Pourquoi vous inscrire ?
«
»
Lecture

Charlotte s’était levée aux aurores en proie à une excitation extrême. Confectionner une galette des Rois pour ses collègues de bureau était le challenge qu’on lui avait lancé.

Pas de problème, avait-elle répondu à l’annonce du défi. Vous allez m’en dire des nouvelles de cette savoureuse viennoiserie que je me ravis de vous préparer, avait-elle répliqué du tac au tac.

L’opportunité de se venger de toute la haine qu’elle emmagasinait depuis 16 ans à l’encontre de ses collaboratrices serait spectaculaire. Un chef-d’œuvre digne de son auteur favori, le seul et l’unique Stephen King. Peut-être qu’une fois son méfait accompli, un scénariste de renom s’inspirerait de son histoire. C’est avec cette éventualité en tête, qu’elle déballa les deux pâtes feuilletées.

Elle voulait les impressionner, aucune intention d’offrir la simple galette fourrée à la frangipane. Du chocolat sera l’ingrédient principal, agrémenté d’un composant gardé secret.

Elle sifflotait en s’activant en cuisine. Le four fut allumé, le cacao atterrit dans le micro-onde avec une grande quantité de beurre pour un fondant incomparable. Les fouets et les spatules virevoltaient avec grâce dans les moindres recoins des récipients.

La bonne humeur transpirait sur tous ses traits, à l’inverse des autres jours de la semaine où elle devait se mettre des coups de pied aux fesses pour aller bosser.

Au moment d’inclure la surprise à sa préparation, elle enfila des gants pour plus de sûreté. Il ne manquerait plus qu’elle soit elle-même victime de son extermination.

Sa merveille au four, elle profita de ce moment de détente pour prendre tranquillement son petit déjeuner. La journée s’annonçait enivrante, elle allait cependant s’efforcer de cacher sa joie au risque d’être démasquée. Elle était connue pour sa virulence et sa mauvaise humeur, montrant les crocs à chaque personne qui pénétrait dans son antre. La voir euphorique susciterait des interrogations.

C’est les bras chargés qu’elle franchit les portes de son entreprise. À cette heure matinale, seule la grosse Monique était arrivée. Affalée sur son bureau, elle faisait semblant de travailler. Son poste d’assistante de direction qui plus est — nana du patron — lui proférait des privilèges indéniables.

Charlotte afficha un sourire forcé en la bisant. Monique obsédée par la nourriture ne mit pas longtemps à renifler l’odeur alléchante qui s’échappait de la boite que sa collègue portait.

— Oh ! Tu as tenu ta promesse ? Je peux voir ta merveille ? lui demanda-t-elle prête à se baver dessus d’envie.

— Ai-je l’habitude de parler dans le vent ! S’enflamma en un instant Charlotte. Eh ! Non, tu attendras que tout le monde soit présent avant d’engloutir ta part !

Sans cérémonial, elle sortit, emportant avec elle son sésame sous le nez de Monique qui en resta coite.

Elle ouvrit son service, s’avachit sur son fauteuil bancal, alluma son ordinateur surexcité. Elle jeta un coup d’œil sur son téléphone, il n’était que 8 h 10. Il lui fallait attendre jusqu’au moins 9 h pour que toutes les personnes concernées soient au travail.

Elle surfa sur internet, d’un site à l’autre afin de passer le temps. Pourquoi se fatiguer à bûcher, alors que dans peu de temps la société n’existera plus.

La porte d’entrée claqua plusieurs fois, signe d’activité dans le hall. Les bavardages et les rires l’informèrent que les membres du gang des hypocrites étaient au rendez-vous. Charlotte tenait à son indépendance, les ronds de jambe à outrance, les récits de leur soirée, les vomissements et les rhumes des mioches l’emmerdaient. Les conversations à rallonge sans véritable sens, juste lancées pour éviter de s’activer à la tâche, l’horripilaient.

Charlotte, loin d’être sourde, entendait les critiques émissent dès lors qu’une du clan posait un jour de congé. Dans ses emplois précédents, elle avait eu la chance de partager son bureau avec des hommes, les relations étaient bien différentes. Quand quelque chose clochait, les explications ne tardaient pas. On disait ce qui nous turlupinait et l’affaire était classée.

