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Je me tenais debout face à l'océan. Le sable humide glissait entre mes orteils, les embruns caressaient mon torse nu et une brise saline venait titiller mes narines à travers mon gros masque de mascotte en peluche.

C'était la seule partie de mon costume de panda que je portais aujourd'hui. Pour le reste, je n'avait sur moi qu'un caleçon de bain qui laissait dépasser une petite bouée de gras, relief de la raclette de la veille, la tartiflette de l'avant-veille, le Mac-Do de l'avant-avant-veille, les pommes duchesse de l'avant-avant-avant-veille, le magret, la purée de châtaignes et la bûche de Noël, sans compter l'armée de petits-fours et la quantité incalculable de chocolats ingurgitée durant les fêtes. Malgré toute cette graisse, qui aurait dû, à l'instar des phoques et des éléphants de mer, m'immuniser contre le froid, je tremblotais comme une feuille dans le blizzard. Je dardais néanmoins les vagues d'un regard de défi, prêt à en découdre avec les rouleaux postillonnant.

Derrière moi, un coup de sifflet retentit. Alors, poussant un rugissement digne d'un guerrier Maori, je courus et me jetai dans l'eau glacée. Dès le premier contact, mon cri monta dans des octaves et le fier chant du haka mua pour se rapprocher des vocalismes de la Castafiore.

Un moustachu portant en monocle et chevauchant une banane gonflable me dépassa en me jetant des gerbes d'éclaboussures. Horreur et damnation ! La température me sembla soudain avoir encore chuté de dix degrés !

Mais pas question de jouer les mauviettes ! Cette année, je me plongerai dans l'eau jusqu'au cou ! … Ou jusqu'à mi-torse. C'était déjà bien, mi-torse, non ?

Autour de moi, une foule bigarrée faisait trempette à grands cris. Une troupe de joyeux lurons en bonnets de Père Noël et gilets jaunes faisait la chenille. Un couple d'amis déguisée en cafard géant pour elle et en requin pour lui chantait une chanson à boire en se tenant patte dessus nageoire dessous.

Une mamie avec une perruque rose et des lunettes 2020 me dépassa tranquillement en nageant la brasse.

"Alors jeune homme, on hésite se tremper les épaules ? Moi, ça fait 60 ans que je participe au bain du Nouvel An de l'Allée des Conteurs, alors l'eau froide ne me fait pas peur !"

"Oh oui, surenchérit une autre dame, pas moins âgée, arborant une crinière synthétique multicolore et un faux nœud-papillon. On vient de loin pour ça ! "

"Regarde, Nana ! Les p'tits jeunes sortent déjà ! Ils tiennent pas la distance, hein ?" Reprit la première en riant.

"Oh Mimi ! Ils vont manger la galette de la mairie sans nous ! Vite, vite, on y va ! Cette année, je veux la fève, moi ! Comme ça je pourrai me choisir un roi parmi ces corps d'Apollon !"

Elles se mirent à rire comme des collégiennes. Je décidais de battre moi aussi en retraite avant de finir en panda surgelé.

Mais sortir de l'océan ne s'avéra pas moins désagréable que d'y entrer : Une petite brise marine coquine s'amusait à chatouiller mon épiderme mouillé. Je me précipitai dans le peignoir salvateur que me tendait Serenya, confortablement installée dans une chaise longue sous un grand parasol, un sourire goguenard aux lèvres.

"Alors ? Elle est bonne ?

- Au p… p… poil !

- Ah oui ? Moi j'aurais plutôt dit à plumes. Tu as une magnifique chair de poule. Je savais pas que les pandas faisaient partie de l'ordre des gallinacés."

Ce qu'il y avait de bien, avec Serenounette, c'est que même à l'état de glaçon, elle arrivait toujours à me faire rire.

"Allez, sèche-toi, je vais chercher ta part de galette et un thé.

- Epouse-moi !

- On en a déjà parlé…"

Un jour, elle dirait oui. J'en étais intimement persuadé.

Je me frictionnai avec énergie et je me rhabillai en vitesse. Mon amie revenait, un gobelet fumant dans une main et une assiette garnie dans l'autre. Elle posa le morceau de gâteau sur la table de pique-nique à côté de celui qui lui avait déjà été servi, et me tendit la boisson chaude.

