8H45, comme à mon habitude, j’arrivais au boulot cinq minutes avant l’ouverture officielle de la boutique. Comme à son habite, le patron était déjà près à l’emploi. A peine entré par la porte de service, j’entendais ce bon vieux juke-box jouer un morceau de rock d’un groupe mondialement connu. Je posais mon blouson, enfilai mon veston sur lequel l’emblème de notre boutique s’exhibe fièrement. Je fis le tour des rayons et des vitrines garnies d’objets divers et variés, épousseta brièvement la mappemonde fatiguée par toutes ses années de bons et loyaux services et me retrouva finalement devant le comptoir, mon boss derrière affairé à nettoyer une vielle pièce de monnaie. Je le saluais chaleureusement et neuf heures approchantes, je me dirigeai de mon air patibulaire à la porte d’entrée où s’impatientait déjà un client régulier. J’ouvris la porte, le saluai, il grommela et fila droit au comptoir. Je soufflai un coup puis m’enquis de sortir l’ardoise sur le trottoir signalant que nous étions ouverts. L’ardoise ainsi disposée, j’extirpais de mon veston une craie blanche avec laquelle j’inscrivis : « Momo la Brocante » et « OUVERT » en lettre majuscule. Après quoi, je filai me prendre un café. Alors que j’en proposais un à mon futur ex-patron et un au pilier de bar, mon patron me dit :
— Damien, prends le frigo à popcorn, place-le proche de l’entrée, allume-le et rempli-le veux-tu ?
— Mais on a plus de popcorn patron.
— Ahah, j’en ai racheté hier, et vu le temps qu’il fait, ils vont bien se vendre crois-moi !
— On change le prix du coup ?
— Tu-tu-tu deux’ cinquante c’est très bien et c’est bon pour les affaires !
— Très bien patron.
Je me chargeai de la tâche imposée. Bien que je trouvais ça ridicule de vendre du popcorn dans une brocante, force était de reconnaître que le nombre de curieux attirés par l’odeur sucrée de ces flocons blanc augmentait drastiquement. Tous n’en achetaient pas bien sûr, mais beaucoup repartait avec des bricoles qu’ils n’avaient pas prévu d’acheter.
Vers dix heures trente, alors que j’étais affairé près de l’entrée à remettre de l’ordre dans notre bibliothèque dédiée aux bandes dessinées, un client vint me voir :
— Bonjour.
Je me redressai lentement et répondis sans trop paraître gêné par cette distraction :
— Monsieur. Bonjour, je peux vous aider ?
— Je me présente, Alexis Mallon de la société Âge Lumière, je viens aujou-
— Ah, voyez ça avec mon patron, vous le trouverez derrière le comptoir, s’il n’y est pas, allez faire un tour du côté des cartes à jouer et demander Momo.
Le vendeur me remercia brièvement et fila, mallette en main, à la conquête du comptoir.
— Momo je suppose ?
C’étaient les premiers mots que cet inconnu me lança alors que je me complaisais à trier un album de timbres que je venais d’acheter. Par-dessus mes lunettes, je le dévisageai brièvement, jeune, bien rasé, costard-cravate. Deux possibilités : soit il cherche un emploi, soit il va me démarcher pour une connerie. Je remis donc en place mes lunettes et repris mon meilleur sourire commercial :
— C’est exact, bienvenue dans ma boutique jeune homme, en quoi puis-je vous servir ?
Ce petit gars sembla satisfait, il se racla la gorge en replaçant sa cravate – définitivement, un vendeur de tapis pensais-je alors – et se présenta sous, sans l’ombre d’un doute, son meilleur sourire également :
— Je me présente, Alexis Mallon de la société Âge Lumière, je viens aujourd’hui pour vous présenter notre catalogue de solution luminaires en tout genre pour donner un second souffle à votre magasin et mettre en valeur vos objets.
