tu acquiesces gravement, la mine fermée et tes mains tremblantes autour de l’arme à feu. Bénis soient ces gants que tu portes. L’objet ne glisse pas à cause de ta sueur et tu peux l’empoigner à deux mains. Tu montes la garde tandis que ton amant tente de défoncer une porte fermée à double-tour. Vous ne savez pas où elle mène, mais vous n’avez pas vraiment le choix de tout tenter pour échapper à la justice vindicative de ces hypocrites d’américains. Les puissants coups de pied font du boucan et tu crispes ta mâchoire. Tu as peur. Tu trembles. Cela fait tant d’années que tu n’as pas ressenti cette sensation. L’adrénaline coule désagréablement dans tes veines, tu as la sensation que tes genoux s’entrechoquent, une sueur froide coulant le long de ton échine. À moins que cela soit le sang de ton colonel, tu ne sais pas. Tu n’as pas le courage de vérifier. Ce n’est pas non plus le moment. La porte finit par céder et tu es persuadée que tout ce boucan ne passera pas inaperçu. Une main prend la tienne et tu n’attends pas, suivant l’homme. Pas de mot rassurant, pas de baiser ou de câlin. L’heure est à la survie et rien d’autre. C’est uniquement pour cette raison que tu le pousses à l’abri, contre le mur, que tes bras se lèvent et tirent. Tu es tiré vers le bas tandis que tu pousses un glapissement pathétique, surprise. Le blessé t’indique une direction, mais tu ne vois rien. Ce n’est pas grave, tu le suis. Il prend le flingue. Tu t’empares d’un couteau, notant distraitement que vous vous trouvez dans les cuisines. C’est alors que tu le vois, cette petite bouche métallique qui n’appelle, qui n’attend, que vous. Tes poumons se remplissent d’espoir.

C’est alors qu’une main attrape ta cheville. Tu cries, effrayée. Non, tu ne veux pas. Ton coup part tout seul.

La main ne te retiendra plus.

Tu parviens à t’enfuir, ton militaire derrière toi.

Toujours derrière toi.

Le sang coule encore sur ton épaule.

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1. J'en suis persuadé.


Texte publié par Edda T. Charon, 25 février 2020 à 19h29
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