"Tu gardes ta tête de mascotte pour manger ?

- Bien sûr ! Panda jusqu'au bout ! Que je répondis, tout fier, après avoir avalé la moitié du liquide brûlant.

- Tu y vois quelque chose ?

- Bof… Mais bon, de toute façon, je n'ai pas mes lunettes, alors pour ce que ça change…"

Sur ces sages paroles, je pris une assiette et me callai dans le second transat avant de mordre à pleines dents dans la pâte feuilletée croustillante et beurrée à souhait.

"Hmmm ! Elle est délichieuse !" M'exclamai-je, la bouche pleine.

- Tu vas t'étouffer…

Au détour d'une bouchée de frangipane chaude et moelleuse, mes dents butèrent soudain sur un morceau plus dur.

- Oh ! J'ai la f…"

BOUM !

Une énorme explosion retentit. Et tout de suite après, un petit bruit de grelot.

"Mission accomplie ! T'aurai pu te dépêcher un peu plus, je vais rater le début de Mon Petit Poney!" Râla une voix enfantine.

Au milieu de la fumée et du sable qui retombait, je distinguai les froufrous d'une robe noire surmontée de deux couettes blondes.

Ça alors, on aurait dit Paulinette ! Mais… Si je voyais Paulinette, cela signifiait que j'étais…

"PANDAAAA ! NOOOON !"

"Vite ! Un médecin ! Il nous faut un médecin !"

Un jeune homme d'une trentaine d'année arriva au pas de course.

"Par ici, Docteur Gardener, criait le maire de l'Allée, toujours vêtu de son costume de requin. Il y a eu un attentat !

- … Où est mon patient ?

- … Un peu partout, en fait… Lui Répondit Jérôme, la mine déconfite, en observant le siège de plage tordu et le sable noircit.

- Vous plaisantez ? Je soigne les blessés humains, moi, je ne fais pas dans les puzzles de panda !

Le médecin repartit à grands pas, vexé. En effet, j'étais bien mort. Impossible dans ces conditions de garder un point de vue narratif à la première personne. Il allait falloir se résoudre à une narration externe. A moins bien sûr de trouver un autre crâne dans lequel se loger…

Nelka scrutait la scène d'un air de profonde réflexion.

"De toute évidence, le Panda a été assassiné. Observa-t-elle judicieusement.

- … Il va nous falloir un enquêteur. " Soupira notre Bourgmestre.

Tandis que Nelka s'éloignait en grommelant qu'elle faisait pourtant parfaitement l'affaire et que si c'était ça, elle retournait à sa pizza, un personnage providentiel fit son entrée : Georges ! Mais oui Georges, sans chair et en os ! Parfaite pour mener l'enquête ET pour héberger la narration interne !

Sans perdre de temps, notre squelettique détective griffonna un message sur son carnet :

"Il me faut un expert en explosif."

Or il y en avait bien un, sur l'Allée : il s'agissait du Lieutenant Ian Maddison, dit "Mad". Il fut aussitôt dépêché sur notre scène de crime. Malheureusement, ledit expert resta perplexe devant les indices à sa disposition.

"Je ne comprends pas… Je n'ai jamais vu une chose pareille ! Comment une charge aussi minuscule a pu faire autant de dégâts ? C'est complètement dingue ! On se croirait dans un p*** de dessin animé !"

Huhum… Dans un dessin animé… Ou une nouvelle invraisemblable ! Georges écrivait frénétiquement sur son petit Clairefontaine à spirales : Tous les habitants de l'Allée étaient désormais suspects.

Alors, avec la patience et la constance d'une enquêtrice qui avait d'ores et déjà fait de vieux os, elle entreprit de poser à chacun la même question : "Aviez-vous des comptes à régler avec le Panda ?"

Pour faire parler les gardés à vue, elle disposait d'une arme redoutable : elle savait faire craquer ces os comme personne. Un à un, citoyens et citoyens, académiciens et académiciennes, nobles conteurs et dames conteuses, maire et maire se mirent à table :

Jérôme M. Keller:

"Ses blagues étaient encore plus pourries que celle de Folletto ! Je… Je n'en pouvais plus ! C'était un troll !"

