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tome 1, Chapitre 4 « Sächen » tome 1, Chapitre 4

Sächen sous la pluie était loin d’être une vision idyllique. La ville s'étirait, noire, triste, morose, jusqu'à la lisière de la forêt dont le sommet formait une ligne dentelée qui semblait grignoter le ciel maussade. Quelques masures à l’air abandonné, plantées comme des dents pourries sur une mâchoire malade, montaient la garde le long de la route menant à la cité fortifiée.

Garance et Wolfgang chevauchaient côte à côte, sévèrement encadrés par une demi douzaine de hussards. L'humeur n'était guère à la discussion et encore moins à la rigolade. La jeune femme avait rabattu le capuchon de sa veste de chasse pour se protéger de la pluie. Elle n'entendait que le lourd clapotis des gouttes s'écrasant sur le cuir écarlate et le roulement des sabots sur la route pavée. Elle était trempée, elle avait froid et elle avait faim.

La jeune femme jeta un rapide coup d'œil à Wolfgang. Ce dernier affrontait le mauvais temps la tête rentrée dans les épaules. La pluie s'écoulait sur son pardessus en suivant les bords relevés de son tricorne comme deux gouttières. Il avait l'air sombre.

« La Pierre aux Loups est une légende. Et… et elle ferait mieux de le rester. »

Pour la énième fois de la journée, Garance ressassa les explications succinctes que son compagnon lui avait fournies avant de partir. Sa voix résonnait dans sa mémoire comme un écho menaçant.

« Là d’où je viens, les vieilles gens prétendent qu’elle est le fruit des expériences illicites d’une sorcière. Un condensé de malfaisance et de magie noire, destinée à terroriser les villages alentours. »

La jeune femme frissonna.

« La légende dit qu’elle serait encore cachée dans la forêt, bien à l’abri. Certains ont bien tenté de la retrouver, mais la seule chose qu’ils ont dénichée, c’est une mort atroce. Tout ce qui restait d’eux, c’étaient des corps lacérés et démembrés. »

Un destin qu’elle espérait bien pouvoir s’épargner le plus longtemps possible. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que leur mystérieux commanditaire en vareuse brune n’eût pas voulu lui-même s’y risquer. La jeune femme se demandait même si le chef de leur expédition, le capitaine Hahn, était au courant de cet aspect de leur mission.

Mais plus que cette sombre histoire, c’était ce que Wolfgang ne lui disait pas qui inquiétait Garance. Il avait admis être né en Waldingen, aux abords de la mystérieuse forêt, mais il était resté évasif sur les raisons qui l’avaient poussé à partir. Non pas qu’elle tînt à tout connaître à son sujet. Elle-même préférait ne pas s’étendre sur son passé si elle pouvait l’éviter. Mais elle sentait que ce qu’il lui cachait risquait de leur revenir en pleine figure s’ils faisaient semblant de l’ignorer.

Le plus simple aurait été qu’ils parvinssent à s’enfuir, à quitter la région et tant pis pour leur réputation. Ils trouveraient bien moyen de gagner leur vie autrement. Mais c’était sans compter sur cette bande de soldats bien décidés à leur coller aux fesses jusqu’à ce que victoire ou mort s’ensuivît.

Garance se redressa pour soulager un peu la douleur qui sourdait dans son dos, sans grand succès. Son regard tomba sur une cabane délabrée, dont le toit percé laissa échapper un vol de corbeaux. Son expression s’assombrit. Ce n’était pas de très bon augure.

Ils entrèrent dans Sächen en même temps qu’un flot de gens, de chiens errants et de charrettes emplies de cageots de choux, de carottes et de navets. Des visages flous se tournaient sur leur passage, mais leur expression était indiscernable sous la pluie. L’odeur de la ville en revanche – suie, sueur, nourriture avariée et crottin – était parfaitement perceptible. Ils s’enfoncèrent dans les rues et finirent par aborder une auberge dont l’enseigne indistincte se balançait en grinçant dans l’air froid. Ils entrèrent dans la cour. Là, ils laissèrent leurs chevaux à deux palefreniers renfrognés, tandis qu’ils allaient se mettre à l’abri dans l’hôtellerie.

Leur arrivée ne passa pas inaperçu. Un air mi méfiant mi obséquieux sur le visage, l’aubergiste vint à leur rencontre. Après force pourparlers, le capitaine des hussards obtint que chacun fût logé et nourri pour la nuit.

Sans leur demander leur avis, les deux voyageurs furent conduits dans une chambre, un réduit tout au plus, coincée au fond d’un couloir sombre. Les deux hussards qui les escortaient vérifièrent la pièce. Un lit plaqué contre le mur occupait les deux tiers de l’espace, à peine éclairé par une lucarne beaucoup trop étroite pour qu’on pût s’y faufiler. Satisfaits, ils y abandonnèrent leurs prisonniers et refermèrent la porte derrière eux. La clef tourna deux fois dans la serrure. Ils étaient enfermés.

Le postérieur endolori, la jeune femme se laissa tomber sur le lit et fut étonnée de trouver le matelas confortable. Wolfgang, de son côté, lâcha ses sacoches de selle au pied de la porte et alla s’appuyer contre l’unique carreau de leur lucarne.

Garance sentait une aura d’émotions contradictoires entourer le garou, vibrant autour de lui au rythme de ses pensées. Ses épaules tremblaient. Indécise, la jeune femme l’observa.

Finalement, elle se leva et alla entourer de ses bras le torse de son compagnon.

« Ça ne me dit vraiment rien qui vaille », souffla-t-elle, la joue appuyée contre son dos.

Un son rauque s’échappa de la gorge de Wolfgang.

Le jeune homme se retourna et enfouit son visage dans le cou de Garance. Ses bras l’enveloppèrent. Un peu surprise par ce soudain élan de tendresse, la chasseresse resta quelques instants sans savoir que dire ni que faire.

« Dans quel état elle te met, cette foutue pierre… » soupira-t-elle.

Elle passa une main sur la nuque du jeune homme. Ce dernier se recula un peu, juste assez pour river son regard au sien. Son nez était encore enflé et avait pris une méchante couleur violacée.

« Je ne dois pas entrer dans cette forêt, Garance », déclara-t-il gravement.

La jeune femme fronça les sourcils.

« Je sais, ça n’a pas de sens, ajouta-t-il. Mais crois-moi, je sais ce que je dis. Cet endroit a… a un effet terrible sur les gens comme moi. »

Garance acquiesça, enregistrant l’information sans être certaine de pleinement la comprendre.

« Je ne veux pas devenir un monstre », murmura-t-il.


Texte publié par Pixie, 11 mars 2020 à 14h18
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