J’haussais volontairement le sourcil droit en arrêtant de le dévisager afin d’observer ma boutique qui s’étalait derrière-lui en vitrine et armoires remplies à craquer d’objets tous plus intriguant les uns que les autres. Au plafond, seules des appliques des lumières blanches crachaient une lumière lactescente ne laissant quasiment nulle ombre performer sur scène. Mes vitrines et mes armoires, quand il ne s’agissait pas d’objets frileux à la lumière, comportaient également de petites ampoules blanches. Cet Alexis contempla lui aussi mon magasin de ce nouveau point de vue avant de reprendre :
— Hum-hum, oui, effectivement, à première vue, vous n’en avez peut-être pas besoin pour cette partie du magasin, mais, nous pouvons peut-être faire quelque chose pour cette ampoule jaune qui vous éclaire vous ne pensez-pas ? me dit-il sans se débiner en pointant l’ampoule de son index.
— Oh celle-ci ? dis-je en levant la tête.
— Peut-être que vous souhaiteriez quelque chose d’un peu plus pétant, ou changeant selon vos humeurs ? Nous avons de superbes ampoules connectées qui vous permettraient de changer l’ambiance selon les saisons.
— Cette ampoule voyez-vous, elle est là depuis vingt ans. Elle n’a jamais faibli, jamais grillée, comme moi, elle a toujours été fidèle au poste. Toutes les autres ont au moins été changées une fois des suites de coupures de courant ou de fatigue. Vous êtes bien aimable, mais je pense que je vais la garder mon ampoule jaune.
— Vingt ans…
Son regard s’était perdu dans la contemplation de mon ampoule, c’était donc bien un jeune con.
— Vingt ans… Bon, hem, de ce que vous m’avez dit toutes les autres vous ont au moins lâché une fois, vous savez qu’avec notre offre, nos ampoules sont garanties cinq ans toutes pannes confondues !
Je devais admettre que ce gamin en avait dans le ciboulot pensais-je en me grattant la barbe. Ok, jouons encore un peu.
— Vous me parler de cinq ans de garantie quand moi je vous parle d’une longévité de plus de vingt ans. Votre offre à intérêt à être solide vous savez. dis-je en souriant.
— Nous sommes spécialisées dans les luminaires connectés et là où nos concurrents proposent des garanties de seulement trois ans, nous, nous vous en proposant cinq dès que vous nous prenez pour plus de deux milles euros de luminaires.
— C’est une grosse somme pour éclairer des objets destinés à trouver refuge ailleurs vous ne pensez pas ?
— Effectivement, mais pour mettre ce timbre Marianne des années quatre-vingt en valeur, il faut ce qu’il faut vous ne pensez pas ? rétorqua-t-il en posant son index sur le timbre en question.
Je me mordis si fort la langue pour m’empêcher d’exhiber un immense sourire de surprise que je dus prendre quelques secondes pour lui répondre. Ce gosse était beaucoup plus futé et instruit qu’il en avait l’air.
— Vous êtes philatéliste ?
— Pas spécialement.
Je pris une grande inspiration.
— Vous savez, ces timbres vont rejoindre d’autres classeurs de timbres qui ne seront ouverts que par des philatélistes qui préféreront une lumière plus tamisée et chaleureuse pour les étudier. Je ne suis pas sûr que ce soit très utile.
— Un mauvais exemple j’en conviens. Tenez, je ne sais pas si vous en avez ici, mais pour mettre en valeur des fossiles, rien ne vaudrait une lumière couleur sable non ? Ou bien, pour des livres une lumière vert sombre, calme et rassurante pour des lecteurs aguerris, ou encore une lumière couleur rubis pour souligner les profils des différentes armes que vous avez. Quand dites-vous ?
Cela faisait des années qu’aucun vendeur ne m’avait autant diverti et impressionné. Ce jeune était sans l’ombre d’un doute une tête dans son domaine, mais, je sentais autre chose en lui.
— ça pourrait être pas mal en effet, mais toutes ces couleurs qui s’entrechoqueraient entre les allées feraient tâche non ?
Son visage se décomposa. Bien qu’il sût que j’avais raison, je voyais dans ses yeux la lueur du vendeur qui avait besoin de sa vente. Je lui assainis alors le coup de grâce :
— De toute façon, j’ai déjà un contrat avec une autre compagnie pour ce genre de chose. Mais dites-moi, vous semblez tout de même bien renseigné sur certains domaines, pourquoi vendez-vous des luminaires ?
Son vissage se changea en celui d’un apprenti à qui l’on aurait réprimandé sa nonchalance.
— Hem… Premier job…
— Et ça vous plait ?
— …
Visiblement non. J’avais l’impression d’avoir jeté un caillou dans une mare pour effrayer un canard qui se reposait. Mais, ce jeune avait eu le mérite de me tenir tête avec des arguments intéressants, je me devais donc de lui rendre la pareille.
— Suivez-moi Alexis.
Sans réfléchir, j’emboîtais incertain le pas de cet homme qui avait su trouver réponse à toutes mes techniques de ventes. Alors que mon corps suivait mécaniquement le sien, mon regard, lui, se baladait émerveillé sur toutes les vitrines que l’on croisait. Des chevalières traînaient ici, des pipes en écumes trônaient là, des coucous, des stylos plumes, un trenni d’argent miroitait aux côtés de deux lumiones. Deux lumiones ?! Où avait-il chopé ça ? Incroyable… Tout comme leur prix… Momo s’était arrêté devant une armoire massive en bois, il se baissa pour prendre quelque chose de visiblement lourd. En haut de l’armoire, des chapeaux claques, des fume-cigarettes, des montres à gousset et des harmonicas se prélassaient. J’entendis un « ting » comme ceux des anciennes sonnettes de vélo. Qu’allait-il bien me montrer ? Il se dirigea ainsi charger vers la table en chêne – c’était sûrement du chêne ancien – et posa la bête en râlant.
— Allez gamin, qu’est-ce tu peux me dire sur cette Underwood ?
Elle était magnifique. Restaurée évidemment, mais avec un soin exceptionnel. Les touches étaient en laiton. La peinture noire était surmontée d’une calligraphie en lettre jaune portant la mention « Underwood ». Elle devait être des années soixante-dix, non, soixante. Momo m’invita à m’approcher pour l’étudier. Je caressais du bout des doigts cette machine incroyable, sur le flanc droit, à mon grand regret, une calligraphie en lettre d’or indiquait la mention « CryptoGraphe » qui n’avait rien à foutre ici. Coincée dans le rouleau, une feuille portait la phrase suivante : « Amour entre voisins. ». Au vu des caractères, elle avait été tapée sur cette machine. Je brûlais d’envie d’écrire mon nom sur une page vierge avec cette machine.
— Elle date des années dix-neuf-cent-soixante, elle a été restaurée avec le plus grand soin excepté pour le flanc droit. Elle est superbe.
Les yeux de ce jeune vendeur de luminaires ne mentaient pas, il aurait vendu son âme au diable pour frapper quelques lignes avec ma machine à écrire. Son expertise était juste et j’avais vu juste. Ce gosse était fait pour vendre dans ma boutique mes objets, non pas me vendre dans ma boutique des luminaires claqués au sol.
— C’est exact. dis-je en m’éloignant. Vous savez, je cherche actuellement un vendeur pour remplacer un bon gars qui part vivre au sud avec sa compagne. C’est certes payé maigrement mais c’est plus intéressant de vendre de la lumière dans les âmes des gens que de vendre de la lumière dans leurs yeux.
Je repartis derrière mon comptoir le laissant seul pour peser ses choix de vies. Tandis que je replongeais dans mes nouveaux timbres, j’entendis Damien offrir à une enfant un paquet de popcorn pour qu’elle arrête de pleurer après avoir trébuché sur un caillou qui traînait devant la boutique. L’ampoule au-dessus de ma tête, de sa lumière jaunâtre, me rassurait. Tous ces objets inanimés, entassés dans ma boutique, me rassuraient également, mais pour l’instant, ce timbre francisque de soixante-dix centimes datant de dix-neuf-cent-quarante-trois signé Roumet me réjouissais encore plus.
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