Serenya :

"Il me harcelait pour obtenir des melon-pans, des moffles et même du coca maison ! Le Panda n'était pas rondouillard par hasard : C'était un goinfre !"

Rose :

" Il m'a ressortit tous les clichés pourris sur la Belgique ! Tous ! Les gaufres, les chocolats, les frites, le septante-huit... TOUS JE VOUS DIS !!! C'était un rustre !"

Elia :

"Ses... Ses demandes en mariages… Moi j'ai cru qu'elles étaient sincères ! Mais il en faisait à tout le monde en réalité ! C'était un goujat !"

Nelka :

"Je ne compte plus le nombre d'animaux innocents qu'il a tués dans ses textes ! Même des sh'latons ! Des sh'latons, Madame l'inspectrice ! C'était un monstre !"

Apodioxe :

" Et le nombre de corrections qu'il me fait donner dans les textes ! Bien sûr, cela ne scandalise personne, au prétexte que je n'existe pas ! C'était un tortionnaire !"

Théâs :

"Il m'a laissé pour mort dans l'une de ses nouvelles après m'avoir fait voyager dans une malle-poste inconfortable. Il a même laissé un mioche se moucher sur moi ! C'était un sadique !"

Georges notait frénétiquement. Un troll, un goinfre, un rustre, un goujat, un monstre, un tortionnaire, un sadique… Le portrait du panda était loin d'être élogieux. Chacun avait une bonne raison d'en faire une espèce disparue et pourtant toutes les déclarations se terminaient sur la même phrase :"Mais je ne voulais pas le tuer ! Je le jure !"

Georges se gratta le dessus du crâne avec perplexité. L'un d'eux mentait, c'était évident, mais qui ?

Et tout à coup, elle avisa au pied du parasol trois éléments incongrus : une part de galette à moitié mangée, un mug avec un motif de loutre et une frite ! Se saisissant de sa loupe, la squelettière scruta ces indices, peut-être cruciaux. La pâte feuilletée a été croquée mais pas brûlée. La pomme Pont-Neuf était parfaite : moelleuse à l'intérieur, croustillante à l'extérieur. La tasse portait des traces de rouge à lèvres et de café irlandais.

Alors soudain, Georges se redressa et pointa une blanche phalange accusatrice sur le meurtrier. Ou plutôt la meurtrière. Rose P. Katell!

Habitants et baigneurs la regardèrent avec stupeur.

"Impossible ! Protesta Serenya, Rose ne serait pas allée jusqu'à tuer le Panda pour de simples blagues de mauvais goût sur la gastronomie et l'accent belges !

Le squelette détective se saisit d'une craie et exposa son raisonnement sur le tableau noir sorti de nulle part – Parce qu'on fait ce qu'on veut, d'abord, c'est une œuvre de fiction :

En vérité, ce n'était pas le Panda à l'humour vaseux qui était la cible la criminelle, non. C'était SERENYA ! En effet, depuis que notre jeune amie du Plat Pays était la bêta lectrice de la terrible autrice aux dragons, elle avait eu à souffrir de la lecture de tant de drames, d'amours malheureuses, de cliffhangers insoutenables qu'elle avait à maintes reprises menacé son amie de représailles sanglantes. Celles-ci avait été prises à la rigolades… À tort ! Car comme en témoignait la frangipane entamée, le Panda s'était trompé de part et avait mordu goulument dans celle qui était destinée à notre ex-future-ex-future nouvelle J.K. Rollings ! La frite, élément déterminant, prouvait, s'il en était encore besoin, le mauvais esprit de l'auteur de cette nouvelle ET la belgitude de notre coupable ! Quant au mug, il ne prouvait rien, mais permettait de meubler un peu.

"Bon, ben… Je vais devoir ressortir la picoteuse… Dire que je venais juste de la nettoyer et de la ranger…" Râla Théâs.

Elia se frotta les mains.

"Dites, c'est pas tout ça mais puisque l'énigme est résolue, si on débouchait le cidre ? On a une nouvelle année à fêter !"

Et tous d'approuver avec force exclamations joyeuses.

Et c'est ainsi que commença sur l'Allée la seconde décennie du 21ème siècle : dans le sang, l'absurde, la joie et la bonne humeur. Bonne année !


Texte publié par Leliel, 27 janvier 2020 à 00h46
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