Avec que des femmes, les mesquineries semblaient de mise. Du coup, elle se tenait à l’écart consciente qu’elle entretenait ainsi, les commérages. Au moins, elles participaient à sa façon aux conversations malveillantes. Cela la ravissait au plus haut point.

Elles défilèrent chacune leur tour, pour une bise de rigueur, rituel immuable du matin.

La grosse Monique hurla d’un fin fond du couloir « CAFÉ », le cri de ralliement pour bien commencer la journée, à l’attention de ses copines. Ce qui signifiait à Charlotte qu’il était temps de sortir son cadeau surprise, ne voulant pas sembler trop empressée, elle patienta. Elle finit par s’énerver au point de l’appeler.

— Charlotte ! Une friandise pour accompagner notre boisson chaude ne serait pas de refus. Tu n’as pas travaillé pour rien, il serait dommage de jeter un tel trésor. En 16 ans, c’est la première fois que tu amènes quelque chose à manger, je compte bien en profiter.

S’ensuivit un gloussement gras, les autres pintades l’accompagnèrent en chienne bien docile. Charlotte ravala ses injures, elles ne parviendraient pas à lui retirer sa bonne humeur. Rira bien, qui rira le dernier ! pensa-t-elle.

— J’arrive !

L’impatience des filles la fit jubiler. Elle garda le suspens, déposant le paquet sur la table sans l’ouvrir.

— Voilà, le gâteau tant réclamé ! Désolé, mais j’ai du boulot, je retourne à ma place, dit-elle en rebroussant chemin.

— Tu ne le déballes même pas ? demanda Sophie, surprise.

— Pourquoi ? Tu es handicapé ? Vous savez que je ne mange pas et que je ne bois pas de caféine non plus, je ne vais pas rester faire la plante verte. Vous m’avez réclamé une galette, vous avez une galette. Je vous abandonne entre vous pour la déguster, vous m’en direz des nouvelles.

Charlotte se rajouta dans sa tête « étouffez-vous bien ».

À peine partis, les chuchotements dans son dos ne laissaient pas la place au doute sur celle qui animait la discussion. Charlotte referma la porte de son bureau, l’air de rien. Elle ramena sa chaise à roulette devant le battant maintenant clos, s’y assit et en regardant par le trou de la serrure. Elle ne comptait pas louper une miette du spectacle.

Monique pressée, arracha l’emballage avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Son visage s’illumina à la vue de la splendeur qui trônait en bonne place au milieu de la desserte. Elle attrapa un couteau et en coupa des parts énormes. Elles ne prirent pas le temps de s’embarrasser d’assiette, elles en récupèrent chacune un morceau. S’enfournant avec fougue la magnifique et savoureuse galette.

Charlotte les yeux écarquillés, désirait assister au clou de la dégustation. Hilare devant ses gloutonnes qui s’empiffraient comme des cochonnes.

La plus prompte à offrir les premiers signes de faiblesse, fut Monique. Son teint vira au rouge écarlate, elle s’agrippa la gorge, semblant avoir des difficultés à respirer. Son énorme bouche s’entrouvrait et se refermait comme un gobie qu’on sortirait de l’eau.

Ses amies se précipitèrent sur elle, lui tapant énergiquement dans le dos la pensant avoir avalé de travers. L’affolement de ses collègues n’arrangeait pas les affaires de Monique, du sang gicla sur le visage de ses copines agglutinées autour d’elle à chaque fois qu’elle toussait. L’hémoglobine finit par lui sortir par tous les orbites. Ses yeux papillonnèrent une ultime fois avant qu’elle ne s’écroule tête en avant sur la machine à café. Le bruit des os de son crâne se brisant au passage provoqua un frisson de plaisir à Charlotte.

Les autres n’eurent pas le temps de la secourir, elles furent prises des mêmes symptômes dévastateurs. Pour assister en direct au final, Charlotte alla les rejoindre. Les regards la suppliant de les aider étaient pathétiques. Tellement stupide, qu’elles n’avaient pas compris qu’elles devaient la fin de leur vie à Charlotte.

— Alors, les sorcières ! Elles étaient bonnes ma galette ? gloussa-t-elle.


Texte publié par Nelka, 21 janvier 2020 à 08h25
© tous droits réservés.
«
»
Lecture
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2614 histoires publiées
1166 membres inscrits
Notre membre le plus récent est TeddieSage
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés