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tome 1, Chapitre 36 « Une tentation qui se tente ? (Part 1) » tome 1, Chapitre 36

Vu de l’extérieur, le palais de Belzébuth était grand. Vu de l’intérieur, Picarel avait l’impression que c’était dix fois pire. Le fait d’avancer à la vitesse d’un escargot, à cause de la foule, n’aidait pas à être objectif et à réviser son jugement. Sans compter que ce qu’il avait appréhendé s’échinait à se réaliser ; les effluves étaient insoutenables tant elles étaient délicieuses, les banquets qui s’étiraient à l’infini lui tendaient les bras et les divers plats présentés se montraient des plus alléchants. Absolument tout semblait se manger, en ce lieu ; des récipients en biscuits, salés ou sucrés, aux coupes en agar-agar aromatisée, en passant par les couverts en chocolat, les pioches en sucre d’orge plantées dans le mur en cake et les papillons-brownies qui voletaient, aux ailes recouvertes de vermicelles colorées… Contempler ce spectacle et ne pas y prendre part était une torture, pire, une hérésie ! Hypnotisé par cette vision enchanteresse, Picarel ne voyait pas les serveurs, des âmes humaines réduites en esclavage, qui déambulaient parmi les invités pour apporter des plats aux tables ou entre les mains des plus paresseux, pour remplir les verres et les coupes ou pour présenter des en-cas, dont ils étaient parfois l’ingrédient principal ; et ce, même s’il se cognait parfois sur eux. Parfois, l’ange voyait sa main se tendre vers un insecte sucré qui rôdait près de lui et il devait lutter pour en reprendre le contrôle et abaisser son bras. Cet effort de volonté en valait-il seulement la peine ? Et difficile de ne pas regarder, quand il y en avait partout. Difficile d’ignorer les gens qui, eux, ne résistaient pas le moins du monde et se laissaient aller à leurs envies. Picarel en venait à les jalouser.

Il essayait de se raccrocher aux paroles de Sytry, qu’il lâchait avec volubilité lorsqu’il n’avait pas son habituelle sucette en bouche, mais elles lui étaient de plus en plus nébuleuses. Il avait parlé de la section d’élevage, mais pour quelle raison, déjà ? Et Adamanth qui était parti, mais il s’en était à peine aperçu, et à présent, il l’oubliait peu à peu. Oh, une libellule en gaufrette ! Qu’elle était jolie. Elle s’envola en hauteur tandis qu’il hésitait à l’attraper. La nostalgie le titilla. Une voix en lui prétendait qu’il ne devrait pas. Mais pourquoi donc ? L’idée était de plus en plus abstraite voire absurde. Pour quelle raison serait-il là, si ce n’était pas pour manger et boire à l’envie ?

Ah, c’en était assez !

— Eh, Pika ! Attends !

Picarel abandonna toute réserve et s’enfonça dans la foule avec une joie presque enfantine, une allégresse qu’il n’avait pas ressentie depuis… oh, si longtemps ! En vérité, il n’en avait aucune idée mais il se sentait heureux, à sa place. Libéré. Plus de préoccupations, plus de doutes… Il croisa quelques démons effrayants mais il avait tant l’impression de flotter dans le bonheur qu’il ne s’en rendit pas compte ; la plupart ressemblait plutôt à des êtres mous aux formes parfois indistinctes qui lui arrachèrent quelques rires, et ceux-ci étaient bien trop occupés pour s’en indigner ou même pour se rendre compte de quoi ils étaient l’objet. Cette fois, il ne chercha pas à empêcher sa main d’attraper le papillon-brownie qui voltigeait sous son nez. Ce vil tentateur le méritait bien ! Il l’enfourna dans sa bouche et croqua dedans. Un puissant goût chocolaté se répandit sur sa langue et il gémit de plaisir. C’était si bon !

— Picare – Pica ?

Picarel sursauta à la voix et se retourna, comme pris en faute, le papillon entamé en main. Il lui semblait la connaître, pourtant elle était si lointaine dans son esprit qu’il peina à l’associer à un visage. Il n’eut pas à y réfléchir longtemps car ledit visage se présenta devant lui, les traits contractés en une moue surprise. Il vacilla, puis il plissa les yeux tout en scrutant ces lignes candides, tandis que le coton qui étreignait ses pensées se relâchait un peu. Ces mèches lisses, d’un blond-roux vif, en bataille, ces yeux bleus, cette peau lisse et cette nuée de taches de rousseur sur le nez et les pommettes… Ses joues étaient un peu plus rebondies que par le passé, certes, et il avait pris de l’embonpoint, mais il parvint à mettre un nom sur cet individu ; c’était lui, ou c’était son portrait craché.

– Scal… Scalpel ?

Il y eut un moment de flottement pendant lequel les deux anciens amis se dévisagèrent sans un mot. Picarel hésitait. Était-ce seulement une illusion ? L’ange disparu paraissait entier et en bonne santé, voire dans son élément ; il tenait une coupe en gelée rouge remplie d’un liquide orangé comme s’il était tout naturel qu’il se tînt ainsi, comme s’il avait toute sa place dans cet environnement consacré au plaisir des papilles. A cette réflexion, Picarel réalisa que lui non plus ne devrait pas être là. Bon sang, c’était l’Enfer, et lui était un ange ! Il aperçut le papillon entre ses doigts, dont les ailes s’agitaient mollement, incomplètes. Les traces de dents – les siennes ! – étaient visibles, bien nettes. Il le lâcha, horrifié. Qu’avait-il donc fait ? Il avait mangé de la nourriture infernale ! Alors qu’il devait – Nana ! Il avait encore oublié Nana ! Oh, quel piètre ami il faisait !

Ses réflexions furent repoussées par Scalpel qui lui sauta dans les bras et le serra contre lui, malgré les bouts de spaghetti, de crevettes et de sauce qui maculaient son vêtement. Picarel n’en eut cure, tandis qu’un sourire réjoui s’épanouissait sur ses lèvres. Le contact était chaud, ferme. Ce n’était donc pas un fantôme ou un spectre, ni une illusion ! Un ange décédé pouvait-il seulement être une de ces deux premières choses ? Il ignora cette question existentielle pour lui rendre son étreinte avec enthousiasme.

– Scalpel, tu es vivant ! Oh mon Dieu, tu es vivant !

– Tu devrais éviter de jurer en Son nom, dans le coin, releva Scalpel avec amusement en le repoussant avec douceur.

Picarel céda et s’écarta mais conserva les mains posées sur l’autre ange. Il l’observa avec émotion, sans tenir compte de la remarque. Heureusement pour eux, les démons autour se goinfraient avec une telle ardeur qu’ils ne se préoccupaient pas le moins du monde de la teneur de leur échange, et eux-mêmes, comme seuls au monde, oubliaient le risque qu’ils prenaient à converser si librement.

– Mais comment est-ce possible ? Nous t’avions cru mort ! Michael t’avait déclaré disparu !


Texte publié par Ploum, 12 octobre 2022 à 15h30
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